L’accord entre Google et certains éditeurs de presse : un compromis bien imparfait

Le protocole d’accord conclu à l’Elysée le 1er février entre Google et l’Association de presse IPG soulève des problèmes financiers, commerciaux et concurrentiels, au risque d’être contesté devant l’Autorité de la concurrence. A moins que l’accord final prévu fin mars ne remédie à ces problèmes.

Par Christophe Clarenc (photo), associé et Céline Bonfils, collaboratrice, August & Debouzy

Depuis plusieurs années, les éditeurs de presse revendiquent et réclament un partage des recettes issues
du référencement par les moteurs de recherche des contenus publiés sur leur site internet. Ils estiment que les moteurs de recherche exploitent commercialement leurs propres contenus et tirent un revenu de cette exploitation, sans toutefois leur reverser une quelconque part de ce revenu.

Un accord au contenu incertain
Google, le premier moteur de recherche au niveau mondial, s’est toujours farouchement opposé à un tel versement et affirme que le référencement des contenus des éditeurs
de presse en ligne augmente l’audience de leurs sites d’information en ligne qui bénéficient par conséquent de recettes publicitaires accrues. C’est dans ce contexte qu’un protocole d’accord a été signé le 1er février dernier entre l’association de presse d’information politique et générale (IPG) et Google, en présence du président de la République française. Cet accord est présenté comme un « évènement mondial » et « historique »
(1). Cela étant, des voix se sont élevées en Allemagne, où le débat parlementaire est
en cours sur un projet de loi créant un « droit voisin », et en Suisse, où l’on rappelle l’existence d’un accord similaire signé entre Google et les éditeurs de presse belges
(voir encadré en p. 9).
En France, ce protocole d’accord – dont le contenu n’a pas été rendu public malgré
la demande du Spiil (2) reçu à l’Elysée le 28 février (voir interview p. 1 et 2), suscite
de multiples interrogations, voire l’irritation, de très nombreux acteurs du secteur de la presse (3) . Il y a fort à parier que ces interrogations et irritations ne disparaîtront pas
avec la signature de l’accord final prévue d’ici fin mars (4) dès lors que cet accord final, qui devrait également rester secret, se limitera selon toute vraisemblance à mettre en oeuvre les principes contenus dans le protocole du 1er février (5).
La mesure-phare prévue dans le protocole est la création d’un fonds doté d’un montant fixe de 60 millions d’euros, financé en totalité par Google. Cette somme, qui devrait être dépensée sur une période de trois ans, est présentée comme de nature à accompagner
la transition numérique de la presse française. Le fonds sera géré par un conseil d’administration, qui devrait être composé de sept membres : dont au moins deux personnalités indépendantes, des représentants des éditeurs de presse et un représentant de Google. Selon le médiateur Marc Schwartz (6), pressenti pour en
assurer la présidence, les projets sélectionnés par ce futur conseil d’administration devront être particulièrement innovants et destinés à faciliter la transition vers le numérique. Le protocole comporte également un volet commercial prévoyant la mise
à disposition par Google de certains de ses services de publicité en ligne.
En pratique, les éditeurs bénéficieront de conditions particulières pour commercialiser certains de leurs inventaires publicitaires. Cette partie de l’accord serait reconductible.
Sa teneur exacte ne devrait pas être révélée notamment en raison de la signature par les parties d’une clause de confidentialité.
Seule certitude, l’accord signé s’apparentera à un contrat cadre et les éditeurs de presse concernés pourront, seulement s’ils le souhaitent, conclure des accords d’application bilatéraux avec Google. Il n’y a en revanche aucune information sur le fait de savoir si l
a mise à disposition des services Google se fera à titre gratuit ou onéreux.

Un accord déséquilibré et restreint
Tous les éditeurs de presse ne sont pas concernés par l’accord. Seuls les éditeurs des 167 sites d’information politique et générale (7) pourront prétendre à percevoir une partie des sommes allouées par le fonds et bénéficier de la mise à disposition des technologies et du savoir-faire de Google. Ce champ d’application restreint s’expliquerait par le fait que c’est l’IPG, initialement créée en mai 2012 dans le but de proposer une « lex Google » (8), qui est à l’origine de l’ouverture des négociations avec Google et qui est la seule association signataire de l’accord. Pour les éditeurs de presse, cet accord n’apparaît pas de nature à régler de manière définitive le problème initial de la répartition des recettes issues du référencement de leurs contenus par les moteurs de recherche, dès lors qu’il ne prévoit qu’une somme fixe, dont la mise à disposition est au surplus conditionnée au lancement de projets, et tout cela pour une durée limitée.

