Pas sûr que Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou Publie.net soient dans l’illégalité

La saisine de la médiatrice du livre par Fleur Pellerin pourrait finalement être salvateur et aboutir à lever l’incertitude juridique qui entoure ces nouvelles offres forfaitaires illimitées d’accès à des catalogues d’ebooks, lesquelles répondent à une demande des lecteurs. Car il serait impensable que Laurence Engel, la médiatrice du livre, en arrive – en cas d’échec de la conciliation – à saisir la juridiction compétente pour lui demander d’ordonner la cessation de ces nouvelles plateformes de lecture en ligne qui, si cela était démontré, seraient contraires aux lois n°81-766 du 10 août 1981 (loi
« Lang » sur le prix du livre) et n°2011- 590 du 26 mai 2011 (prix du livre numérique), toutes deux ayant été modifiées par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 (consommation).

L’accès temporaire et la loi de 2011
Faudra-t-il interpréter différemment la loi – voire la préciser – plutôt que de fermer des plateformes innovantes ? « Les utilisateurs de Youboox n’obtiennent pas la propriété des livres numériques qu’ils consultent. Par conséquent, la loi du 26 mai 2011 et le décret du 10 novembre 2011 ne sont pas applicables à notre activité, qui est parfaitement légale », a assuré Hélène Mérillon (photo), la cofondatrice et présidente
de Youboox, dans un droit de réponse publié par ActuaLitté le 15 octobre dernier et transmis par son avocat Emmanuel Pierrat. « Ces livres sont mis à sa disposition temporairement (s’il reste abonné) dans l’application Youboox, au fur et à mesure de
la lecture. Ils ne sont à aucun moment téléchargés dans leur intégralité, ni transférés », a-t-elle expliqué en se défendant de vouloir ainsi « contourner la loi » comme le laissait penser explicitement l’article incriminé (1) mis en ligne le 31 juillet 2014. Car, selon elle, la licence d’utilisation de ce mode d’exploitation des livres numériques est exclue du périmètre de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique : son article 2 (premier alinéa) parle de « prix de vente au public » que doivent fixer l’éditeur : « Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public. Ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Cela suppose, soutiennent Hélène Mérillon et Emmanuel Pierrat, la transmission de la propriété d’un livre numérique, ce qui n’est pas le cas dans les offres de ebooks en streaming puisque ces derniers sont accessibles temporairement – le temps de la validité de l’abonnement. Avec Kindle Unlimited, Youboox, Youscribe, Izneo, ePoints ou encore Publie.net, il n’est donc pas question de « prix de vente » mais de licences d’usage temporaire (le temps de l’abonnement). Pourtant, le décret semble prendre en compte ces nouvelles « modalités d’accès ou d’usage » dans son article 2 : « Les modalités d’accès au livre numérique s’entendent des conditions dans lesquelles un livre numérique est mis à disposition sur un support d’enregistrement amovible ou sur un réseau de communication au public en ligne, notamment par téléchargement ou diffusion en flux (“streaming”). Les modalités d’usage du livre numérique se rapportent notamment […] à la durée de mise à disposition du livre numérique ». Alors, le prix unique du livre s’applique-t-il aussi bien à la vente qu’à la location ? A la cession et au prêt ? Au téléchargement définitif et visionnage en streaming ? Nous l’avons vu, la loi de 2011 précise que « ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage ». Est-ce à dire que les éditeurs et les plateformes doivent se mettre d’accord sur les prix des ebooks, qu’il y est vente ou location, au risque de tomber dans l’ornière de l’entente illicite sur les prix ? A moins que l’on admette une bonne fois pour toute que les abonnements « illimités » de ces nouvelles bibliothèques en ligne ne soient ni de la vente ni du prêt, mais un accès temporaire aux livres numériques, un usage éphémère des ebooks qui ne tombe pas sous le coup de la loi « Lang » modifiée en 2011.

Ne pas opposer la loi à l’innovation
Dans ce cas, la France devra se rendre à l’évidence : l’éditeur ne plus être le seul maître du jeu tarifaire en toute circonstance. Pas sûr que la médiatrice du livre puisse démêler seule l’échevau d’ici le début du mois de février. La question que Fleur Pellerin, la ministre de la Culture et de la Communication, aurait dû poser à Laurence Engel, c’est de savoir si la France est prête à accepter un nouveau modèle économique pour le livre. Car, une fois de plus, l’innovation technologique et les nouveaux usages des consommateurs vont bien plus vite que le train législatif. @

Charles de Laubier