Vers un «guichet unique» pour protéger les œuvres – films en tête – sur les plateformes numériques

Un an après la présentation, le 11 mars 2015, du plan gouvernemental de lutte contre le piratage sur Internet, les ayants droit se mobilisent face aux acteurs du Net. Le CNC a lancé une mission pour recenser les techniques de protection des œuvres et prévoir un « guichet unique » pour les producteurs.

La ministre de la Culture et de la Communication, qui était encore Fleur Pellerin avant d’être remplacée au pied levé par Audrey Azoulay, avait chargé le Centre national du cinéma
et de l’image animée (CNC) de mener des actions en vue d’enrichir l’offre légale et de lutter contre les sites Internet d’œuvres piratées.

 

Empreintes, watermarking, fingerprinting, …
C’est dans ce cadre que la présidente du CNC, Frédérique Bredin (photo), a confié à Emmanuel Gabla (ancien membre du CSA, actuellement membre du CGEIET (1)), Olivier Japiot (ancien directeur général du CSA) et Marc Tessier (ancien président
de France Télévisions et actuel président de Videofutur) la mission de mobiliser les auteurs, les producteurs et les plateformes numériques pour faciliter l’utilisation des technologies de protection des œuvres (films, séries, clips vidéo, etc.).
Cette mission « Gabla-Japiot-Tessier » a pour objectif, d’une part, de recenser les
outils et les bonnes pratiques « qui existent déjà chez les ayants droit et chez les intermédiaires de diffusion », et, d’autre part, de préfigurer « un guichet unique qui permettrait à la profession d’avoir accès au meilleur service possible à coûts maîtri-
sés ». Mais cette mission n’aboutira pas à un rapport comme nous l’a indiqué le CNC
à Edition Multimédi@ : « Il s’agit d’une mission avant tout opérationnelle. Il n’y a pas de date ferme fixée, par extension. La mission porte en effet sur la mise à plat des outils d’ores et déjà existants et d’examiner leur faisabilité. Le guichet unique est toujours actuellement à l’état de projet ».
Quoi qu’il en soit, il est toujours difficile aujourd’hui d’y voir clair entre les solutions d’empreintes numériques, de tatouages numériques, de watermarking, de fingerprinting, de filigranes, de DRM (Digital Rights Management), ainsi que parmi les offres techniques Content ID (YouTube/Google), Signature (INA), Audible Magic, Hologram Industries (ex-Advestigo), Trident Media Guard (TMG), Civolution, Attributor, Blue Efficience, … « A l’heure où la diffusion numérique prend une place toujours plus importante dans l’accès aux œuvres, notamment avec le développement de grandes plateformes web de diffusion de contenus devenues incontournables (YouTube, Dailymotion ou Facebook), il est indispensable que les technologies de protection
des œuvres, existantes ou à venir, soient mieux appréhendées et répertoriées par
les professionnels, afin d’être intégrées le plus en amont possible dans les nouveaux modèles de production des œuvres », explique le CNC (2). C’est pour avoir une approche coordonnée dans ce domaine que la mission « Gabla-Japiot-Tessier » a été lancée, en vue d’accompagner les auteurs et les producteurs. Dans un premier temps, cette démarche se fera avec les intermédiaires du Net existants. Et à plus long terme, elle portera sur les outils qui pourront être développés à l’avenir.
La direction de l’innovation, de la vidéo et des industries techniques (Divit) du CNC
sera notamment mise à contribution. Depuis début janvier, c’est Raphaël Keller qui
a été nommé à sa tête. Il fut conseiller « industries culturelles » de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, avant d’assurer pour elle le suivi de la concertation en ligne à l’automne 2015 sur le projet de loi « République numérique ». C’est un ancien rapporteur de la mission « Acte 2 de l’exception culturelle » (2012-2013) de Pierre Lescure, dont le rapport a été publié en mai 2013. Il y est notamment question de
« détection automatique de contenus » qui suppose des prestataires « fouille » ou
« e-monitoring ». « Ces outils reposent sur la comparaison automatisée (matching) entre les contenus téléchargés par les utilisateurs du site et une base de données d’empreintes (fingerprints) fournies par les ayants droit », explique le rapport Lescure.

Une approche « notice and stay down »
Cela nécessite une coopération volontaire entre hébergeurs et ayants droit, ces derniers fournissant les empreintes pendant que la plateforme compare ces empreintes aux contenus mis en ligne. L’ayant droit est alors alerté lorsqu’une correspondance est établie entre l’oeuvre qui circule sur Internet et son identification numérique. L’avantage est que la plateforme vidéo ou musicale n’a pas à opérer une surveillance généralisée du Net (ce qu’elle se refuse d’ailleurs à faire et qui est surtout interdit). C’est l’ayant droit, et non pas l’hébergeur lui-même, qui rend la décision de bloquer le contenu litigieux sur un mode similaire au « notice and stay down ». « Ces outils présentent
un autre intérêt : sur certaines plateformes, l’ayant droit, informé de la présence d’un contenu sur lequel il détient un droit exclusif, peut choisir entre le retrait de ce contenu et sa “monétisation” (c’est-à-dire le partage des recettes publicitaires générées par ce contenu) », relève encore le rapport.

