Libra (Facebook) et Gram (Telegram) : deux projets de cryptomonnaies mondiales dans le collimateur

Les deux projets de monnaies virtuelles mondiales les plus en vue – Libra de Facebook et Gram de Telegram – sont dans le collimateur des régulateurs, notamment des autorités américaines. Leur créateur, Mark Zuckerberg et Pavel Dourov, doivent clarifier leurs intentions et protéger les investisseurs.

L’Américain Mark Zuckerberg (photo de gauche) et le Russe Pavel Dourov (photo de droite), respectivement cofondateur du réseau social Facebook et de la messagerie cryptée Telegram, ont maille à partir avec les Etats-nations qui entendent préserver leur « souveraineté fiduciaire » (battre monnaie). Depuis que ces deux jeunes geeks milliardaires – 35 ans tous les deux – veulent lancer leur cryptomonnaie mondiale, à partir de l’an prochain pour le Libra de Facebook et dès cette année pour le Gram de Telegram, tout est fait pour leur mettre de bâtons dans les roues.

Nouvelle monnaie ou transfert d’argent ?
La Securities and Exchange Commission (SEC), gendarme de la Bourse américain, a fait savoir le 11 octobre qu’elle avait obtenu en urgence de la justice américaine (tribunal fédéral de Manhattan) « une ordonnance de restriction temporaire » contre Telegram et sa filiale Ton Issuer qui étaient en train de lever des fonds – 1,7 milliard de dollars déjà atteints au moment du blocage de la SEC – en vue de lancer d’ici le 31 octobre la cryptomonnaie Gram. L’autorité des marchés financiers américaine, qui a confié l’instruction de cette affaire à sa propre « Cyber Unit » et à son bureau régional de New York, reproche à Telegram de ne pas avoir enregistré l’offre de la levée de fonds en cryptomonnaies, opération financière appelée ICO (Initial Coin Offering). « Telegram n’a pas fourni aux investisseurs les informations sur les activités commerciales de Gram et Telegram, sur la situation financière, les facteurs de risque et la gestion que les lois sur les valeurs mobilières exigent », a indiqué Stephanie Avakian, codirectrice à la SEC. Il s’agit de protéger les investisseurs (1). La SEC a justifié l’action judicaire en faisant remarquer que sur les 171 investisseurs ayant déjà acquis à la date de la saisine 2,9 milliards de digital token (jetons numériques) Gram pour 1,7milliard de dollars, 39 sont des acheteurs américains ayant déboursé 424,5 millions de dollars. Le succès de cette ICO (2) a été tellement fulgurant que Telegram a dû demander aux autres investisseurs potentiels d’attendre la fin du mois la disponibilité de Gram pour en acquérir. Le projet de Pavel Dourov avait été dévoilé début 2018 et s’appuie sur la blockchain de la plateforme Telegram Open Network (Ton) qui avait été présentée sous forme de livre blanc de 23 pages (3), après avoir été détaillée techniquement dès décembre 2017 en 132 pages (4). Le potentiel d’utilisation du Gram réside notamment dans le fait que la messagerie sécurisée compterait près de 300 millions d’utilisateurs. L’équipe de développement de Telegram a déménagé fin 2017, de Saint-Pétersbourg en Russie à Dubaï aux Emirats Arabes Unis. Mais la société Telegram Messenger LLP ellemême est enregistrée aux Iles Vierges britanniques. De son côté, Facebook a été auditionné le 23 octobre dernier une commission financière de la Chambre des représentants à Washington sur son projet Libra de monnaie numérique. Son président cofondateur Mark Zuckerberg a assuré que la Libra ne sera pas lancée sans l’aval des régulateurs financiers et qu’il s’agissait « plus d’un système de paiement mondial que de créer une nouvelle monnaie ». Son objectif est de « baisser les coûts des transferts d’argent dans le monde » et de proposer des prêts aux personnes dans le monde actuellement hors du marché des services bancaires : ils sont actuellement 1,7 milliard dans ce cas. Libra, que certains appellent « ZuckBuck » (buck voulant dire dollar), pourrait ne pas être adossé qu’au dollar mais aussi à d’autres devises, ce qui inquiète les régulateurs. Mais le PDG de Facebook est resté flou sur ce point. Facebook semble engagé dans une course contre la montre pour ne pas prendre du retard par rapport à Telegram.
Alors que Gram est conceptualisé dès 2017, Libra ne l’est qu’à partir du printemps 2018 avec la création d’une division « blockchain » chez Facebook et la publication d’un livre blanc de 12 pages pointant vers un extrait de 29 pages du document technique « The Libra blockchain » (5). Le groupe de Mark Zuckerberg s’était déjà lancé il y a dix ans dans une monnaie virtuelle (pas cryptomonnaie à l’époque) baptisée « Facebook Credits » mais, faute d’engouement des utilisateurs, elle a été enterrée en 2013 (6).

Libra : siège suisse et bureaux californiens
Cette fois, avec Libra, Facebook tient sa revanche pour séduire ses 2 milliards d’utilisateurs dans le monde. L’association Libra (7) a officiellement inaugurée son siège social à Genève en Suisse le 14 octobre dernier, cornaquée par finalement 21 membres fondateurs (8), mais ses bureaux sont en Californie. C’est à la Finma, autorité helvétique de surveillance des marchés financiers, qu’elle aura à montrer pattes blanches et des garanties contre le blanchiment d’argent. @

Charles de Laubier