La Spedidam persiste et signe contre six plates-formes Internet, dont le leader iTunes

La Spedidam, qui gère les droits de 74.000 artistes-interprètes, se pourvoit en cassation pour réaffirmer que ses musiciens membres ont autorisé la vente de leurs musiques sur supports physiques (CD/DVD, vinyle, …), mais pas sur Internet (téléchargement, …).

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Le développement de la vente dématérialisée de musique, permis
par le progrès technologique et l’évolution des habitudes de consommation sur Internet, a conduit ces dernières années à de vifs débats sur le partage des revenus générés par ce mode d’exploitation en ligne. L’enjeu est de taille, puisque le marché numérique, en progression sur un an de 25,7 % en 2011, serait en passe de supplanter des ventes physiques que certains prévoient, à terme, comme anecdotiques.

Six plates-formes en cause, dont iTunes
La Société de gestion des droits des artistes interprètes (Spedidam), qui gère les droits d’environ 74.000 artistes-interprètes dits « de complément », avait posé en 2006 la question des droits de ces derniers vis-à-vis de la commercialisation de leurs prestations sur les plates-formes de téléchargement légal. Pour ce faire, elle a assigné six d’entre elles – iTunes (Apple), Fnac direct, Universal Music (Vivendi), Virgin Mega, Nokia et Sony – en vue de voir reconnaître la nécessité d’obtenir une autorisation spécifique des artistes pour la vente en ligne de leurs musiques enregistrées, distincte de l’autorisation recueillie lors de l’enregistrement pour la vente de supports physiques (1). Déboutée en première instance (2), la Spedidam vient à nouveau d’être désavouée par la cour d’appel de Paris à travers six arrêts en date du 7 mars 2012 (3), qui confirment que l’autorisation donnée par l’artiste pour la mise à disposition du public sous forme de « phonogramme » du commerce vaut indifféremment pour les enregistrements fixés sur support physique (CD, vinyle) et sur support dématérialisé (fichier numérique). Au passage, la cour d’appel de Paris confirme avec force sa position sur la qualité à agir des sociétés de gestion collective dans l’intérêt individuel des membres de la profession qu’elles représentent (voir encadré). Sur le fond, l’enjeu des décisions du 7 mars 2012 était de savoir si la commercialisation sur Internet par téléchargement correspondait à une exploitation de « phonogramme », telle qu’autorisée par l’artiste-interprète lors de l’enregistrement, ou bien si une telle exploitation modifiait la destination de l’utilisation, obligeant en vertu du principe de spécialité à recueillir une autorisation spécifique de l’artiste pour cet usage qui serait alors considéré comme secondaire. Pour la Spedidam,
il s’agissait – au-delà de la simple question juridique relative à la portée de l’autorisation prévue à l’article L.212-3 du CPI – de donner aux artistes-interprètes la possibilité de recevoir une nouvelle rémunération en échange de l’autorisation de cette utilisation « secondaire ». La réponse à cette question dépendait de la définition donnée à la notion de « phonogramme du commerce », contenue dans les autorisations signées par les artistes : le phonogramme est-il uniquement un objet tangible, tel qu’un CD, un vinyle ou même une clé USB ? Ou bien peut-il s’agir aussi d’un fichier numérique ? En d’autres termes, le support du phonogramme peut-il être indifféremment matériel ou immatériel ? La cour d’appel de Paris – comme l’avait fait le tribunal de grande instance – répond par l’affirmative à cette question, en faisant primer l’idée d’équivalence fonctionnelle des supports : « La qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante de l’existence ou non d’un support physique ; qu’il en résulte que le phonogramme, séquence de sons fixée quel qu’en soit le mode de fixation, ne se confond pas avec “l’objet tangible” mis à la disposition du public dans les bacs des disquaires ». En d’autres termes, un « phonogramme » peut être indifféremment fixé sur un objet physique ou sur un fichier numérique, l’autorisation d’exploitation pour l’un valant pour l’autre.

