Le géant américain Google s’adapte de plus en plus à l’Union européenne, de gré ou de force

Droit à l’oubli, protection des données, respect de la vie privée, concurrence sur son moteur de recherche, fiscalité numérique, investissement dans la culture, … Plus de quinze ans après sa création aux Etats-Unis, Google s’européanise – volontairement ou par obligation – chaque jour un peu plus.

Par Charles de Laubier

Carlo d'Asaro BiondoIl ne se passe plus une semaine sans que Google ne défraie la chronique européenne, souvent sur des sujets de fond, parfois sensibles. Bien que disposant de longue date d’un siège européen
à Dublin (Irlande) et ayant parmi ses dirigeants des Européens – comme depuis près de cinq ans maintenant le Franco-italien Carlo d’Asaro Biondo (photo), patron de Google pour le Sud et l’Est de l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (Seemea), basé et habitant à Paris –, ces « affaires » européanisent encore un peu plus chaque fois le géant du Net américain.

Formulaire pour le droit à l’oubli : une première mondiale
C’est le cas du droit à l’oubli confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dont un arrêt daté du 13 mai dernier permet aux internautes des Vingt-huit d’exiger de Google de supprimer toutes pages web et informations personnelles les concernant sur son moteur de recherche.
Le géant du Net a dû se plier à cette décision européenne en mettant en ligne le 29 mai
un formulaire à remplir par les candidats au droit à l’oubli ou soucieux de leur e-réputation. Lors d’une recherche, un message pourra signaler que les résultats ont été modifiés conformément l’arrêt de la CJUE et à la directive européenne de 1995 sur la protection des données personnelles.

Formulaire pour le droit à l’oubli : une première mondiale
C’est sans précédent pour le numéro un mondial des moteurs de recherche. Google s’étant engagé à traiter les demandes au cas par cas et non automatiquement, cela risque d’être fastidieux puisque 12.000 requêtes avaient été enregistrées dès le premier jour et plus de 40.000 au bout de quatre ! L’Europe compte 500 millions d’internautes potentiels… Le comité consultatif d’experts (2) mis en place par Google, et censé rendre son rapport
« début 2015 », risque d’être très vite débordé. Reste à savoir si le « G29 », le groupement des « Cnil » européennes (3) qui s’est réuni les 3 et 4 juin, trouvera le dispositif suffisant et conforme à l’arrêt de la CJUE, sachant que Google ne précise
pas dans quel délai il supprimera – uniquement sur le moteur en Europe… – les données concernées. Les « Cnil » veilleront aussi à ce que l’application du droit à l’oubli – par ce cénacle privé et en dehors de toute décision du juge – ne s’apparente à de la censure,
à de la violation de la liberté d’expression ni encore à de l’atteinte à la liberté de la presse.

Pas de « taxe Google » mais plus de TVA
Le G29 entend aussi amener Google à s’engager sur un « pacte de conformité » sur la protection des données personnelles, de façon à mieux informer les internautes. Et ce, depuis que le moteur de recherche américain a fusionné en mars 2012 une soixantaine
de règles d’utilisation en une seule – regroupant ainsi les données collectées de ses services auparavant séparés (Google, Gmail, Google+, YouTube, Picasa, Google Docs, Google Maps, …). La Cnil en France, qui pilote l’action du G29 vis-à-vis de Google, a
déjà infligé à ce dernier – le 8 janvier – une amende de 150.000 euros pour sa nouvelle politique de confidentialité des données jugée non conforme à la loi Informatique et Libertés (internautes mal informés, non respect du consentement préalable des utilisateurs avant tout cookie, absence de durées de conservation des données, combinaison illégale des données collectées). Google a dû afficher un temps sur la page d’accueil de Google.fr un encart sur sa condamnation. Là aussi, une première mondiale. Google a néanmoins saisi le Conseil d’Etat sur le fond contre cette sanction de la Cnil.

