Donald Trump, élu 45e président des Etats-Unis, pourrait remettre Internet sous tutelle américaine

Le candidat Républicain à l’élection présidentielle américaine s’était opposé à la fin de la tutelle des Etats- Unis sur l’Icann, l’organisme de gestion mondiale de l’Internet. Elu le 9 novembre dernier 45e président des Etats-Unis, Donald Trump pourrait dénoncer la nouvelle gouvernance en place depuis le 1er octobre.

« Les Etats-Unis ne devraient pas remettre le contrôle de l’Internet aux Nations Unies et à la communauté internationale. Les Etats-Unis ont créé, développé et déployé l’Internet libre et ouvert sans censure gouvernementale – une valeur fondamentale enracinée dans l’amendement sur la liberté d’expression de notre Constitution. La liberté d’Internet est maintenant en danger avec l’intention du président [Barack Obama, en fonction jusqu’en janvier 2017, ndlr] de céder le contrôle à des intérêts internationaux, parmi lesquels des pays comme la Chine et la Russie, qui ont de nombreux antécédents dans la tentative d’imposer une censure en ligne. Le Congrès [composé aux Etats-Unis du Sénat et de la Chambre des représentants, ndlr] doit agir, ou la liberté d’Internet sera perdue pour de bon, dans la mesure où il n’y aura plus aucune façon de le rendre grand de nouveau une fois qu’il sera perdu ». C’est ainsi que Donald Trump s’est dit farouchement opposé au plan de Barack Obama de, selon son successeur, « livrer le contrôle américain d’Internet à des puissances étrangères ». Ces propos ont été rapportés le 21 septembre dernier par
son porte-parole Stephen Miller, directeur politique de sa campagne et auteur de nombre de ses discours. Mais depuis que Donald Trump a été élu le 9 novembre président des Etats-Unis, le communiqué faisant état de son opposition à la fin de
la tutelle américaine sur le Net a été supprimé du site web Donaldjtrump.com, mais Google en avait gardé une trace que Edition Multimédi@ a retrouvée (1)…

Internet s’est émancipé le 1er octobre 2016 des Etats-Unis
Son adversaire, la candidate Démocrate Hillary Clinton – battue au finish contre tous les pronostics, les sondages et la plupart des médias – s’était, elle, prononcée en faveur de cette émancipation de l’Internet. Une fois en fonction à la Maison Blanche,
à partir du 20 janvier 2017, Donald Trump pourrait tenter de remettre en cause la fin
du contrat qui est intervenu le 1er octobre dernier entre l’Icann (2) , l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet, et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (3). Surtout que les Républicains qui ont porté Donald Trump au pouvoir conservent dans la foulée le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat. Cette majorité parlementaire sur laquelle il pourra s’appuyer au Congrès sera un atout maître pour le nouveau président des Etats-Unis.

La Silicon Valley hostile à Trump
Cette émancipation de l’Icann de l’emprise américaine pour une gouvernance de l’Internet plus mondiale fut l’aboutissement d’un processus engagé et accepté par Washington en 2014. C’est sous la pression internationale que l’administration américaine s’est résolue à passer le flambeau. La fin de la tutelle américaine avait d’ailleurs été précipitées par l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial
pratiqué illégalement par les États-Unis. Née en 1998, l’Icann – société privée de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique – vient ainsi de couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir depuis le 1er octobre dernier une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale.

Son rôle est vital pour l’Internet car c’est elle qui supervise l’allocation et le maintien
des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les racines des noms de domaine et les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (4), département de l’Icann en vertu d’un contrat avec le DoC qui est arrivé à échéance le 20 septembre dernier. Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes au Congrès américain.
« La transition ne consiste pas pour le gouvernement américain à remettre Internet
à n’importe quel pays, entreprise ou groupe. La vérité est que personne, y compris
les Etats- Unis, n’a “un contrôle d’Internet” à remettre. La communauté des parties prenantes, qui a parfaitement coordonné depuis le début les systèmes de noms de domaine et d’adressage d’Internet, continuera à le faire ainsi », a tenu à mettre au
point l’Icann dirigée depuis le mois de mai par le Suédois Göran Marby qui a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’organisation désormais indépendante (5).
Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign, la une autre société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le coeur du Net pour que le Web fonctionne. Paradoxalement, malgré sa position pour un « Internet libre » sous l’emprise – ou l’empire – des Etats-Unis, le milliardaire Donald Trump n’a jamais été en odeur de sainteté dans la Silicon Valley, pourtant fief de l’Icann et des GAFA. Il faut dire qu’en marge de ses propositions pour revoir de fond en comble la cybersécurité du pays,
via une « Cyber Review Team » à mettre en place (oubliant au passage son appel
cet été aux hackers russes pour retrouver les e-mails perdus d’Hillary Clinton…), le candidat Républicain est allé jusqu’à proposer de « fermer une partie d’Internet pour des raisons de sécurité » !
A part quelques critiques envers des entreprises hightech emblématiques – Apple pour fabriquer ses appareils à l’étranger (6), AT&T-Time Warner comme « une trop grande concentration de pouvoir dans trop peu de mains » (7), et Amazon à propos du niveau de ses impôts –, Donald Trump n’a pas vraiment mis le numérique au coeur de son programme présidentiel. Cette lacune et par ailleurs son racisme lui ont valu l’hostilité de ténors de la Silicon Valley tels que les (co)fondateurs d’Apple, Facebook, Twitter, Wikipedia, eBay et Flickr (respectivement Steve Wozniak, Dustin Moskovitz, Evan Williams, Jimmy Wales, Pierre Omidyar et Caterina Fake), parmi 150 chefs d’entreprises high-tech qui ont signé l’été dernier une lettre ouverte pour mettre en garde l’Amérique : « Trump serait un désastre pour l’innovation » (8).
William Kennard, ancien président de la FCC, et Tim Wu, professeur de droit à la Columbia University qui a théorisé le principe de neutralité du Net (Trump a critiqué ce principe en 2014), sont aussi signataires. D’autres, comme Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, et Jeff Bezos, le fondateur PDG d’Amazon et propriétaire du Washington Post, se sont déclarés contre Trump. Cela n’a pas empêché Google ou Facebook
de financer la campagne du magnat de l’immobilier… Finalement, l’ultralibéral
« libertarien » tendance anarchiste de droite Peter Thiel, milliardaire cofondateur de PayPal et investisseur de la première heure dans Facebook (dont il est membre du conseil d’administration), fut quasiment le seul dans la Silicon Valley pro-Démocrate
à se féliciter de la victoire de Donald Trump, candidat qu’il a soutenu publiquement.

Le ticket gagnant de Peter Thiel
Le 31 octobre, devant le National Press Club, Peter Thiel a même dénoncé
« l’aveuglement » de la Silicon Valley quant à la situation réelle de l’Amérique.
Dans une interview dans Le Monde daté du 27 février dernier, il déclarait, à propos de
« grande stagnation » de l’économie : « Il faut trouver une solution, sinon les réponses seront apportées par des personnes comme la présidente du Front national, Marine Le Pen, ou par le candidat à l’investiture républicaine aux Etats-Unis, Donald Trump ». Dont acte. @

Charles de Laubier