Droits d’auteur digitaux

Un auteur peut-il exister sans droit d’auteur ? La réponse nous semble évidente. Car ce droit, qui s’apparente à un droit de propriété, est entouré d’une aura quasi-naturelle, intemporelle et inaliénable. Pourtant, rien n’est plus inexact tant le droit d’auteur varie dans le temps et l’espace. Et c’est à la faveur
de la pression constante de la numérisation des œuvres qu’a resurgi un débat, en réalité très ancien. Il nous a fallu, pour
en prendre conscience, une longue période inachevée de remises en cause et de polémiques.
L’histoire passionnante d’un droit qui est tout sauf une évidence. Il fut même un temps
où la notion de droit d’auteur n’existait pas : un Adam de la Halle vivait, comme un Mozart cinq siècles plus tard, des représentations de ses œuvres et du bon vouloir de ses maîtres.

« De nombreuses sociétés nationales de gestion de droits d’auteur discutent de la constitution d’un catalogue universel des œuvres au niveau international. »

Déjà, c’est bien une révolution technique qui fut à l’origine des premiers changements. L’imprimerie, en permettant la duplication des livres, incita les libraires anglais à se protéger en obtenant le monopole de leur guilde, dès la fin du XVIIe siècle, sur le droit
de copie. Et c’est sous la Reine Anne, en 1710, que fut promulguée la première loi connue établissant les principes du copyright. En entérinant le rôle-clé des imprimeurs, elle limitait leur monopole fraîchement acquis, afin de prendre en compte le besoin de diffusion à un public de plus en plus large. On le voit, l’auteur, alors considéré plus comme un compilateur que comme un créateur, comptait pour peu. Il fallut attendre le XVIIIe siècle pour que le génie propre de l’auteur s’impose et soit gravé dans le marbre des premières lois révolutionnaires françaises de 1791 et 1793. Tous les éléments du débat actuel étaient posés.
Le XXe siècle s’est adapté sans difficulté à l’évolution spectaculaire des moyens de reproduction de masse, des livres, de la musique et des vidéos. A tel point que ces lois semblaient immuables. Mais la numérisation des contenus et leur mise en réseau sont venues tout bouleverser. Les grandes batailles passées sont revenu sur le devant de
la scène : comme John Milton publiant en 1644 un libelle en faveur de la liberté d’impression, ou comme Lamartine, Hugo ou Walras se battant pour la reconnaissance de la propriété intellectuelle au milieu du XIXe siècle, les auteurs du XXe siècle ont pris la parole, sinon les armes, pour faire part de leurs inquiétudes. C’est moins leur paternité qui était alors remise en cause que leur capacité à préserver la rémunération de leur travail. La question est toujours au cœur du débat avec la copie privée. Considérée longtemps comme une exception au droit d’auteur, il a bien fallu convenir que l’exception était devenue la règle.
Toutes les tentatives de sanctuarisation du droit d’auteur se sont successivement heurtées à un principe de réalité déterminé par la technologie et les usages. Le cimetière des techniques de contrôle, de filtrage ou de protection de type DRM est immense. Ultraviolet, le standard que tenta d’imposer l’industrie du cinéma en 2011 dont le mérite était d’être soutenu par 55 leaders (hors Apple et Disney) avait encore
le défaut de poser des contraintes, certes plus souples, mais toujours impossibles à appliquer : une famille pouvait ainsi utiliser une vidéo sur douze terminaux différents dans la limite de six personnes par foyer. Dans les faits, les voies d’accès au public sont aujourd’hui diverses et les modes de rémunération des auteurs aussi. Les éditeurs se sont, bon gré mal gré, adaptés en diffusant désormais une part dominante de versions électroniques et en réinvestissant dans leur cœur de métier. Des circuits alternatifs et courts se sont imposés, allant de la promotion directe de certains auteurs via leur propre site au financement d’artistes par les internautes. Des licences globales, un temps très contestées, ont aussi émergé. Quant aux nombreuses sociétés nationales de gestion de droits d’auteurs, elles sont enfin en train de se regrouper et discutent de la constitution d’un catalogue universel des œuvres au niveau international. Si personne n’est encore allé aussi loin que Pierre-Joseph Proudhon dans son ouvrage collectif « La propriété intellectuelle, c’est le vol ! », force est de constater que la diffusion des savoirs vient de franchir une nouvelle étape. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le côté obscure du Net
* Jean-Dominique Séval est
directeur général adjoint de l’IDATE.