Information et publicité : comment la presse se retrouve court-circuitée par les réseaux sociaux

La presse n’en finit pas d’être submergée par le tsunami numérique. Non seulement les réseaux sociaux prennent le relais dans l’accès à l’information, mais en plus ils rattrapent les journaux en termes de dépenses publicitaires. Facebook, Twitter ou Snapchat se font de plus en plus « médias sociaux ».

La presse imprimée se fait toujours plus cannibaliser par les sites web. Les habitudes de consommation de l’information ne cessent de donner la part belle à Internet.
Selon une étude de Médiamétrie, 38 % de la population en France déclarent accéder
à l’information en passant par les pages d’actualité sur Internet (à partir de portails web), les pure players de l’information en ligne (Slate, Mediapart, Huffington Post, Rue89, …) et/ou les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Google, Instagram, LinkedIn, … ).

La « délinéarisation » de l’info
Mais cette proportion de la population informée en ligne en dehors des médias traditionnels et de la presse online atteint 77 % dans la catégorie des 18-24 ans.
La jeune génération est suivie par les catégories socioprofessionnelles à hauteur de
49 %. Les réseaux sociaux sont plébiscités dans l’accès à l’information par 17 % des personnes interrogées, et même par 63 % des 18-24 ans qui les utilisent pour s’informer presque autant que les chaînes d’information en continu. Facebook est le premier à être utilisé comme média, cité par 83 % des utilisateurs de réseaux sociaux, suivi de Twitter pour 35 % d’entre eux et de YouTube pour 32 %.
Les journaux imprimés souffrent de cette « délinéarisation » de l’information, par analogie avec la délinéarisation des chaînes de télévision. Les réseaux sociaux offrent un accès à un « fil d’information » ou timline mis à jour en temps réel qui permet une
« personnalisation » de l’actualité en fonction des centres d’intérêt et préférences de l’internaute, voire les recommandations des membres de sa communauté connectée ou des algorithmes de suggestion du réseau social lui-même. L’information à la demande est à la presse traditionnelle avec sa pagination ce que le programme à la demande (replay) est à la chaîne de télévision avec sa grille. Si l’on revient à l’étude plurimédias « Actu24/7 » de Médiamétrie, plus de la moitié de ceux qui consultent les réseaux sociaux apprécient la capacité de ces dernier à proposer des contenus « personna-
lisés », centralisés et laissés au libre choix de l’utilisateur en fonction de ce qui l’intéresse. Les adeptes des réseaux sociaux s’informent d’abord, pour 84 % d’entre eux, en lisant les articles partagés par ses amis, mais sans que l’on sache quelle proportion de sujets proviennent réellement de la presse traditionnelle. Et ils sont plus de la moitié (51 %) à s’informer sur les réseaux sociaux en allant sur la page d’un média traditionnel.
La multiplication des partenariats presse-réseaux sociaux – Facebook Instant Articles, Facebook Live, Snapchat Discover, etc (1) (*) (**) – participe de cet échange. A contrario,
ils sont près de la moitié (49 %) à ne pas aller sur les sites de la presse classique.
Mais il y a un bémol à cet engouement pour les réseaux sociaux informationnels : leur note de satisfaction reste encore faible par rapport à celle de la radio, de la presse quotidienne nationale ou encore des chaînes d’information en continu. Les Facebook, Twitter et autres Google pêchent encore par manque d’analyses, de mise en perspective et de recul. Il n’empêche. Les réseaux sociaux, au déploiement fulgurant depuis quelques années seulement, prennent de l’ampleur et capitalisent sur leur immédiateté et instantanéité dans l’accès à l’actualité que l’on peut partager aussitôt avec son entourage. La société française Visibrain l’a bien compris, plateforme de
veille des médias en ligne créée en 2011, qui vient de lancer « Expresso News » pour recevoir par e-mail « le Top 10 des articles de presse les plus partagés sur les réseaux sociaux » (Twitter et Facebook).
Si la crédibilité de la presse traditionnelle, voire « institutionnelle », a été quelque peu mise à mal pour n’avoir pas vu venir tant aux Etats-Unis l’élection de Donald Trump comme président du pays qu’en France l’élection de François Fillon comme candidat de la droite, Internet en général et les réseaux sociaux en particulier ne sont pas exempts de critiques. En effet, rumeurs non fondées et fausses informations – même si les médias traditionnels peuvent aussi en être victimes – circulent sur Internet.