Le problème de la rémunération des articles
Si jamais une ambiguïté pouvait subsister, il a clairement été indiqué lors de la signature du protocole d’accord que le fonds ne permettrait pas d’assurer le fonctionnement ou, à tout le moins, le subventionnement d’une activité de presse en ligne. En revanche pour Google, l’accord est de nature à présenter de multiples avantages. Financièrement d’abord, la création d’un fonds dont la dotation est fixée à l’avance, pour une durée limitée, est une sécurité. Par opposition, l’adoption d’une loi qui aurait institué un « droit voisin » aurait eu des conséquences financières difficilement quantifiables en amont, vraisemblablement plus importantes et n’aurait pas été limitée à trois ans. Le volet commercial ensuite, dont les contours sont flous, apparaît a priori de nature à permettre
à Google – qui a déjà fait l’objet de nombreuses plaintes pour ne pas avoir mis à disposition de ses concurrents ses technologies ou pour les avoir à mises à disposition dans des conditions non transparentes (9) – de prévenir d’éventuelles plaintes de la part des éditeurs de presse en ligne qui souhaiteraient accéder à ses technologies. À l’issue de son enquête sectorielle sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne, l’Autorité de la concurrence, dans son avis rendu le 14 décembre 2010 (10), avait identifié un certain nombre de « griefs » faits par les acteurs de la presse française en ligne à l’encontre de Google. Elle avait notamment constaté le fait que Google, grâce à Google Actualités, se positionne comme le site de référence de l’accès à l’information sans verser de contrepartie financière aux éditeurs de presse en ligne. Or, le protocole d’accord du
1er février n’apparaît pas de nature à remédier à ce problème. En outre, l’accord pourrait également être source de distorsions de concurrence. Les éditeurs de presse en ligne concurrents des éditeurs membres de l’IPG pourraient estimer que les contributions versées par le fonds aux membres de l’IPG leur procure un avantage concurrentiel non mérité. Les éditeurs, dont les projets ne seraient pas retenus pour bénéficier de ces contributions, pourraient également contester le caractère opaque et discrétionnaire du fonctionnement du conseil d’administration. De même, l’accès aux technologies de Google, permis par la partie commerciale de l’accord, pourrait être considéré comme
leur procurant un avantage concurrentiel manifeste sur le marché de la publicité en ligne. Les éditeurs de presse non bénéficiaires de l’accord pourraient alors être tentés de solliciter par plainte l’intervention de l’Autorité de la concurrence.

Un accord restrictif de concurrence ?
Cette tentation de saisir l’Autorité de la concurrence serait d’autant plus grande qu’une telle saisine pourrait a minima leur permettre d’avoir connaissance du contenu définitif
de l’accord qui ne devrait pas être publié (sauf intervention de l’Elysée).
En conclusion, on peut regretter que le protocole d’accord Google-Association de la presse IPG du 1er février présente autant de défauts, et ce d’autant plus qu’en l’absence de ce protocole, le problème de la rémunération des éditeurs de presse aurait été résolu par la voie législative, conformément aux annonces formulées par le gouvernement. @

ZOOM

Et pourquoi pas une « Lex Google » européenne ?
Bien avant la France, c’est la Belgique – suivie par l’Allemagne et la Suisse – qui a
montré la voie pour une « Lex Google ». L’accord signé entre Google et la Société de droits d’auteur des journalistes (SAJ) le 12 décembre 2012, dont le contenu est resté confidentiel, prévoit une indemnisation de la presse belge. Cet accord a été conclu
après la condamnation de Google par la cour d’appel de Bruxelles, pour avoir agrégé
des articles de presse en violation du droit d’auteur. En Allemagne, le débat parlementaire est en cours sur un projet de loi créant un “droit voisin”, et prévoyant que les éditeurs
de presse puissent négocier avec les moteurs de recherche et les agrégateurs de fil d’actualité une rétribution en contrepartie du droit de publier des extraits de leurs articles. La Suisse, elle, en appelle à une modification de la loi sur le droit d’auteur, similaire au projet de loi actuellement débattu en Allemagne (11). C’est à se demander si la Commission européenne ne devrait pas s’emparer du dossier pour harmoniser de tels accords sur le “marché unique numérique”. @