Chaînes TV : les survivantes

Pendant des années, les professionnels de l’audiovisuel
ont joué à se faire peur, attendant que se reproduise pour la télévision le même scénario noir qui emporta les majors de la musique. Ce syndrome aurait pu entraîner une décroissance des services linéaires et de leurs services
de rattrapage, de – 4% par an sur plus d’une décennie, faute de services à la demande arrivant à compenser
cette baisse. Un tel scénario aurait été le résultat d’une combinaison de facteurs négatifs : piratage massif impossible à endiguer, succès des programmes gratuits et de Pay-TV à faible prix,
et surtout basculement de la consommation de TV linéaire vers la consommation à
la demande. Et ce, sans augmentation du temps total consacré à la vidéo.

« La TV linéaire a bien baissé de – 1 % par an entre
2013 et 2025, tandis que les services à la demande ont progressé de près de 20 % par an sur la même période. »

La catastrophe annoncée ne s’est finalement pas produite. La mutation du marché
a bien eu lieu, mais à un rythme différent : la croissance des services à la demande s’est globalement ajoutée à celui de la télévision linéaire. Cette dernière a finalement maintenu sa capacité d’attraction comme support publicitaire de masse, à laquelle s’est ajoutée la publicité qualifiée attachée à la VOD. Quant au piratage, il a été contenu grâce à la multiplication des offres légales adoptées progressivement par une génération pourtant habituée des plates-formes illégales. Et les offres à péage à bas coût se sont généralisées, séduisant les foyers jusqu’alors hermétiques aux services premium. Au final, le marché de la TV linéaire a bien connu une baisse régulière, de près de – 1 % par an entre 2013 et 2025, tandis que les services à la demande ont progressé de près de 20 % par an sur la même période. Ainsi, le « marché naturel » des chaînes – la télévision linéaire et son extension en rattrapage (replay) – s’est lentement érodé. Tandis que la croissance du secteur de l’audiovisuel provenait de segments où, par contre, les chaînes étaient soumises à une forte concurrence (VOD, SVOD, plates-formes vidéo financées par la publicité). Si la mort rapide et souvent annoncée de la TV linéaire ne se vérifiera sans doute pas avant les prochaines décennies, la lente érosion de sa position dominante suffit déjà à faire monter la pression qui est devenue insupportable pour le fragile équilibre économique de ces acteurs historiques. Au cours de ces dix dernières années, sur un marché ralenti et
aux ressources disputées, les chaînes ont dû affronter la concurrence directe avec les
« nouveaux entrants » de l’Internet. L’une des premières conséquences a été la concentration des chaînes de télévision, à commencer par les chaînes thématiques aux programmes non exclusifs (musiques, catalogues, séries, …). Les grandes chaînes, elles, sont devenues des portails qui captent l’audience en organisant des événements en direct aux heures de grande écoute, tout en proposant une programmation à la demande mais « re-linéarisables ». Pour survivre, elles ont dû investir dans la production originale leur permettant de se différencier non seulement de leurs concurrents mais aussi de leurs propres fournisseurs souvent américains. Les éditeurs de télévision rescapés ont étendu leur couverture géographique, afin d’optimiser l’exploitation des programmes, tout en soignant leur ancrage local. Pour se distinguer durablement des géants du Net, leur offre repose sur une combinaison de services gratuits et payants, leur survie tenant à leur capacité à intégrer production et gestion des droits. Seule la puissance de leur marque et de leurs exclusivités leur permettent aujourd’hui de garder le contrôle de leur portefeuille d’abonnés et d’être référencés sur tous les terminaux connectés, sans laisser la maîtrise de leur commercialisation à d’autres opérateurs.
En tant que « télénaute » multi-écrans, ma consommation audiovisuelle est majoritairement à la demande. Mes choix reposent sur les recommandations de mes réseaux sociaux. Je m’abonne à des packages de programmes complémentaires personnalisés ou paie pour des événements. La publicité étant intégrée aux programmes, finis les spots liés aux chaînes ! Je garde le direct pour de grands shows interactifs et m’informe en suivant en direct des journalistes sur le terrain (loin des studios obsolètes des JT). Surtout, j’ai une liberté totale : je peux interrompre n’importe quel programme pour le reprendre sur tous mes écrans. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Création collaborative
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier
son rapport« Future TV 2025 », par Gilles Fontaine.