La feuille de route du gouvernement pour le très haut débit : le plan de la dernière chance

Pendant que le chef de l’Etat parlait le 20 février d’« ambition numérique de la France », le Premier ministre fixait à 20 milliards d’euros l’objectif de « connecter 100 % des foyers au très haut débit d’ici 10 ans ». La feuille de route numérique accélèrera-t-elle le déploiement de la fibre ?

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Les ministres Fleur Pellerin (Economie numérique) et Cécile Duflot (Egalité des territoires) ont réuni le 13 février 2013 les acteurs concernés (industriels, opérateurs, associations d’élus locaux et parlementaires, …) en prévision de la présentation de la feuille de route numérique définitive du gouvernement
le 28 février. Si les acteurs privés se font peu entendre, les représentants des collectivités ont d’ores et déjà largement commenté les propositions gouvernementales intitulées
« Stratégie nationale de déploiement du très haut débit ». L’accueil, généralement favorable, reste teinté de prudence. Car si les objectifs semblent clairs, les modalités de mise en oeuvre doivent être largement précisées.

Les collectivités prônent la fin du cuivre
Le projet de feuille de route consacre un volet important au fait qu’il n’est pas soutenable financièrement, en particulier pour les projets de réseaux publics, de voir coexister les deux réseaux, cuivre et fibre. Il propose d’envisager, avec l’opérateur historique, les conditions opérationnelles, juridiques et financières d’une extinction progressive du
cuivre.
Toutefois, le sujet est loin d’être simple et il n’est pas sûr que France Télécom partage
le même enthousiasme que les collectivités dès lors que le cuivre continue à lui fournir une rente importante, tant en matière d’abonnés que de dégroupage. Il va donc falloir déterminer la valeur de ce réseau historique qui rapporte beaucoup et fait travailler
des milliers de personnes. Ne vaudra-t-il plus rien dans quelques années ? Or, selon
le gouvernement et les collectivités, l’extinction du cuivre est une condition sine qua
non pour sécuriser les investissements publics et privés en matière de fibre optique,
en particulier dans les zones les moins denses. Si le projet de feuille de route ne fixe
pas d’objectif court terme à cette extinction du cuivre, les élus souhaitent, eux, que ses modalités soient fixées rapidement : « dans un délai d’un an », précise même l’Avicca (1). De son côté, la FNCCR (2) propose de fixer à 2025 la date butoir d’extinction du cuivre et recommande un basculement complet « dans le délai d’une année », là où la fibre est déjà déployée. En réalité, il est probable que l’extinction du cuivre ne sera possible que lorsque les personnels de France Télécom affectés à leur entretien soient partis à la retraite.
La mission Très haut débit propose de mobiliser deux outils financiers pour les investissements des collectivités locales. D’une part, l’accès aux prêts des fonds d’épargne assis sur le livret A (compte tenu des 20 milliards d’euros qui seraient dégagés par l’augmentation des plafonds de l’épargne réglementée), et d’autre part, l’« alimentation d’un fonds de subventionnement à partir de 2014 pour pérenniser l’accompagnement mis en place par le Fonds pour la société numérique ». Ce qui a priori devrait confirmer le statut « mort-né » du Fonds d’aménagement numérique du territoire (FANT) prévu par le précédent plan THD d’Eric Besson mais qui n’a jamais été créé ni abondé. Selon l’Avicca, le dispositif retenu permettrait d’améliorer l’économie des déploiements des collectivités sur trois points majeurs : les recettes propres via l’extinction du cuivre, les aides via une meilleure péréquation nationale et les financements via l’accès aux prêts sur fonds d’épargne. Mais d’autres points majeurs restent en suspens : l’abondement régulier et pérenne d’un fonds de péréquation national, les taux auxquels les collectivités pourront recourir aux prêts sur fonds d’épargne, les modalités de soutien aux collectivités en cas de défaillance des opérateurs dans les zones non denses dites AMII (3), les conditions
de la poursuite des aides étatiques aux déploiements au-delà de 2017.

Interventions : public versus privé
Les règles européennes (4), le cadre réglementaire mis en oeuvre par l’Arcep et les
« conditionnalités » de l’appel à manifestation d’intérêt dans les zones non denses
(AMII) proscrivent l’intervention des collectivités à la fois dans les zones rentables et
non rentables. Ceci continue de générer des difficultés dans la gestion des projets publics, tant en creusant leur déficit économique qu’en posant des problèmes d’articulation entre les initiatives privées et publiques qui ont objectivement des intérêts divergents. Or, les mêmes acteurs privés sont d’abord en concurrence directe dans les zones très denses, ensuite ils doivent coopérer « librement » dans les zones AMII pour mutualiser leurs investissements et, enfin, contractent des partenariats publics privés sur les territoires peu denses.

