5G : le « en même temps » d’Emmanuel Macron sera-t-il fatal au chinois Huawei en France ?

La commission des affaires économiques du Sénat a auditionné le 4 juin Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat en charge notamment des télécoms. Comme le ministre de l’Economie et des Finances, elle a promis que le chinois Huawei ne sera « pas discriminé » par la France. Mais « en même temps »…

« Nous n’allons pas cibler une compagnie ou une autre. Il y a aujourd’hui beaucoup d’opérateurs qui travaillent sur la 4G avec Huawei. Notre position est différente des Américains sur ce sujet. Nous veillerons à ce qu’il n’y ait pas d’ingérence possible, à ce
que notre souveraineté soit maintenue, et en même temps nous voulons garantir le meilleur accès technologique pour nos entreprises et pour les particuliers », a déclaré Bruno Le Maire
au micro de France Info, le 22 mai dernier.

Loi – « anti-Huawei » ? – le 19 juin au Sénat
La veille, devant des journalistes de la presse diplomatique, le locataire de Bercy avait formulé une appréciation similaire vis-à-vis de Huawei : « Aucun candidat ne serait écarté a priori. Le choix des équipementiers télécoms pour le déploiement de la 5G
en France se fera en fonction de la sécurité des réseaux et de leurs performances ».
Le ministre de l’Economie et des Finances s’est en tout cas fait l’écho de la position
du « en même temps » adoptée par Emmanuel Macron à l’égard du géant chinois des télécoms. Le 16 mai, lors du salon VivaTech à Paris, le président de République a tenté de rassurer sur les intentions de la France dans cette affaire, au lendemain de la décision de Donald Trump d’interdire Huawei aux Etats-Unis : « Notre perspective n’est pas de bloquer Huawei ou toute autre entreprise, a dit Emmanuel Macron, mais de préserver notre sécurité nationale et la souveraineté européenne. (…) Nous voulons développer l’emploi, les affaires, l’innovation. Nous croyons à la coopération et au multilatéralisme. En même temps, pour la 5G, nous faisons très attention à l’accès aux technologies coeur de réseau pour préserver notre sécurité nationale ». Auditionnée au Sénat le 4 juin, la secrétaire d’Etat en charge des télécoms, Agnès Pannier- Runacher (photo), n’a pas dit autre chose (1).
Ce sont ces « en même temps », « mais » et « a priori » qui posent questions sur les vraies intentions du gouvernement français vis-à-vis de la firme de Shenzhen. D’autant que le Sénat est en train d’examiner la proposition de loi visant à « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ». Emanant donc du gouvernement, cette proposition de loi a été inscrite en procédure accélérée et adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 avril. Ce texte, que le Sénat va commencer à examiner le 19 juin avant un débat en séance publique programmé pour le 26 juin, prévoit en effet un régime d’autorisation préalable qui donne un droit de véto au Premier ministre sur « tous dispositifs matériels ou logiciels, permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile qui, par leurs fonctions, présentent un risque pour l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’exploitation du réseau, à l’exclusion des appareils installés chez les utilisateurs
finaux » (2). Bien que le gouvernement s’en défende, cette proposition de loi prend
des allures d’« anti-Huawei » et se fait le relais en France de la psychose technologique et sécuritaire qui s’est emparée de l’administration Trump au détriment des fabricants chinois, Huawei et ZTE en tête. Dans la politique du « en même temps » d’Emmanuel Macron, chef des Armées, difficile de croire sur parole Guillaume Poupard, le directeur général de l’ANSSI – Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui fait office de « régulateur de la sécurité numérique » (3) – lorsqu’il répond au député Thomas Gassilloud (LREM), rapporteur de la loi, pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, comme le relate ce dernier : « Le directeur général de l’ANSSI a assuré le rapporteur pour avis que, dans son soutien à la proposition de loi, le gouvernement ne s’inscrit pas dans le même état d’esprit que
celui des Etats-Unis vis-à-vis de Huawei ou de ZTE. Au contraire (…) ». Alors, double-langage à la française ? Emmanuel Macron ne sera-t-il pas contraint de se soumette à l’extraterritorialité de l’« America first » ? Les Etats-Unis et la France font partie des 29 pays membres de l’Otan qui subit les pressions de Donald Trump (4).

Orange a déjà lâché la 5G de Huawei
Mis à l’index par quelques pays (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande), Huawei Technologies risque de faire moins bien en 2019 que l’an dernier où la société fondée
il y a plus de 30 ans par le Chinois Ren Zhengfei (son actuel PDG) a franchi la barre des 100 milliards de dollars (+ 19,5 %) avec un bénéfice net de 8,5 milliards (5). Pour l’heure, en France, SFR (Altice) et Bouygues Telecom (Bouygues) sont toujours client de Huawei. Orange, dont l’Etat est « un actionnaire avisé », n’a pas retenu Huawei pour sa 5G mais les européens Nokia et Ericsson. @

Charles de Laubier