La tentative d’un retour à un triopole rappelle de bien mauvais souvenirs (entente illicite et prix élevés)

C’était fin 2005 : le « triopole mobile » de l’époque – Orange, SFR et Bouygues Télécom – écopait d’une amende record de 534 millions d’euros pour constitution de cartel afin de préserver leurs parts de marché et des prix élevés. Ce précédent historique devrait dissuader de retourner à trois opérateurs télécoms.

Ce fut le 30 novembre 2005 – il y a maintenant plus de dix ans – que les trois opérateurs mobiles Orange, SFR et Bouygues Telecom avaient été condamnés à, d’une part, une sanction pécuniaire de 442 millions d’euros pour entente illicite sur trois ans (2000-2002) revenant à se répartir le marché et, d’autre part, à 92 millions d’euros pour avoir échangé régulièrement des informations confidentielles (1) sur le secteur durant plusieurs années (1997-2003).

UFC-Que Choisir, garde-fou
Ces 534 millions d’euros furent, faut-il le rappeler, l’amende la plus élevée jamais infligée – tous secteurs confondus – par le Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la concurrence). Cette entente illicite avait permis aux trois opérateurs de ce « cartel mobile » de stabiliser leurs parts de marchés respectives et de maintenir des prix élevés. A l’époque de ces comportements anticoncurrentiels, la France commençait à peine à dépasser les 20 millions d’abonnés mobile (2) et plusieurs études y soulignaient un faible taux de pénétration du mobile par rapport à d’autres pays européens, tout en relevant des tarifs « supérieurs » à la moyenne. La fédération des consommateurs UFC-Que Choisir (3), dont Alain Bazot (photo) est le président depuis 2003, avait été
à l’origine de la plainte devant le Conseil de la concurrence, le 22 février 2002, avant qu’elle ne saisisse, le 13 octobre 2006, le tribunal de commerce de Paris pour démontrer le lien direct entre la faute du « triopole » et le préjudice subi par leurs abonnés. Un peu plus de dix ans après, UFC-Que Choisir a mis en garde le 5 janvier dernier contre un rapprochement Orange-Bouygues Telecom, dont les « discussions » – initiées par Martin Bouygues luimême – avaient été officialisées le jour même, qui aboutirait à un retour au triopole, avec cette fois Orange, SFR et Free. Stéphane Richard, PDG d’Orange, a estimé le 12 janvier que les discussions ont « une chance sur deux » d’aboutir… « Attention danger ! », a lancé UFC-Que Choisir, en craignant cette « configuration qui faisait de la France le pays où les prix des abonnements [mobile] étaient 25 % plus élevés que la moyenne européenne et qui avait donné lieu
à des pratiques sévèrement condamnées par le Conseil de la concurrence ! ». Pire, cette opération aboutirait à réduire également à trois le nombre de fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI), dans le fixe, « en faisant disparaître l’acteur jouant depuis peu le rôle d’agitateur du marché » – à savoir Bouygues Telecom, qui a lancé sa Bbox fin 2008.
« Il est primordial, prévient UFC-Que Choisir, que les consommateurs soient assurés que ces discussions n’entraînent pas une entente sur les stratégies commerciales
à venir des opérateurs. (…) Les consommateurs se souviennent que, suite à la condamnation de l’entente dans le domaine de la téléphonie mobile, il avait fallu attendre sept ans pour que le marché soit redynamisé ! [avec le lancement de Free Mobile en 2012, ndlr] ».
De son côté, l’association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), que préside depuis 2004 Reine- Claude Mader (4), a également réagi en voyant dans le rapprochement Orange-Bouygues Telecom « une menace à la fois pour la richesse
des offres proposées et pour le niveau tarifaire de nos abonnements », en rappelant elle aussi la condamnation historique de 2005. Elle met aussi en garde contre une concentration du marché français des télécoms, dont l’indice dit HHI (5) serait de plus de 3.400 points, soit un niveau risqué pour le bon fonctionnement de la concurrence. D’autant que le nouvel ensemble Orange-Bouygues Telecom détiendrait près de 50 % des parts de marché dans ce secteur en France, sans préjuger des cessions d’actifs qui pourraient être exigées. C’est au gouvernement – l’Etat est outre actionnaire d’Orange à 24 % – d’en décider in fine, même si l’Autorité de la concurrence, l’Arcep et, éventuellement, la Commission européenne auront leur mot à dire. Tandis que la prochaine assemblée générale du groupe Bouygues, le 21 avril prochain, sera décisive.

L’Autorité de la concurrence préfère à 3
Lorsque la rumeur a commencé à courir sur un tel rapprochement, le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, avait déclaré sur France Info le 17 décembre 2015 : « Soyons clairs. Pour la concurrence, quatre opérateurs, c’est mieux que trois. Qui pourrait dire le contraire ? (…) Mais faut-il avoir la religion de quatre et dire que la concurrence est uniquement une affaire de nombres ? Certainement pas ». Il s’exprimait alors que les sages de la rue de L’Echelle venait d’infliger – encore !
– une amende record pour un seul opérateur télécoms… A savoir : 350 millions d’euros à Orange pour entrave à la concurrence sur le marché des entreprises (6). @

Charles de Laubier