Autre domaine, et non des moindres, où Google va devoir s’européaniser un peu plus :
la fiscalité du numérique. Le géant du Net aura à se mettre en conformité – d’ici le 1er janvier 2015 – avec la nouvelle règle communautaire dite du « pays de consommation » (qui va progressivement remplacer celle du pays d’établissement du siège social). La
TVA sera en effet prélevée à partir de l’an prochain par le pays où l’internaute utilise les services en ligne. En fait, le compromis trouvé fin 2007 à la demande du Luxembourg prévoit un échelonnement progressive de cette règle du lieu de consommation, de 2015
à 2019, à savoir : 30 % conservés par le pays d’établissement en 2015-2016, 15 % en 2017-2018 et enfin 0% à partir du 1er janvier 2019. Cette nouvelle règle, applicable dans un peu plus de six mois maintenant, éloigne le spectre d’une « taxe Google » en Europe.
« L’économie numérique ne nécessite pas un régime fiscal distinct », a d’ailleurs conclu un groupe d’experts dans leur rapport sur la fiscalité de l’économie numérique (4) commandité par la Commission européenne. Quoi qu’il en soit, déjà sous le coup d’une procédure de redressement fiscal en France depuis 2012 pour un montant qui serait de l’ordre de 1 milliard d’euros, Google ne pourra plus pratiquer l’évasion fiscale en profitant du « dumping fiscal » pratiqué par certains Etats de l’Union européenne. C’est ainsi qu’ont été popularisés deux montages financiers baptisés « double irlandais » et « sandwich hollandais » qui auraient permis à Google d’échapper en grande partie à l’impôt en Europe grâce à une filiale située dans le paradis fiscal des Bermudes (où est située sa filiale Google Ireland Holdings). Cette double pirouette fiscale, a priori légale, est décrite en détail dans le rapport français « Colin & Collin » de janvier 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique. Pierre Collin est justement l’un des six experts du groupe de haut niveau qui vient de remettre son rapport. Google va devoir cesser cette optimisation fiscale. D’autant que l’Europe attend beaucoup du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, comprenez « érosion de l’assiette et déplacement des profits ») de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), laquelle doit présenter un rapport lors de la réunion du G20 en septembre prochain.

Autre « affaire » dans laquelle Google doit s’adapter aux exigences de l’Union européenne : celle du respect de la concurrence sur son moteur de recherche. Le commissaire européen chargé de la Concurrence, Joaquín Almunia, a bien l’intention de conclure
« après l’été » son enquête ouverte en novembre 2010 – à la suite de plaintes d’une dizaine d’entreprises – contre Google pour « abus de position dominante ». Il est reproché au géant du Net de favoriser ses propres services, via son moteur de recherche, aux dépens de ceux de ses concurrents. Pour éviter une amende pouvant aller jusqu’à 5 milliards de dollars, Google a présenté en février dernier de nouvelles concessions que
la Commission européenne semble prête à accepter. Mais c’est sans compter de nouvelles plaintes de 400 entreprises françaises et allemandes qui, regroupées dans une organisation baptisée Open Internet Project (créée à l’initiative notamment de Lagardère, CCM Benchmark et Axel Springer), accusent Google d’atteinte à la neutralité d’Internet
et des résultats de recherche. « Le secteur digital européen demande aux gouvernements européens de garantir une compétition loyale face au monopole de Google, en séparant son moteur de recherche d’une part et ses services d’autre part », a déclaré l’OIP.
Par ailleurs, la firme de Mountain View de plus en plus eurocompatible est confrontée
– en France principalement – aux tenants de « l’exception culturelle » qui exigent sa contribution financière (5). Comme gage de sa bonne volonté, Google a ouvert dès
2011 à Paris son Institut culturel. Mais cela ne leur suffit pas.

Financement de la culture européenne ?
L’« appel de Chaillot » du 4 avril demande à ce que « les diffuseurs contribuent au financement de la création ». Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, compte convaincre ses homologues européens d’adopter « une stratégie européenne pour la culture à l’ère numérique ». Une « feuille de route » sera proposée dans ce sens à la prochaine Commission européenne pour la période 2014-2019. @

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