Jeux de société, le retour

peine ai-je rejoint mon fauteuil dans la salle déjà plongée dans le noir que j’entame une expérience cross media encore inédite entre cinéma et social gaming. Au cœur d’images immersives à couper le souffle, mon avatar va commencer une traditionnelle partie d’échecs avec l’acteur-titre du film. Tout autour de nous, les avatars des membres de mon réseau social retiennent leur souffle. N’est-ce pas
la survie de notre système solaire qui se joue à travers cette ultime partie ! Que de chemin parcouru en quelques années. Les jeux vidéo, qui envahissent toujours plus de domaines, ont très tôt su tirer parti du formidable tremplin que représentent les réseaux sociaux. Ce nouveau segment du social gaming, qui en 2012 pesait déjà 36 % du marché du jeu en ligne (soit 13 % du marché du jeu vidéo global), enregistre une croissance telle que, dès 2016, il dépassa la barre des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial.

« Finalement, il était temps que la dimension sociale
vienne aux jeux vidéo, tant le jeu se joue en société
depuis ses origines les plus anciennes. »

Par « jeu social », il faut comprendre tous les jeux, quel que soient leurs genres,
pratiqués dans le cadre d’un réseau social. L’intérêt est de jouer avec les « contacts »
de son réseau social, les « amis » dans le cadre de Facebook, qui donnent tout leur sens aux valeurs de compétition ou de coopération : comparaison de scores, demande d’aide pour atteindre un objectif, partage des sensations, … A ce titre, plus on est de fous mieux c’est ! L’expérience du joueur est en effet d’autant plus riche que le nombre de joueurs participant au même jeu est important, chaque joueur étant toujourmédis
au courant de ce que font les autres grâce à la présence de bandeaux informant de l’avancée d’un joueur, des publications dans le fil d’actualité du joueur, de l’envoi de notifications, … Né au coeur de la révolution Facebook, les spécificités et les frontières du jeu social ont fortement évolué au rythme des transformations des plates-formes elles-mêmes, mais également, en sortant de ce cadre initial. Le succès a en effet incité les autres segments du jeu vidéo à intégrer une dimension sociale. Ainsi, aujourd’hui,
la plupart des jeux vidéo – sur console, sur ordinateur ou sur mobile – peuvent être qualifiés, d’une certaine manière, de jeux sociaux.
Mais avant d’en arriver là, les grands éditeurs de jeux sociaux ont dû s’émanciper de
la tutelle initiale de Facebook, allant même jusqu’à créer, dans certains cas, leur propre portail de jeux sociaux. Pendant ce temps, les acteurs traditionnels du jeu vidéo ont
tardé à saisir les opportunités de cette nouvelle tendance et à développer leur offre pour Facebook. Tous y ont cependant trouvé un moyen d’attirer de nouveaux utilisateurs et une extension de leur modèle économique, à l’instar d’un Disney investissant massivement dans un catalogue Social Games. On est donc loin de l’époque pionnière où un seul acteur, Zynga, faisait l’actualité du marché, à travers des jeux occasionnels et de gestion de mondes virtuels – comme ses fameux Farmville, Cityville ou Castleville, …, alors largement majoritaires. Les jeux d’action et d’arcade ainsi que les jeux de rôle ont ensuite rapidement investi ce nouvel espace, suivi de
près par des jeux de plus en plus variés dans les catégories stratégie et combat, dont ceux développés par Kabam ou Kixeye qui ont littéralement explosé en 2014.
L’arrivée de nouveaux outils graphiques et l’accroissement des performances des plates-formes ont permis le développement de jeux sociaux proposant une expérience de plus en plus riche : des graphismes de plus en plus travaillés et en ultra haute définition, intégrant la 3D, des sons et des musiques très élaborés, sans oublier des gameplay permettant de jouer en temps réel. Des jeux sociaux qui n’ont aujourd’hui rien à envier aux autres jeux les plus époustouflants du catalogue. Finalement, il était temps que la dimension sociale vienne aux jeux vidéo, tant le jeu se joue en société depuis ses origines les plus anciennes.
De retour dans mon fauteuil, je dois maintenant bien avouer que j’ai dû quitter l’arène par la petite porte après un lamentable échec et mat, sous les regards navrés des membres de mon réseau social, pour laisser à des héros plus qualifiés que moi le soin de mettre, pour un temps, notre planète à l’abri. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Les phablettes
* Directeur général adjoint de l’IDATE. Sur le même thème,
l’institut a publié son rapport
« Social Gaming : Marchés et tendances 2012-2016 »,
par Laurent Michaud et Audrey Grel.