Faute d’avoir anticipé la concurrence, l’ancien monopole Canal+ fait entrer Netflix dans sa bergerie

Face à la montée de la concurrence mondiale et puissante des plateformes de streaming, l’ancien monopole de chaîne cryptée Canal+ n’a pas anticipé et a perdu deux ans avant de réagir. Résultat : pour endiguer sa perte d’abonnés en France, la filiale de télévision de Vivendi pactise avec Netflix.

La fin des monopoles a toujours exigé des entreprises qui vivaient de cette rente de situation des remises en causes profondes. Encore faut-il s’y prendre assez tôt et anticiper. Canal+ savait depuis 2011 que Netflix allait tôt ou tard débarquer en France. Et ce qui devait arriver arriva : la plateforme de SVOD tant redoutée est lancée avec tambours et trompettes sur le marché français le 14 septembre 2014, à partir de… 7,99 euros par mois. De quoi tailler des croupières au « monopole » Canal+ et ses 39,90 euros mensuels.

« Canal+Netflix » à partir du 15 octobre
Or ce n’est qu’en novembre 2016 que la filiale « chaîne payante » de Vivendi procède à la refonte de son offre qui était jusqu’alors une véritable vache à lait. Il aura fallu plus de deux ans à Canal+ pour riposter à la déferlante des séries de Netflix. Un manque d’anticipation que la chaîne cryptée, alors dirigée jusqu’en 2015 par le duo Bertrand Meheut- Rodolphe Belmer, continue encore de payer très cher aujourd’hui. Mais en abaissant il y a trois ans son abonnement à 19,90 euros (au lieu des 39,90) et en n’introduisant un tarif spécial « jeunes » à 9,95 qu’en mai 2018, l’érosion des abonnés de Canal+ en France a continué. Les offres historiques de Canal+ ont enregistré une baisse de 230.000 abonnés en 2018, alors que Vincent Bolloré luimême, PDG du groupe éponyme et président du conseil de surveillance de Vivendi, a repris en main le groupe Canal+ en en assurant aussi la présidence du conseil de surveillance de septembre 2015 à avril 2018.
C’est à ce moment-là qu’entre en scène un nouveau duo à la tête de la filiale « télévision » de Vivendi : Jean-Christophe Thiery (photo), bras droit « médias et télécoms » du milliardaire breton et président de Bolloré Média, devient président du conseil de surveillance du groupe Canal+ ; Maxime Saada succède à Jean-Christophe Thiery comme président du directoire de ce même groupe Canal+. On fait croire au redressement. Pendant ce jeu de chaises musicales au « top management » de la chaîne du cinéma et du sport, Netflix gagne du terrain sur l’Hexagone. Dans Le Monde daté du 16 juin 2017, son PDG fondateur Reed Hastings déclare alors avoir dépassé les 1,5 million d’abonnés en France (4). Un an après, il y a un an donc, Netflix totalise 3,5 millions d’abonnés en France – avant de franchir début 2019 la barre des 5 millions d’abonnés, coiffant au poteau Canal+ France et ses 4,6 millions d’abonnés (hors bundle avec les opérateurs télécoms Free, Orange et Bouygues Telecom). Et comme pour enfoncer le clou, les 6 millions d’abonnés à Netflix ont été dépassés cet été. Alors même que Netflix a augmenté ses tarifs « multi-écrans » sur l’Hexagone depuis le 20 juin dernier (11,99 euros par mois pour deux écrans et 15,99 euros pour quatre écrans) – l’offre de base restant inchangée (7,99 euros pour un seul écran), au lieu de l’offre standard à 12,99 dollars outre-Atlantique. Ce traitement de faveur de Netflix envers le public français fait mal à Canal+ qui continue de perdre des abonnés à domicile : 167.000 en moins depuis le début de l’année au dernier relevé du 30 juin (dont -150.0000 en auto-distribués et -17.000 via les opérateurs télécoms). Le tout, assorti de la suppression contestée de plus de 500 postes.
Retournement de l’histoire : Canal+ a finalement pactisé avec son premier concurrent. A partir du 15 octobre prochain, la filiale de Vivendi commercialisera un pack « Ciné/Séries » au prix promotionnel de 15 euros supplémentaires par mois – soit un total de 35 euros par mois avec l’abonnement de base de Canal+ qui est obligatoire pour avoir cette offre « Canal+Netflix » (le pack passera ensuite à 39 euros). L’ancien monopole joue là son va-tout pour ne pas être « netflixé », comme d’autres secteurs ont été « ubérisés ». Mais comment ne pas voir dans cette alliance contre-nature une façon de manger à la table du diable avec une grand cuillère ? Si ce n’est faire entrer le loup dans la bergerie ! Le pack « Ciné/Séries » compte déjà 2 millions d’abonnés, tandis qu’ils sont par ailleurs 1 million en France à être abonnés simultanément à Canal+ et à Netflix. « La situation de Canal en France est celle d’une entreprise assiégée », a paradoxalement écrit Jean-Christophe Thiery dans une tribune parue dans Les Echos le 24 septembre dernier (5).

« Une concurrence forte et mondialisée »
En substance, le président du conseil de surveillance du groupe Canal+ impute plus la responsabilité de la déroute de l’ancien « monopole » sur « une concurrence forte et mondialisée, libre de toutes obligations vis-à-vis de la création française » que sur sa propre stratégie. Reste à savoir si son alliance avec son meilleur ennemi, Netflix, sera suffisante pour faire face aux autres nouveaux entrants que sont Amazon Prime Video et bientôt Disney+ (la major américaine étant partenaire en France de Canal+), Apple TV+, HBO Max, sans parler de BeIn. @

Charles de Laubier