Du numérique matériel ou immatériel
Selon les juges, la Spedidam a donc eu tort – en invoquant les références à des « copies » et autres « exemplaires » contenues dans la Convention de Rome du 26 octobre 1961 (4)
et dans le Traité OMPI (5) du 20 décembre 1996 (6) – d’affirmer dans une approche matérialiste que le « phonogramme » renvoyait nécessairement à une fixation de sons sur support physique. Pour la cour d’appel, un « exemplaire » ou une « copie » n’est pas nécessairement tangible, le support pouvant être immatériel.
La Spedidam affirmait par ailleurs, en se fondant sur les directives européennes « DADVSI » (7) (n°2001/29 du 22 mai 2001) et « Droit de location et prêt » (n°2006/115 du
12 décembre 2006) qu’il existait une différence entre le droit de « publication à des fins
de commerce » (de copies physiques) et le droit de « mise à disposition du public à la demande » (de supports dématérialisés), et qu’en conséquence une autorisation pour
l’un de ces droits ne valait pas pour l’autre, puisque le changement de destination caractériserait une exploitation secondaire soumise à nouvelle autorisation. Ce à quoi
la cour d’appel répond que « la circonstance qu’un phonogramme ainsi défini puisse être transmis sous forme dématérialisée n’en change ni la nature, ni la destination ; qu’il demeure en effet identique à lui-même s’il est incorporé dans un support matériel tel qu’un disque vinyle microsillon ou chargé sur un disque dur d’ordinateur, une clé USB, ou un téléphone mobile, et comporte la même destination, qui est d’être écouté par celui qui en
a fait l’acquisition ». La Cour d’appel oppose donc ici une approche fonctionnelle du droit des artistes-interprètes à l’approche matérielle prônée par la Spedidam. Malgré la nette confirmation sur le fond par la cour d’appel du jugement de première instance la déboutant, la Spedidam – qui dénonce le « contrôle d’Internet par les majors du disque » et le « caractère inique de la situation de l’utilisation de la musique sur Internet » (8) – continue
de soutenir qu’en signant les feuilles de présence, les artistes-interprètes ont autorisé
la réalisation de supports physiques pour la vente en magasin, mais pas la mise à disposition par voie de téléchargement. Elle a donc annoncé son pourvoi en cassation, ainsi que sa saisine des instances européennes afin de voir sanctionné le « non-respect répété par la France de ses engagements internationaux ». La Spedidam, attachée comme on le sait à l’avènement d’une licence globale pour les exploitations de musique sur Internet, ne s’est jamais satisfaite de la signature de la convention collective de l’édition phonographique en 2008, laquelle prévoit une rémunération spécifique (au moment du versement du cachet) pour les exploitations par voie électronique (9). En effet, cet arrangement – qui permet aux producteurs de n’obtenir qu’une autorisation pour l’exploitation sur tous types de supports – ne pallie pas le fait que nombre d’artistes-interprètes dont les phonogrammes sont aujourd’hui exploités en ligne ne pouvaient prévoir et valoriser sous forme de cachet la future vente par téléchargement sur Internet de leurs prestations.

La Spedidam persiste et signe
Pourtant, force est de saluer le pragmatisme des juges qui choisissent par leur interprétation de donner une certaine flexibilité au texte de la loi du 3 juillet 1985 sur les droits voisins pour lui permettre de s’adapter à la diversification des supports de consommation. Et ce, plutôt que de forcer, par une interprétation trop stricte (d’autres diront « matérielle »), à un amendement législatif. @

FOCUS

Le musicien, la société de gestion collective et l’intérêt à agir
Les « sociétés de perception et de répartition des droits » (dites SPRD) ont « qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge ».
C’est le cas de la Spedidam lorsqu’elle assigne devant la justice six plates-formes de téléchargement, respectivement iTtunes (Apple), Fnac direct, Universal Music (Vivendi), Virgin Mega, Nokia et Sony. Mais cet « intérêt à agir » n’est pas, selon les six arrêts de
la cour d’appel de Paris datés du 7mars 2012, recevable lorsque le musicien artiste interprète n’est pas membre de la SPRD (10). La cour d’appel de Paris s’était déjà prononcée, dans une décision du 16 février 2011 (n°07/21996) portant sur une affaire surnommée « On connaît la chanson », sur la nécessité pour la SPRD de prouver l’adhésion dudit artiste. @