Göran Marby devra amener l’Icann, dont il est PDG depuis mai, à s’émanciper des Etats-Unis

En mai, le Suédois Göran Marby a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’Icann, l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet. Le 9 juin, Washington a approuvé le plan de sortie – d’ici le 30 septembre prochain – de la tutelle des Etats-Unis.

Il a quitté Stockholm en Suède, où il était directeur général de l’Arcep suédoise, pour s’installer avec sa famille à Los Angeles aux Etats- Unis, où il est depuis mai dernier PDG de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Göran Marby (photo) succède ainsi à Fadi Chehadé, lequel avait commencé à engager le processus d’émancipation de la tutelle américaine pour cette autorité de régulation de l’Internet chargée historiquement de superviser l’attribution les noms de domaine dans le monde. Née en 1998, cette société de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique doit en effet couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir à partir du 30 septembre prochain une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale. Sous la pression internationale, Washington a accepté en 2014 la perspective de passer le flambeau. Göran Marby
a désormais la lourde tâche de mettre en oeuvre ce transfert de fonctions assurées jusqu’alors sous la tutelle du gouvernement fédéral américain, dont l’allocation et le maintien des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (1), alias l’administration américaine.

Vers une gouvernance enfin mondiale de l’Internet
Durant ce basculement administratif du Net, il s’agit ni plus ni moins de préserver la sécurité, la stabilité et l’interopérabilité de l’Internet, son existence même. « L’Icann ne contrôle pas le contenu publié sur Internet. Elle ne peut pas mettre fin au spam et ne gère non plus l’accès à Internet. Mais grâce à son rôle de coordination du système d’attribution de noms sur l’Internet, elle exerce une influence non négligeable sur le développement et l’évolution de l’Internet », tient à préciser cette organisation en pleine transition.

L’année 2016 sera-t-elle l’an I de la gouvernance mondiale de l’Internet ? Jusqu’alors, un contrat liait l’Icann et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (2). Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes aux Etats-Unis pour retarder le processus devant aboutir une organisation non gouvernementale et multipartite. Résultat : l’expiration du contrat avec l’Iana a été repoussé d’un an, au 30 septembre prochain.

Le monopole de l’Icann contesté
Le nouvel Icann devra fonctionner sous une gouvernance partagée entre gouvernements, entreprises, universités et société civile – « la communauté Internet » –, en évitant de passer sous le contrôle des Etats. « Chacun des acteurs de l’Internet peut faire entendre sa voix dans le développement de cette nouvelle structure de supervision », avait assuré Fadi Chehadé, dans une interview à La Tribune (3). Le compte à rebours a commencé : le 9 juin dernier, Lawrence Strickling, secrétaire adjoint du DoC, a écrit une lettre à l’Icann (4) pour lui signifier que sa proposition de plan de transition était acceptée par la NTIA, mais qu’« il y a encore beaucoup à faire avant que la transition des fonctions de l’Iana puisse intervenir ». Göran Marby a donc jusqu’au
12 août prochain pour fournir à l’administration américaine « un rapport sur le planning d’implémentation ». Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign. Cette société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, est chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde (pour que le Web fonctionne) toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le cœur du Net.
Avant de laisser l’Icann s’émanciper, les Etats-Unis maintiennent la pression sur l’organisation qu’ils entendent bien garder sous surveillance pour s’assurer que sa gouvernance se fera bien par la communauté Internet et non par les pays. La fin de
la tutelle américaine a été précipitées après l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial pratiqué illégalement par les États-Unis.
Les près de 3,5 milliards d’internautes dans le monde apprécieront une Icann dont le conseil d’administration de 16 membres représentant les grandes régions du monde
– Europe, Afrique, Asie-Pacifique, Amérique Latine, Amérique du Nord – devra faire preuve d’indépendance et d’intégrité en tant que corégulateur de l’Internet. Reste à savoir si l’Icann changera de nom à l’avenir, ce qui n’est pas envisagé à ce jour, et si le siège social de l’organisation sera déplacé de la Californie vers un pays plus… neutre (la Suisse ?). La communauté Internet impliquée dans la gouvernance de l’Icann devrait être dotée un droit de veto sur les décisions du conseil d’administration de l’Icann. Mais ce pouvoir est contesté par certains membres du conseil. Göran Marby devra réconcilier les deux parties cet été, sinon tout désaccord risque de provoquer l’échec
de la transition historique. Reste que le rôle central que joue l’Icann dans l’ordonnancement du réseau des réseaux est contesté. « Serait-il acceptable que les Etats-Unis gèrent l’annuaire mondial de tous les abonnés au téléphone ? Le monopole de l’Icann est une sorte de racket financier, curieusement toléré par les Etats (sauf la Chine) », s’insurge le Français Louis Pouzin, le cofondateur de l’Internet avec l’Américain Vinton Cerf (5). Il propose une alternative au modèle de location de l’Icann : Open-Root. Ses clients achètent des extensions (« registres ») dont ils deviennent propriétaires ; ils peuvent alors créer gratuitement les domaines de leur choix.