Lescure en 2013 : pour une base mutualisée
Mais la mission Lescure avait déjà identifié des insuffisances : ils ne sont pas assez utilisés par les ayants droit ; ils ne fonctionnent pas si l’oeuvre est cryptée ; toutes les plateformes numérique ne les utilisent pas ; les plateformes développent chacune leur propre technologie. D’où la recommandation faite à l’époque par la mission « Acte 2 » : « Les pouvoirs publics pourraient accompagner et soutenir une initiative mutualisée visant à créer, pour chaque type d’œuvres, une base d’empreintes unique, couplée
à un dispositif de reconnaissance automatique ». Ce qui faciliterait la détection des contenus protégés. De plus « une telle mutualisation serait particulièrement bénéfique aux plus petits ayants droit qui n’ont pas les moyens de recourir aux services d’opérateurs privés spécialisés dans le e-monitoring ». Le rapport Lescure proposait même que les bases d’empreintes soient hébergées par les responsables du dépôt légal, à savoir l’INA (3), le CNC et la BnF (4), et, à terme, « adossées aux registres publics de métadonnées » à mettre en place. Constituer des bases d’empreintes d’œuvres nécessite d’appliquer des algorithmes de calcul et de stocker les résultats dans une base de données.
En octobre 2007, de grands groupes de télévision et cinéma (Disney, Fox, Viacom, Sony Pictures, CBS, …) ont mis en oeuvre – en partenariat avec des plateformes de partage de vidéo et de musique – une sorte de « réponse graduée privée » à travers l’accord « UGC principles » (5). Dailymotion fait partie des signataires. Ce code de bonne conduite prévoit le recours à des techniques d’identification des œuvres afin
de supprimer ces dernières en cas de piratage. Mais une telle démarche il y a près de dix ans n’a pas fait assez d’émules parmi les ayants droit, particulièrement en France. D’autant que les industries culturelles françaises sont assez réticentes à utiliser des outils de protection développées par des acteurs du Net dont elles se méfient. Le groupe TF1 n’a-t-il pas préféré la solution de reconnaissance d’empreintes numériques de la start-up française Blue Efficience plutôt que l’offre équivalente Content ID de YouTube/Google ? « Le robot Content ID ne permet en effet pas d’identifier les contenus qui ont été habilement déformés par les pirates afin de passer entre les mailles du filet. Ainsi, YouTube héberge actuellement des milliers de films dont la mise en ligne n’a été aucunement approuvée par leurs auteurs », dénigre même son fournisseur (6). Il faut dire que la chaîne du groupe Bouygues avait préféré ferrailler
dès 2008 en justice contre la filiale vidéo de Google qu’il accusait de contrefaçon, alors que YouTube lui proposait d’utiliser Content ID. Ce que TF1 s’est résolu à faire fin 2011 avant de mettre un terme au procès en 2014. De son côté, M6 a préféré en 2012 la solution concurrente Signature de l’INA, tout comme EuropaCorp en 2008, Dailymotion et Canal+ en 2007. En revanche, en France, les ayants droit sont plus prompts à s’attaquer aux sites web pirates qu’à prendre des précautions numériques pour se protéger. Une charte « des bonnes pratiques » a été signée il y a près d’un an, le 23 mars, par les professionnels de la publicité en ligne « pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins ». Et ce, en présence de Fleur Pellerin : « Nous allons lancer une réflexion avec les trois principales plateformes pour nous doter d’outils technologiques efficaces et simples pour le signalement et le retrait des œuvres », avaitelle indiqué.
Ce que l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication avait redit le 10 septembre dernier : « Il s’agit désormais de progresser sur le chemin du signalement
et du retrait des œuvres exploitées illégalement, par l’intermédiaire d’outils technologiques efficaces et performants. Il en existe et je travaille aujourd’hui avec le CNC pour que les producteurs s’en saisissent plus massivement », avait-elle insistée
à l’occasion du lancement du « Comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins » (7).

Bientôt une « liste noire » à l‘Hadopi ?
En attendant une charte « paiement en ligne », Fleur Pellerin avait demandé à Thierry Wahl, inspecteur général des Finances, et à Julien Neutre, nommé l’été dernier directeur de la création, des territoires et des publics au CNC, de poursuivre leurs travaux pour aboutir à une charte d’engagements signée. Quant à l’Hadopi, elle avait confirmé à Edition Multimédi@ qu’elle était déjà prête à gérer la « liste noire » (8) des sites web coupables de piraterie d’œuvres que le gouvernement souhaite mettre en place. @

Charles de Laubier