Conventions « équilibrées mais exigeantes »
L’ensemble des intérêts contradictoires en présence ne peut qu’échapper à des collectivités locales soucieuses de préserver un aménagement numérique équitables
de leurs territoires. Des dispositifs de négociation et de coordination sont en cours
de mise en oeuvre, notamment au travers des schémas directeurs d’aménagement numérique (SDAN), cependant ceux-ci ne sont pas aujourd’hui opposables aux opérateurs. Le projet de feuille de route propose, lui, que des conventions locales
« équilibrées mais exigeantes » détaillent les engagements des opérateurs privés,
en termes notamment de calendrier de déploiement, et précisent les modalités d’appui opérationnel des collectivités territoriales concernées. C’est oublier un peu vite que nous ne sommes plus dans une situation vierge de tout précédent : des opérateurs privés ont déjà commencé des déploiements, des initiatives publiques ont déjà été mises en oeuvre, des conventions AMII entre opérateurs et collectivités ont déjà été signées. Comment tenir compte de l’existant et harmoniser l’hétérogénéité des modalités d’intervention enclenchées fait partie du problème. Quant à la montée en débit, qui est une solution privilégiée par nombre d’élus pour rééquilibrer les territoires (notamment avec l’arrivée
du VDSL2) en attente de l’arrivée plus lointaine du FTTH, elle reste un sujet largement débattu.
Si la mission Très haut débit promet franchement un soutien financier à différents
réseaux (5), elle se montre en revanche très prudente dans son soutien à des projets
de fibre optique déployés dans le cadre d’opérations de montée en débit. En effet, ces investissements réalisés pour prolonger la fibre optique depuis l’ancien nœud de réseau (NRA) vers le nouveau nœud de réseau (NRA-MED) représenteraient des coûts importants et ne seraient que très partiellement réutilisables par un futur réseau FTTH. Aussi, comme le souligne l’Avicca, la problématique posée est de savoir comment
« soulager temporairement la fracture numérique à moindre coût, afin de passer le
plus rapidement possible au FTTH ». Ce d’autant plus, que la question de la comptabilité des opérations de montée en débit sur la boucle de cuivre avec le FTTH n’est pas résolue et que l’offre de référence MED de France Télécom lui redonne un monopole de fait
(voir ci-dessous) sur l’exploitation sur l’accès à la nouvelle boucle locale (FTTn).
Le projet de feuille de route confirme le principe de la liberté de choix des collectivités territoriales et de l’échelon local d’intervention, tout en envisageant que « le programme
de soutien national accorde une prime aux projets de grande envergure et notamment
de taille supra-départementale », considérés comme moins risqués et facteurs d’une meilleure cohésion territoriale. Il tente de mettre en place les structures et les outils
d’une coordination nationale.
Ceci consiste notamment à faire évoluer la mission Très haut débit vers une structure pérenne de pilotage dotée de moyens suffisants afin d’assurer des missions étendues
(6). Cette proposition rencontre d’ores et déjà l’aval des élus qui souhaitent participer à
la gouvernance de cette structure, considérant que les collectivités assurent plus de la moitié des besoins de financement et portent l’essentiel du risque commercial : 4 des 8 milliards d’euros nécessaires pour apporter du très haut débit à la moitié de la population française, soit un peu moins de 7 millions de foyers, d’ici fin 2017. La feuille de route de
la mission sur le très haut débit n’est guère diserte sur le volet législatif ou réglementaire nécessaire à la mise en oeuvre de son plan, alors que certains acteurs comme
l’Avicca ou les signataires de l’appel de Valence (7) l’estiment nécessaire pour que
« les dispositions essentielles du passage au très haut débit soient gravées dans
la législation » @.

FOCUS

Ce que la feuille de route de la mission Très haut débit ne dit pas
Curieusement, personne ne suggère de remèdes à la position ultra dominante que progressivement, discrètement et à son propre rythme, France Télécom construit
sur la future boucle locale optique – faute d’une régulation efficace. Personne non plus
ne soulève la question de l’encadrement réglementaire de l’extinction du cuivre ou celle
de la pertinence des modèles d’interventions locales, telles que les délégations de service public (DSP). Ces dernières, créées pour développer des réseaux de collecte publics, voient en effet leur modèle économique de plus en plus fragilisé du fait de la baisse radicale des tarifs des offres de gros d’accès haut et très haut débit de France Télécom, et de l’ardente obligation de transition vers le très haut débit tout en évitant les risques de résiliation des conventions de DSP en cours et/ou liés à une remise en concurrence. @