L’entrée en fonction de l’Européen suédois à la tête de l’Icann intervient au moment
où les nouveaux noms de domaine génériques de premier niveau viennent juste de dépasser fin mai le nombre de 1.000 « délégations », désormais en ligne sur Internet, sur un total de près de 1.300 acquis. Dans le jargon de l’Icann, ce sont des « new
gTLD » (new Generic Top Level Domain) lancés par appel à candidature en 2012 et associés à une ville (.paris, …), à un secteur (.music, …), une communauté (.gay, …),
ou encore à une marque (.netflix, …). Ce que l’Icann appelle des « biens immobiliers virtuels ».
Ces nouveaux noms de domaines génériques – appelés aussi les « not-coms » (6) (*) (**) pour les distinguer « dot-com » ou « .com» les plus utilisés sur la Toile – sont bien plus coûteux que les DNS (Domain Name System) historiques de l’Internet que sont les
« .com», « .org » et autres « .fr ». « L’expansion du système des noms de domaine, avec plus de 1000 gTLD, permet aux communautés, aux villes et aux marques de rapprocher leur identité numérique de leur identité réelle », explique l’Icann. Mais le ticket d’entrée de 185.000 dollars reste (trop) élevé. Et cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes de territorialité et de propriété intellectuelle : fin 2014, la France avait par exemple menacé de quitter l’Icann car elle contestait l’attribution des nouvelles extensions de domaine telles que le « .vin » ou « .wine » sujets, selon elle, à abus au détriment des régions viticoles françaises (7).

Des domaines génériques inactifs
En outre, de nombreuses entreprises ont protégé leur nom et/ou leur marque en acquérant leur nouvelle extension générique mais sans jamais l’activer sur Internet (absence de la zone racine). Chaque détenteur d’une nouvelle extension a pourtant douze mois pour l’activer sur Internet, les premières échéances pour 200 d’entre elles intervenant cet été. A défaut, leur contrat sera résilié et ils perdront leur extension. @

Charles de Laubier

Le CSA se défend de vouloir être « le régulateur de l’Internet » mais veut le coréguler via conventions

Le CSA souhaite inciter les plateformes du Net à signer avec lui des
« conventions volontaires » par lesquelles une corégulation – sur fond d’engagements obligatoires – pourrait s’instaurer sur les services en ligne.
Par ailleurs, le CSA voit ses pouvoirs étendus au stockage de données.

« Dans le cadre de la loi, nous avons des pouvoirs de conventionnement : les chaînes de télévision et les radios qui sont soumises à notre sphère de régulation (… (1)) ne peuvent fonctionner que si elles ont signé leur convention. Vis à vis des partenaires à l’égard desquels nous n’avons aucun pouvoir reconnu par la loi, (…) nous sommes toujours prêts à nous engager dans une démarche conventionnelle. Mais encore faut-il que nous ayons des partenaires, y compris de la sphère de l’Internet, qui veuillent s’engager dans cette démarche », a expliqué Olivier Schrameck (photo), président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lors d’un dîner-débat organisé le 26 mai dernier par le Club audiovisuel de
Paris (CAVP).

