Netflix, Amazon, Yahoo, Microsoft, … : guerre des séries

En fait. Le 28 avril, Microsoft et Yahoo ont annoncé respectivement deux séries originales et des proprammes de télévision pour la Xbox. Le 23 avril, Amazon annonçait une exclusivité avec HBO pour des séries en streaming. AOL, Sony
et Disney investissent aussi, comme Netflix avec « House of Cards ».

En clair. Le marché des séries originales pour Internet a le vent en poupe. Depuis que
le leader américain des séries en streaming Netflix investit dans des films – comme
la célèbre série politique « House of Cards » ou la tragi-comédie « Orange is the New Black » – avec un budget global d’acquisition des droits proche des 3 milliards de dollars, les autres acteurs du Net eux aussi sur des oeuvres audiovisuelles. Les séries originales permettent aux grands sites de VOD et aux grands portails du Net de se différencier
sur le marché hyper concurrentiel de la vidéo en ligne, en fidélisant une audience et en captant de ce fait une part croissante des recettes publicitaires jusqu’alors dévolue aux chaînes de télévision classiques. Mais les séries exclusives coûtent cher à produire, même si les candidats à l’acquisition des droits ne divulguent aucun chiffre. Selon le Wall Street Journal, Yahoo investirait entre 0,7 et 1 million de dollar par épisode.

Or qui dit série, dit plusieurs épisodes (seize au total répartis à parts égales entre « Other Space » et Sin City Saints »), lorsqu’il ne s’agit pas de « saisons ». Ce qui démultiplie la note finale. Mais cela reste modeste comparé aux 100 millions de dollars que Netflix aurait investis dans la série « House of Cards ». Amazon, qui a aussi investi dans sa série politique « Alpha House », entend ne pas se laisser distancer par Netflix et multiplie les nouveaux programmes (« Mozart in the Jungle », « The After », …). Son accord exclusif avec HBO (1) (« Les Sopranos », « The Wire », …) lui coûterait entre 100 et 270 millions de dollars par an, selon des médias américains. Microsoft, que l’on n’attendait pas vraiment sur ce terrain, y va lui aussi de ses investissements pour rendre plus attractive sa console multimédia Xbox One. « Les jeux font partie de notre ADN depuis au moins
15 ans, la création de contenus télévisés originaux est l’étape suivante logique de notre évolution », a déclaré le 28 avril Jordan Levis, vice-président de Xbox Entertainment Studios. A partir de juin, il lancera sur la console des programmes télé « Xbox Originals ». La surenchère des exclusivités pousse Netflix à augmenter d’ici juin son tarif d’abonnement « d’un ou deux dollars selon les pays et seulement pour les nouveaux abonnés » (2). Reste à savoir si, par rapport à l’Irlande (3), le tarif en France sera d’emblée à 8,99 euros par mois. @

La fin des programmes ?

Enfin une pause télé en vue ! Un bon fauteuil et un écran connecté, avec en option un grignotage toujours un peu compulsif. Jusque-là, ça n’a pas vraiment changé. Mais pour regarder quoi ? En s’allumant, mon téléviseur m’a reconnu
et me fait trois propositions simultanées : la sélection du
« Top 5 » de mes programmes préférés, des propositions
de programmes « découverte » correspondants à mes goûts, ou un espace de recherche me permettant de rapidement trouver une vidéo sur Internet. En général, et en seulement deux clics, j’accède à un programme qui m’intéresse. La télé simple d’antan
est en fin de retour, après des années de calvaires et de systèmes complexes et peu intuitifs. Mais là où la simplicité des débuts était liée à la faiblesse de l’offre, la simplicité d’aujourd’hui repose sur des technologies logicielles sophistiquées pour guider nos choix dans le maquis des contenus et des programmes. Sur l’écran d’accueil, les logos des chaînes brillent de plus en plus par leur absence ! Rétrospectivement, la période de transition pour en arriver là a été longue, favorisant les aventures industrielles de startup, les développements des leaders d’Internet, des opérateurs télécoms et bien sûr des chaînes de télévision. Chacun développant une interface ou une plate-forme spécifique pour présenter, qui sa propre offre de programmes comme les chaînes, qui des offres
de VOD à l’acte (comme Vudu) ou par abonnement (comme Netflix). Au total, un maquis foisonnant de propositions toujours incomplètes.

« Après les blogs qui ont démocratisé l’accès à la publication de l’écrit, de nouveaux outils démocratisent
la production de la télévision ».

L’affrontement entre les chaînes et distributeurs de programmes, d’une part, et les géants de l’Internet et les fabricants de téléviseurs, d’autre part, a finalement conduit à un équilibre encore instable aujourd’hui. Les seconds sont montés régulièrement à l’assaut des bastions de la TV pour tenter de mettre la main sur leur triple magot : leur audience, leur espaces publicitaires et leurs contenus premium. Les géants de la « Vallée enchantée » s’y sont en effet repris à plusieurs fois : que ce soit Apple TV, d’abord limitée à la diffusion sur le téléviseur de l’offre de vidéos d’iTunes, ou Google TV, tentant d’imposer
la recherche comme mode d’accès privilégié aux vidéos. La firme de Cupertino a ajouté des contenus à son offre pour vendre toujours plus d’équipements, tandis que celle de Mountain View a fait de même pour vendre plus de publicités. A force, les positions
des chaînes se sont effritées sous les coups de boutoir de la concurrence. Les nouveaux entrants ont finalement réussi à imposer de nouveaux standards de navigation : une partie de l’offre des chaînes, lesquelles continuent de créer des programmes très attractifs désormais accessibles via des App Store, est encore visibles sur ces nouvelles interfaces. L’autre partie, noyée dans le grand bain des vidéos, est accessible via un moteur de recherche puissant, seule manière de garantir à l’utilisateur de trouver effectivement ce qu’il souhaite regarder. Et ce, en fonction des informations- clés l’aidant dans ce choix : éditeur, date, longueur, qualité, recommandations, gratuit ou payant, critiques et commentaires. La recherche et la recommandation sont ainsi devenues l’alpha et l’oméga, remplaçant les grilles de programme qui firent les beaux jours des magazines TV. Maintenant que la télévision linéaire n’est plus le modèle dominant, on parle plus aujourd’hui d’un vaste marché de la vidéo. Quelques chaînes à forte identité émergent encore, mais elles ne sont plus les seules capables d’investir dans des créations originales et dans le financement de la retransmission directe d’événements. Le marché audiovisuel est par ailleurs majoritairement alimenté par une infinité de contenus mis en ligne pas les producteurs de toutes natures, monétisant où non leur contenus : une salle d’opéra célèbre propose ses propre rediffusion en qualité HD ; un magazine d’information diffuse ses propre reportages ; des particuliers peuvent lancer leur propre émission en espérant la financer par des recettes de publicité hyper ciblée. Après les blogs qui ont démocratisé l’accès à la publication de l’écrit, ces nouveaux outils démocratisent la production de la télévision. Cela fait un an qu’une quasi inconnue réalise de chez elle l’émission culinaire la plus regardée du PAF ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Financement de la création par
les opérateurs télécoms
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’IDATE publie son service de veille
« Connected TV Watch Service », par Jacques Bajon.