La presse espère être rémunérée par les moteurs de recherche dès 2013 sans être déréférencée

Les éditeurs de presse français se sont inspirés de l’exemple allemand, Lex Google, pour imaginer un projet de loi visant à obtenir une rémunération en échange de l’indexation de leurs contenus par les portails, les agrégateurs et les moteurs de recherche. Mais il y a un risque…

Par Christophe Clarenc (photo), avocat associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

L’idée d’une taxe rémunérant l’indexation des contenus des sites web des éditeurs de presse européens sur les portails d’information Internet n’est pas nouvelle. Réclamée de longue date par ces éditeurs et relancée par un projet de loi adopté fin août par le gouvernement allemand, une telle taxe pourrait également voir le jour en France.

 

Concrétisation d’une revendication lancinante
Dès 2006, les éditeurs de presse belges ont fait interdire en première instance, puis
en appel, le référencement par Google de leurs contenus sur l’agrégateur Google Actualités. En représaille, le numéro un mondial des moteurs de recherche a décidé d’arrêter purement et simplement de référencer leurs sites web. L’adoption le 29 août dernier par le gouvernement allemand d’un projet de loi surnommé Lex Google – qui prévoit la rémunération des éditeurs de presse par les moteurs de recherche agrégateurs d’articles d’actualité lorsque ces derniers indexent les contenus des sites web proposant des informations en ligne – a relancé le débat sur le sujet. Ce projet doit être prochainement discuté au Bundestag.
En France, l’idée fait son chemin depuis longtemps mais se fait plus insistante à cause notamment de la crise que traverse la presse. En 2009, il avait été envisagé de demander aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) d’augmenter la facture de leurs abonnés pour y inclure le financement des grands titres de presse (1). Plus récemment en 2011, un projet de taxe Google visait à compenser les pertes des industries de la création dues au piratage, en demandant aux moteurs de recherche possédant une régie publicitaire le montant des recettes qu’ils réalisaient (2).
Durant la campagne présidentielle, le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) a fait part de ses revendications aux candidats à la présidentielle. Il a ainsi proposé en février dernier que les FAI, les moteurs de recherche ou les fabricants de tablettes tactiles participent au développement du secteur, en suggérant l’instauration d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et d’une taxe sur les ordinateurs, tablettes et outils informatiques.
Finalement, au printemps dernier, les éditeurs de presse (3) – face à l’échec des négociations engagées avec Google à ce sujet – ont créé l’association de la presse IPG (Intérêt politique et général) en vue de préparer un projet de texte. Ce projet a été adressé début septembre à la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, à
la ministre déléguée à l’Economie numérique, Fleur Pellerin, ainsi qu’au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. L’étude sur la faisabilité technique du projet a été confiée à un inspecteur général des finances et à un conseiller d’État. Les éditeurs de presse espèrent qu’un projet de texte de loi pourra voir le jour d’ici la fin de l’année et être mis en oeuvre dès le début 2013.
Après avoir lourdement investi dans le développement de leurs sites Internet pour compenser le bouleversement de leur modèle économique par l’arrivée d’Internet, les éditeurs de presse papier se disent déçus du faible retour sur investissements. La diffusion gratuite de leurs contenus sur Internet, alliée aux annonces publicitaires publiées sur leurs sites web, ne leur a en effet pas permis de compenser les pertes subies dans la presse imprimée (4).

Rétablir l’équilibre journaux-agrégateurs
Or, les éditeurs de presse ont relevé qu’entre 2000 et 2010, pendant que la presse française perdait plus de 1milliard d’euros de chiffre d’affaires de publicité, les moteurs de recherche engrangeaient la même somme en revenus publicitaires tirés des pages web indexant des contenus publiés sur des sites de presse. Les internautes se contentent la plupart du temps du titre et du chapeau publiés par les moteurs de recherche à l’issue d’une demande. Ils ne ressentent pas nécessairement le besoin de cliquer sur le site des journaux, ce qui est considéré comme un important manque à gagner par les éditeurs de presse. Ces derniers estiment, dans ces conditions, que les moteurs de recherche ont exploité et continuent d’exploiter commercialement une valeur alimentée par leurs propres contenus sans leur demander l’autorisation et sans leur reverser une part du revenu de cette exploitation.