Conventions avec des acteurs du Net
Google/YouTube, Dailymotion, Facebook, Apple, Amazon et toutes les autres plateformes numériques ayant une dimension audiovisuelle échappent en effet à la régulation du CSA, dont les compétences sont limitées par la loi aux chaînes et aux radios diffusées par voie hertzienne terrestre. Pour pouvoir émettre, ces dernières
sont en effet tenues de signer une convention d’engagements – obligatoires – en contrepartie de l’autorisation d’usage de fréquences. Mais Olivier Schrameck souhaite élargir le spectre du conventionnement en faisant valoir la possibilité pour les autres acteurs, notamment les fournisseurs de contenus sur Internet, de signer avec le CSA des « conventions volontaires ». « Je suis persuadé qu’ils [les acteurs du Net, dont
les plateformes vidéo, ndlr] peuvent y avoir intérêt, car l’enracinement socioculturel
– pour ne pas parler de l’économique et du financier – que permet de sceller le conventionnement avec une autorité publique (dont j’aime à penser que la reconnaissance est établie dans notre pays), peut être un atout, y compris sur le plan commercial ». Le CSA table sur le fait que les acteurs du Web et des applications mobiles sont de plus en plus soucieux de leur image et de la confiance qu’ils inspirent localement auprès de leurs utilisateurs.
La jeune génération est d’ailleurs au coeur de la réflexion du gendarme des télécoms, lequel a fait état d’un sondage : 74 % des parents sont inquiets des risques pour l’éducation de leurs enfants que constituent les modes individualisés de visionnage des programmes sur la télévision mais surtout sur le Web et sur l’ensemble des réseaux sociaux – sur Internet en général. « Nous passons d’un mode de visionnage familial et commun à un mode de visionnage individuel et caché. Pour les parents, il y a un vrai problème d’attraction des mineurs vis à vis de programmes qui sont susceptibles de troubler leur psychisme. (…) C’est d’ailleurs pour cela que, dès 2013, je me suis permis de poser ce problème à la représentation nationale non pas du tout pour revendiquer des compétences supplémentaires pour le CSA, non pas pour faire du CSA “le régulateur de l’Internet” – Je le connais suffisamment pour savoir qu’il ne le supporterait pas, car c’est contraire à son état d’esprit –, mais pour encourager à cette démarche de corégulation, d’autorégulation », a encore insisté le président du CSA.

Pour l’heure, les plateformes du Net interviennent en ordre dispersé en appliquant leur propre règlement interne – des sortes de « polices privées » (dixit Olivier Schrameck) qui sont d’inspirations très différentes suivant l’entreprise concernée. « Or les devoirs que nous avons en matière d’éducation des mineurs sont les mêmes, quelle que soit l’origine de l’information qui leur est dispensée », fait-il remarquer. Et de faire part de son inquiétude : « Mais il reste un énorme problème, un énorme trou noir : nous savons parfaitement que les mineurs ont accès par un simple clic à des sites (web) qui sont susceptibles de les perturber profondément. Donc, il importe de se poser la question. L’Etat, qui ne peut pas tout faire, prend ses responsabilités en ce qui concerne la pédopornographie ou l’incitation aux attentats djihadistes. Il faut aller au-delà ».

Vers une corégulation de l’Internet
Devant le CAVP, le président du CSA s’est félicité de l’avant-projet de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels (SMA), censée réformer celle de 2010, car ce texte législatif – présenté par la Commission européenne le 25 mai (2) – invoque justement la corégulation dans ce domaine, voire une harmonisation des pratiques dans l’Union européenne, tout en appelant à une association de protection des mineurs qui puisse service d’intermédiaire. Il s’agit de l’Alliance pour une meilleure protection des mineurs en ligne, chargée d’élaborer un code déontologique pour protéger les mineurs des contenus préjudiciables tels que la pornographie et la violence, et tous les citoyens de l’incitation à la haine (3). « Plutôt que de s’en remettre à l’autorégulation, les autorités nationales de régulation de l’audiovisuel [comme le
CSA en France, ndlr] auront compétence pour faire respecter les règles, ce qui, selon
la législation nationale applicable, pourra aussi, éventuellement, donner lieu à des amendes », a expliqué la Commission européenne dans le cadre de son projet de nouvelle directive SMA.

