Mash-up manifesto

Cette semaine, l’événement est la première grande rétrospective consacrée au Mash-up qui vient de
s’ouvrir au Grand Palais. Une manière de reconnaître
que les artistes à l’origine de ces œuvres, dites
« transformatives », sont des créateurs à part entière. Etonnantes, surprenantes, dérangeantes, amusantes,
ces œuvres sont bien issues d’un courant artistique majeur né de façon désorganisée. Apparues spontanément en l’an 2000, elles ont fleuri sur Internet grâce à la disponibilité d’une infinité de contenus et d’outils, très simples d’utilisation, permettant de réaliser ces fameux copier-coller, comme autant de possibilités de reproduire, découper, modifier des musiques, des photos ou des vidéos, voire des textes. Le Mash-up est
une composition originale réalisée à partir d’éléments hétérogènes, un assemblage numérique de morceaux visuels, sonores ou textuels provenant de sources très diverses. Le phénomène a d’abord démarré à l’initiative d’internautes s’amusant à détourner des fichiers musicaux, à créer des photos ou des animations, puis très
vite des vidéos réalisées à partir de clips vidéo ou de bandes annonces – donnant naissance à une nouvelle oeuvre souvent drôle et décalée.

« Vers une économie nouvelle de la combinaison
et de la réutilisation, naviguant entre les notions
de Creative Commons et de copyright revisités. »

Cet art ne s’inscrit-il pas dans la continuité de collages pratiqués par de nombreux artistes célèbres, cubistes de Braque et Picasso, surréalistes de Max Ernst ou poétiques de Prévert ? Sans parler des siècles de pratiques de l’emprunt ou de
la citation par les plus grands maîtres florentins jusqu’aux œuvres de Manet, Goya
ou Delacroix. Comme le Ready Made, un siècle plus tôt, marqua l’entrée dans une nouvelle ère, le Mash-up a ouvert un nouveau terrain de jeu pour les nouvelles générations d’artistes. Certains photographes ne s’y sont pas trompés, qui, dès 2011, par la voix d’un collectif comptant dans ses rangs le grand Martin Parr, signèrent un manifeste : désormais les choses seraient différentes car, à l’âge du numérique, les ressources sont illimitées et les possibilités infinies. Dès lors, les actes artistiques se sont multipliés, comme ce film Mash-up réalisé en 2013, « Globodrome » de Gwenola Wagon, proposant de refaire le Tour du Monde en 80 jours de Jules Verne à travers
des lieux visités par Phileas Fogg sur Google Earth grâce à des centaines de photos
et de vidéos prises par autant de photographes ou de caméras. Bien sûr, la loi a dû s’adapter pour définir un cadre réglementaire prenant en compte le droit des auteurs des contenus réutilisés dans certaines œuvres qui voyaient leurs cotes s’envoler. Des artistes se trouvaient dans la situation paradoxale de ne pouvoir présenter leur travail, car en but à ce que d’aucuns dénonçaient comme une véritable prohibition. C’est le Canada qui fut le premier pays au monde, dès 2012, à se doter d’une « exception Mash-up », permettant de faire prévaloir la notion d’oeuvre innovante sur le traditionnel copyright. L’usage « transformatif » fut mieux accepté aux Etats-Unis grâce à la tradition du fair use. Tandis que la France se prévalait d’une vision très restrictive, rejetant les œuvres dans les limbes de la contrefaçon.

Péniblement, l’Europe s’est également dotée d’un cadre légal basé sur l’élargissement
de l’exception de courte citation. Le Mash-up a également débordé le domaine de l’art et représente un potentiel d’innovation important par la fusion de multiples services Internet. Avec les quantités de données de l’Open Data, le Mash-up d’applications
offre la possibilité de livrer des applications Web rapidement, à faible coût avec des composants réutilisables. Ce gisement de création a pris des formes très diverses, allant de la création de services comme Pinstagram (combinaison de Pinterest et d’Instagram), au succès de très nombreuses start-up chinoises (Shan Zhai) qui utilisent autant la simple copie de sites Internet occidentaux à succès que le Mash-up pour créer de nouveaux services. Une économie nouvelle de la combinaison et de la réutilisation, naviguant entre les notions de Creative Commons et de copyright revisités, est bien
en train de se tailler une place au soleil. La preuve est désormais faite que la réutilisation peut être synonyme d’innovation. Ce que nous avait dit Max Ernst,
il y a bien longtemps : « Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la
colle qui fait le collage. » @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Les régulateurs
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/en2025).