Ineffables Phablettes

Que dites-vous ? Quoi ? Une phablette…? Non, je ne
vois pas ce que c’est ? Hum… attendez… Ah oui ! Je me rappelle maintenant, ces terminaux qui eurent leur heure
de gloire entre 2013 et 2015. C’est vrai qu’on les a oubliés aujourd’hui, mais ces objets hybrides, mi-phone mi-tablet, attirèrent l’attention, moins par l’innovation dont ils étaient porteurs que par l’annonce de toute une nouvelle génération de terminaux. En fait, ils comblèrent un vide évident entre
les smartphones, et les tablettes. Ces « superphones », téléphones intelligents disposant d’un écran compris précisément entre 5 et 7 pouces
de diagonale, avaient le simple mérite de pouvoir être considérés à la fois comme un grand téléphone et comme une petite tablette. Une avancée pour tous ceux qui trouvaient que l’écran d’un smartphone était décidément trop petit pour profiter pleinement des services de l’Internet mobile, ou encore pour ceux qui étaient gênés par la taille de la tablette bien trop grande pour pouvoir tenir dans une poche. Finalement, il s’agit bien
d’un simple aménagement de gamme conçu par des équipes marketing consciencieuses, qui trouva rapidement sa place dans un marché des terminaux pour l’Internet mobile en pleine expansion. Il se vendit ainsi dans le monde plus de 200 millions de ces phablettes en 2016.

« Relevant d’un épiphénomène, les phablettes
marquèrent néanmoins le début d’une révolution permanente dans les terminaux mobiles. »

Régulièrement moqués lorsqu’il s’agissait de porter sa phablette à l’oreille pour téléphoner, les utilisateurs prirent la saine habitude de passer leur coup de fil avec une oreillette. Mais la phablette, en s’imposant comme un véritable calepin numérique utilisé au doigt ou au stylet, a surtout permis l’appropriation massive d’un terminal mobile comme assistant personnel universel.
Les équipementiers ne s’y sont pas trompés, qui se sont immédiatement lancés à l’assaut de ce segment du marché. Certains ont même eu l’intuition de ce filon, comme Dell qui proposa, sans succès, son Streak sous Android dès 2010. Mais c’est Samsung qui connut le succès fin 2011, en proposant son Galaxy Note – réintroduisant le stylet que
l’on croyait définitivement dépassé depuis l’introduction visionnaire de l’interaction du
doigt et de l’écran par Apple. LG, HTC, Sony suivis par Huawei et ZTE ont lancé successivement leurs propres modèles. L’occasion de prendre plus facilement des parts de marché sur un segment encore ouvert, quand celui des smartphones et des tablettes était déjà très structuré. L’occasion aussi de déstabiliser les leaders en lançant une offensive en règle avec des terminaux moins chers. Des acteurs très peu connus sont entrés sur ce marché, comme le chinois Neo, qui fit l’événement en lançant en 2013 une phablette à 120 euros. Le dernier venu, presque paradoxalement, ce fut Apple, qui dut se résoudre à lancer, avec retard, sa propre phablette, espace de marché qu’il avait délaissé entre l’iPhone et l’iPad mini. La période des phablettes, finalement un épiphénomène, confirma néanmoins le commencement d’une nouvelle ère de révolution permanente,
celle du monde des terminaux mobiles. Il était assez clair, dès le début des années 2000, qu’entre le PC et les tous premiers smartphones, il y avait la place pour un continuum de terminaux, encore à inventer. Comme la nature humaine a horreur du vide, la technologie banalisée occupa les niches d’usages délassées, tandis que les dernières innovations ouvraient de nouveaux espaces. Nec proposa un smartphone à deux écrans qui, une
fois ouvert, faisait office de phablette. La petite société chinoise, Fndroid, proposa un smartphone d’entrée de gamme fonctionnant sur la technologie E-Ink, les écrans à base d’encre électronique ne nécessitant presque aucune énergie pour fonctionner, autonomie record et gain de poids significatif.
Plus récemment, ce sont les écrans souples qui ont été introduits pour proposer de nouveaux terminaux toujours plus légers, tandis que la Fondation Mozilla, après l’entrée réussie de son OS Firefox comme OS alternatif au tout puissant Android, donna corps
à son projet Seabird, smartphone qui se transforme en ordinateurs grâce à deux pico-projecteurs latéraux permettant de disposer d’une vision sur grand écran et d’un clavier virtuel. Autant d’innovations reléguant les anciennes phablettes au rang d’objets de collection. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les web-programmes
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié
son rapport « LTE devices », par Basil Carle.