Zuckerberg : ombudsman du Net ?
Aux Etats-Unis, les réseaux sociaux ont été montrés du doigt (Twitter, Facebook, Google, …) et soupçonnés d’avoir « contribué à la victoire du républicain Donald
Trump ». Au point que le PDG fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a dû promettre mi-novembre de faire la chasse aux fausses informations ou hoaxes (canulars) – quitte à donner l’impression de s’autoproclamer grand régulateur du Net, ombudsman et conseil de presse en ligne. « Nous sommes persuadés qu’il faut donner la parole aux gens. [Mais] nous ne voulons pas être des arbitres de la vérité nous-mêmes », a-t-il admis sur son blog le 13 novembre dernier (2) face aux craintes de censures dans un pays où la liberté d’expression est consacrée par le premier amendement de la Constitution américaine. Et le patron du numéro un des réseaux sociaux (suivi par 78,5 millions d’« amis » sur son propre compte) de se faire encore plus prudent : « Je pense que Facebook pourrait faire beaucoup de choses pour lutter contre les fausses informations, et je pense que c’est quelque chose sur lequel tout le monde pourrait s’entendre. Mais s’il essaie de s’attaquer aux sites ayant des motivations idéologiques, il va inévitablement se trouver pris dans les guerres de culture ».

Facebook et Google : publivores
Cela n’empêche pas le réseau social de commencer à demander à ses utilisateurs
de dénoncer les titres d’articles trompeurs. Aux Etats-Unis, certains souhaitent que Facebook soit considéré comme une entreprise de médias – responsable pénalement comme un éditeur de presse l’est en cas d’infraction – et non pas comme une plateforme numérique neutre, faisant référence à son statut d’hébergeur à responsabilité limitée. Facebook a été accusé avant l’été dernier de faire des choix éditoriaux au détriment des Républicains conservateurs américains. Le groupe de
Mark Zuckerberg avait démenti.
Quoi qu’il en soit, selon lui, plus de 99 % de ce que les internautes voient sur Facebook est vrai ; seulement une toute petite partie relève de fausses informations et de hoaxes. Au lendemain de l’élection présidentielle américaine, il avait qualifié d’« assez dingue » l’idée que la publication massive de fausses informations sur Facebook ait pu favoriser la victoire de Donald Trump. Certaines d’entre elles affirmaient par exemple que
« Hillary Clinton appellerait à la guerre civile si Trump était élu », ou que « le Pape François soutient Donald Trump » !
Quoi qu’il en soit, le 15 novembre, Facebook et Google ont décidé de couper les revenus publicitaires des faux sites web d’information. Les régies publicitaires du moteur de recherche et du réseau social, en position dominante sur leur marché respectif, détiennent les plus grandes parts de marché de la publicité sur Internet.
« Nous allons commencer à interdire les publicités de Google sur les contenus trompeurs, de la même manière que nous interdisons les publicités mensongères.
(…) A l’avenir nous allons restreindre les publicités sur les pages qui dénaturent ou masquent les informations sur l’éditeur, ses contenus ou le but premier du propriétaire du site », a indiqué le géant du Net dirigé par Sundar Pichai. De son côté, Facebook va aller aussi dans ce sens : « Nous n’intégrons pas ou ne montrons pas de publicités dans des applications ou des sites dont le contenu est illégal, trompeur ou mensonger, ce qui inclut les fausses informations. (…) C’était jusqu’à présent sous-entendu, mais nous avons mis à jour notre politique pour clairement exprimer que cela concerne les fausses nouvelles ».
Au delà de la bataille de l’information entre presse traditionnelle et réseaux sociaux,
sur fond de crédibilité de l’information, la publicité en ligne est elle aussi un autre terrain d’affrontement et de cannibalisation entre les deux mondes médiatiques. Les dépenses publicitaires sur les réseaux sociaux devraient dépasser pour la première fois celles de la presse en 2020. Pour l’heure, au niveau mondial, la publicité sur les réseaux sociaux publivores devrait peser en 2016 quelque 29 milliards de dollars – soit 16 % des investissements publicitaires globaux. Mais selon l’agence média Zenith Optimedia du groupe Publicis, les réseaux sociaux devraient s’arroger 20 % de ce marché en 2019 en dépassant la barre des 50 milliards de dollars – à 50,2 milliards précisément.
La publicité dans les journaux, qui affichera cette annéelà les 50,7 milliards de dollars, est ainsi rattrapée par le tsunami numérique, avant d’être coiffée au poteau l’année suivante. Parallèlement, la publicité vidéo en ligne dépassera à cette même échéance la publicité à la radio. Facebook, Twitter et consorts profitent de la généralisation des smarphones qui consacrent le social mobile et le m-video. « Les publicités des médias sociaux s’intègrent instantanément dans les fils d’actualité et sont bien plus efficaces que les publicités interruptives sous forme de bannière, en particulier sur les appareils mobiles », explique Zenith Optimedia.

La presse perd de la pub
La presse écrite est le média qui accuse la plus sévère baisse des recettes publicitaires, comme l’illustrent les chiffres de l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep) sur les trois premiers trimestres de l’année 2016 en France :
– 6,6 % sur un an à 1,4 milliard d’euros (quotidiens nationaux et régionaux, ainsi que hebdomadaires régionaux, magazines et presse gratuite). La croissance des revenus publicitaires numériques des journaux, menacés par ailleurs par les ad-blockers et le refus préalable des cookies (3), ne compense pas la chute de la publicité commerciale imprimées et des petites annonces. @

Charles de Laubier