Le CSA veut devenir « médiateur »
Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), composé de l’ensemble des vingt-huit autorités nationales de l’audiovisuel et viceprésidé depuis janvier par Olivier Schrameck, est désormais chargé d’évaluera
les codes déontologiques en matière de corégulation et de conseiller la Commission européenne en la matière.
En France, le président du CSA se dit « disponible » vis à vis des plateformes du Net,
« mais il ne s’impose pas – ni par la loi, ni par sa volonté », précise Olivier Schrameck. Il y a en outre aussi des producteurs audiovisuels ou cinématographiques qui souhaitent pouvoir garantir au public la protection des mineurs, par l’intermédiaire de conventions ou de labellisation. « Nous sommes là pour les y aider ».

Plus largement, le CSA ne veut pas être perçu comme « le protecteur attitré des éditeurs et des diffuseurs » de chaînes de télévision notamment. « Nous avons eu
le souci de faire la part à l’ensemble des partenaires incluant les producteurs et les distributeurs [de films ou de programmes] », a tenu à clarifier Olivier Schrameck devant le monde de l’audiovisuel du CAVP. « Le CSA souhaite être “La maison des médias”, des éditeurs et des diffuseurs comme des producteurs et des distributeurs », a-t-il insisté, tout en citant en exemple des accords que le CSA a pu obtenir entre les uns et les autres, comme celui entre les producteurs (de cinéma) et OCS (Orange Cinéma Séries), accord qui a influé sur l’accord entre les producteurs et Canal+.
Le gendarme de l’audiovisuel se voit plus aujourd’hui comme « un médiateur entre des intérêts non pas divergents mais complémentaires » dès lors qu’il s’agit de relations entre les producteurs et les diffuseurs, de numérotation des chaînes sur la TNT ou le câble, ou encore du problème tout nouveau du stockage des données (voir encadré ci-dessous). Ainsi, la mue du régulateur de l’audiovisuel est en cours : jusqu’alors sa raison d’être dépendait des fréquences hertziennes ; désormais le numérique lui pose une question existentielle. A défaut de devenir aussi régulateur du Net, la corégulation des services de médias audiovisuels lui donne de nouveaux pouvoirs. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le CSA devient le régulateur du stockage de données
« Sur le stockage des données, qui n’est pas normalement dans nos compétences, nous avons évoqué ce problème auprès des parlementaires parce qu’il influe profondément sur les équilibres économiques et créatifs de l’audiovisuel. Résultat,
le Sénat vient de voter une disposition qui nous donne compétence en matière de règlement de différends sur le stockage des données », s’est félicité le 26 mai dernier Olivier Schrameck, le président du CSA, devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP).

L’avant-veille de son intervention, le Sénat avait en effet adopté – dans le cadre du projet de loi « Création » attendu en commission mixte paritaire le 15 juin prochain
– un amendement du gouvernement.
Celui-ci dispose que (article 7 bis AA) « lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage (…), une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». En outre, il prévoit que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou un distributeur des services de tout différend relatif à la conclusion ou à l’exécution de [cette] convention ». Participant aux débats le 24 mai sur ce point au Sénat – dans le cadre de l’extension de la taxe « copie privée » aux services d’enregistrement numérique à distance dits nPVR, ou magnétoscopes numériques personnels en ligne (4) (*) (**) –, la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a conclu : « Je fais confiance aux partenaires pour développer des services innovants, dans une coexistence harmonieuse ».
Il s’agit notamment de « garantir que le développement des services de nPVR ne mettra pas en cause l’existence de l’offre télévisuelle traditionnelle ainsi que des services de télévision de rattrapage et de vidéo à la demande », et de prévenir d’éventuels risques de piratage. @