Un droit voisin équitablement rémunéré
Avec ce projet de loi, les éditeurs de presse souhaitent établir des relations plus équilibrées avec les moteurs de recherche et se garantir une part équitable des profits retirés par ces derniers. Le texte déposé par l’association IPG vise à mieux protéger la propriété intellectuelle des organismes de presse sur Internet (5). Il propose la création pour les organismes de presse d’un droit voisin au droit d’auteur des journalistes. En contrepartie de ce droit, une rémunération serait versée aux organismes de presse,
dès lors qu’un lien hypertexte renvoyant vers leurs contenus serait intégré à un portail d’information en ligne visant le public français. A l’inverse du projet allemand, il ne vise
pas uniquement les sites agrégateurs d’articles, mais l’ensemble des moteurs de recherche « en cas d’offre plurale de services, lorsque le service qui propose des liens occupe une place importante et substantielle » (6).
Par rapport aux autres droits voisins prévus pour les artistes interprètes, les producteurs de musiques (phonogrammes) et de films (vidéogrammes) et les entreprises de communication audiovisuelle, le droit voisin des organismes de presse bénéficierait d’un régime dérogatoire dans la mesure où la protection ne durerait que cinq ans – au lieu de 50 ans (7) – à compter de la première communication au public. Ce droit voisin serait fondé sur un principe de concessions réciproques par lequel les organismes de presse ne pourraient s’opposer au référencement de leurs contenus par les moteurs de recherche, afin de ne pas entraver l’accès des internautes à l’information.
Il ne serait pas nécessaire que chaque éditeur ait conclu un accord avec chaque moteur de recherche puisqu’une rémunération équitable et forfaitaire serait calculée par une commission paritaire dédiée réunissant la presse et les moteurs de recherche. Comme pour la musique (8), la rémunération serait perçue par une société de gestion collective qui répartirait les sommes perçues entre les organismes de presse, afin d’éviter de potentielles pratiques de prix abusivement bas.
Le chemin est cependant encore long jusqu’à l’éventuelle adoption d’un tel dispositif car les obstacles restent nombreux. En premier lieu, les moteurs de recherche font valoir que la rémunération des éditeurs de presse pour leurs contenus pourrait mener à réduire la variété de leur offre et finirait par porter préjudice aux internautes, lesquels n’auraient plus accès qu’à un nombre réduit d’articles de presse au sein de ces moteurs de recherche. Les Google Actualités ou les Yahoo News menacent même de renoncer à leurs portails d’agrégation d’informations, voire d’attaquer de tels dispositifs au niveau européen (9).
En Allemagne, l’opposition considère également que le projet de loi soumis au Bundestag ne profitera ni aux éditeurs de presse, lesquels seraient de plus en plus dépendants des géants du Web, ni aux journalistes ne bénéficiant que de commissions insignifiantes.
Pire : cela pourrait même entraîner la mort d’acteurs du Web incapables de rétribuer
les organismes de presse.
En second lieu, certains éditeurs de presse français auraient déjà signé des accords
avec des moteurs de recherche pour l’utilisation de leurs contenus contre rémunération. Selon toute vraisemblance, ces éditeurs seraient réticents à rentrer dans un système
qui leur offrirait une rémunération moindre que celle déjà négociée.
Les membres de l’association IPG estiment pour leur part que ce projet de loi aura des effets bénéfiques pour l’ensemble des acteurs concernés, « pour Google qui continuera de croître grâce aux contenus, pour les organismes de presse qui trouveront les moyens d’investir et pour les internautes qui trouveront une information de qualité et pluraliste » (10).
Ils peuvent compter sur le soutien de la ministre Aurélie Filippetti, qui estime qu’il « serait normal que ces moteurs de recherche contribuent à financer la vraie valeur ajoutée produite par les journaux ». Elle ajoute même que « le travail éditorial est fait par la presse, pas par ces plates-formes qui pourtant en tirent un profit commercial évident » (11).

Des obstacles restent à surmonter
Cela répondrait à la préoccupation ancienne des pouvoirs publics de voir instaurer une taxe sur les opérateurs d’Internet dont les revenus sont délocalisés dans des pays à fiscalité avantageuse. Tiraillée entre la volonté de faire participer les moteurs de recherche et le besoin de promouvoir ses contenus, la presse pourrait cependant être contrainte de fléchir une nouvelle fois face à la menace de déréférencement agitée par Google (qui détient le quasi-monopole de la recherche sur Internet avec 93,5 % de part de marché en France (12)) à chaque fois qu’un projet de régulation de son activité voit le jour. @