Sites pirates : moteurs de recherche, régies pub et systèmes de paiement appelés à la rescousse

Imaginez le moteur de recherche Google, la régie publicitaire Hi-Media et le système de paiement Paypal obligés, tout comme les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), de boycotter les sites web de piratage sur Internet. C’est ce que les Etats-Unis pourraient imposer par la loi.

Si l’une des deux propositions de loi « anti-piratage » actuellement débattues aux
Etats-Unis devait être adoptée en 2012, la lutte contre les sites sur Internet favorisant
le téléchargement illégal et la contrefaçon serait élargie à tous les acteurs du Net.
Le premier texte appelé Protect Intellectual Property (IP) Act a été introduit devant la Chambre des représentants le 12 mai ; le second intitulé Stop Online Piracy Act a été déposé au Sénat le 26 octobre.

Haro sur les sites « dévoyés » à l’étranger
La portée d’une telle loi, si elle devait aboutir, concernerait l’ensemble du Web mondial car sont visés tous les sites situés à l’étranger et portant atteinte à l’économie de la création et à la propriété intellectuelle. Avec ces deux textes distincts, les parlementaires américains – qu’ils soient démocrates ou républicains – veulent en effet mettre au ban de la société de l’information les « sites web dévoyés » (rogue websites). Il s’agit d’obliger l’ensemble des différents « intermédiaires techniques » américains de l’Internet à « geler » toutes leurs relations commerciales ou liens (contractuels ou via des hypertextes) avec les sites web étrangers « délinquants » qui seraient jugés coupables de violations systématiques des droits d’auteur ou de contrefaçon. Ainsi, le Protect IP Act (1) et le Stop Online Piracy Act (2) veulent donner aux juges américains le pouvoir d’identifier et d’envoyer des mises en demeure ou des injonctions obligeant non seulement les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) mais aussi les gestionnaires
de noms de domaine (DNS), les fournisseurs de solutions de paiement en ligne, les établissements bancaires, les régies de publicités online et toutes les sociétés de référencement d’informations sur le Web – dont les moteurs de recherche, les sites d’indexation, les répertoires en lignes (mentionnant liens hypertextes ou adresses
de sites) – de ne plus faire état du site pirate et de cesser toute activité avec lui. Ce boycotte électronique permettrait, selon les parlementaires américains, d’éradiquer
le téléchargement illicite, les violations au copyright et la contrefaçon. Si le procureur général (attorney general) prononçait une telle décision, un boycott en chaîne se mettrait en place aux Etats-Unis contre les sites web incriminés. Par exemple : le leader du micropaiement Paypal et le géant des cartes bancaires Visa devront bloquer les paiements vers ce site ; les moteurs de recherche Google et Yahoo devront le dé-référencer ; les agences de publicité Microsoft Advertising et Hi-Media auront obligation de cesser d’y placer des annonces publicitaires ; les FAI comme Orange et Free devront mettre à jour leurs serveurs DNS pour rediriger les internautes et les mobinautes cherchant ce site en infraction vers une page leur indiquant la mesure d’interdiction prononcée à son encontre. Le juge veillera cependant à ce que soient dans le collimateur les sites web dont l’activité principale est le piratage comme Newzbin en Grande-Bretagne (lire l’article juridique de Winston Maxwell p .8 et 9) mais non pas les autres sites étrangers qui pourraient se retrouver par exemple avec des vidéos contrefaites comme Dailymotion en France. Quelles sont les chances pour ces deux propositions de loi d’être adoptées et promulguées aux Etats-Unis ? « La proposition de loi “Stop Online Piracy Act” va encore plus loin que celle du “Protect IP Act”, et pose plus de problèmes au regard du Premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté d’expression et de la presse. Le “Protect IP Act” semble plus équilibré. De toute façon, Barack Obama reste prudent par rapport à une loi “anti-piratage”, laquelle ne devrait pas être adoptée avant les élections présidentielles, prévues aux Etats-Unis le 6 novembre 2012 », explique Winston Maxwell, avocat,
à Edition Multimédi@.
Les deux textes en discussion risquent en outre de heurter le principe de la Net Neutrality et pourraient contrarier la volonté de l’administration Obama de garantir à l’international un Internet ouvert. Washington serait plus enclin à favoriser des accords avec les FAI sur la base du volontariat, plutôt que de légiférer de manière radicale comme le proposent les Protect IP Act et Stop Online Piracy Act.

La prudence de la Maison Blanche
Le 7 juillet 2011, Victoria Espinel, responsable pour
la propriété intellectuelle au sein du gouvernement étatsunien, a clairement souligné
– sur le blog de la Maison Blanche (3) – que l’accord « anti-piratage » conclu le jour
même entre les FAI et les ayants droits de la musique et du cinéma (4) était conforme
à « notre stratégie d’encourager les efforts volontaires ». Ce Memorandum of Understanding (MoU) ressemble à une « réponse graduée » mais sans volet pénal,
une sorte de « version privée de l’Hadopi » (5) selon propre termes de Winston Maxwell. Reste à savoir qui de l’auto-régulation ou de la législation l’emportera en 2012. @

Charles de Laubier