Le haut débit mobile concurrentiel pour tous est-il pour demain ?

Il y a dix ans, la France attribuait ses premières licences 3G. Après quatre procédures d’octroi, dont deux infructueuses et deux baisses des redevances,
les opérateurs mobiles ont ensuite eu du mal à respecter leurs obligations de couverture. La 4G devra faire mieux.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Après les nouvelles applications permises par les smartphones et l’Internet mobile, les usages numériques
vont franchir un nouveau cap avec l’arrivée de la quatrième génération de téléphonie mobile (4G) basée sur le protocole
LTE (Long Term Evolution), qui se veut en effet beaucoup plus efficace que la 3G. La 4G devrait offrir des débits pouvant aller de 100 Mbits/s à 1Gbits/s pour télécharger et envoyer des données 50 à 500 fois plus rapidement qu’aujourd’hui et d’accéder à de nouveaux services utilisant du streaming pour visionner films et séries, directement depuis son téléphone portable.

Dividende et aménagement numériques
La 4G est aussi considérée par les parlementaires, qui ont voté la loi du 17 décembre 2009 de lutte contre la fracture numérique, comme le moyen de pallier l’absence du
très haut débit dans les zones les moins denses où les déploiements de réseaux de desserte en fibre optique (FTTH) s’avéreraient trop coûteux. Pour remplir toutes ces promesses rapidement, il reste cependant à faire en sorte que l’attribution des licences 4G et des fréquences assorties ne connaisse pas les mêmes aléas que les licences 3G.
« La France sera l’un des premiers pays en Europe à libérer son dividende numérique,
et l’un des premiers pays à l’attribuer à ses opérateurs », se félicitait Eric Besson,
ministre chargé de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, lors de ses vœux adressés à l’Agence nationale des fréquences (ANFR), le 10 janvier dernier.
Ce dividende numérique correspond à la bande de fréquences hertziennes 800 MHz, libérées progressivement au fur et à mesure du passage de la télévision analogique
à la télévision numérique. Celles-ci seront prochainement mises à dispositions des opérateurs télécoms, pour le déploiement de la 4G en France. Quant aux fréquences plus hautes situées dans le spectre à 2,6 GHz, elles seront principalement utilisées dans les zones urbaines, afin d’augmenter les capacités et performances des réseaux de téléphonie mobile 3G. L’attribution des fréquences dans la bande 800 MHz représente un enjeu particulier en matière d’aménagement numérique du territoire,
en raison de leurs propriétés physiques particulièrement adaptées à la réalisation d’une couverture étendue, y compris pour la substitution des technologies filaires comme le très haut débit sur la fibre optique.
C’est pourquoi, la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique prévoit que les conditions d’attribution des autorisations d’utilisation des fréquences dans la bande 800 MHz doivent tenir « prioritairement compte des impératifs d’aménagement numérique du territoire » (1). Néanmoins, à côté des enjeux de politique publique que constituent l’aménagement numérique du territoire et la dynamisation de la concurrence, cette dernière étant jusqu’à présent jugée insuffisante dans le contexte oligopolistique du marché, l’Etat entend bien tirer un maximum de profit de la mise à disposition des fréquences allouées à la 4G et en particulier des fréquences 800 Mhz.

Procédure d’octroi des licences 4G
Aussi, l’appel à candidatures que devrait lancer l’Arcep avant la fin du 1er semestre 2011 donnera lieu à une procédure d’enchères qui présente à notre sens deux difficultés :
• A ce stade, l’Arcep a annoncé que la sélection des candidats à l’octroi de fréquences se ferait sur la base de plusieurs critères, qui pourraient être d’une part le prix proposé par les candidats pour l’obtention des fréquences et d’autre part le niveau d’engagement en matière d’accueil des opérateurs mobile virtuels ou MVNO (2). Si, comme ce fut le cas dans le cadre de l’attribution des fréquences résiduelles de la 3G, le prix proposé par le candidat devait être le critère prééminent, pondéré à la marge par les autres engagements du candidat, alors il y a fort à parier que les opérateurs ne seront pas incités à prendre des engagements au-delà des règles imposées en matière de déploiement dans les zone les moins denses (qualifiées de zone prioritaire dans la consultation de l’Arcep) et encore moins en matière d’ouverture au MVNO.

• Compte tenu de leur rareté, l’Arcep envisage d’allotir les fréquences 800 MHz en quatre blocs différents : soit de 2 blocs de 10 MHz et 2 blocs de 5 MHz, soit 1 bloc de
15 MHz et 3 blocs de 5 MHz. Cependant, il semblerait que 10 MHz au minimum soit nécessaire pour couvrir le territoire national et bénéficier des avantages de la technologie LTE. Pour pallier à cette insuffisance des blocs de 5 MHz, mais aussi pour minimiser le risque de voir un des acteurs du marché évincé par l’attribution à un même candidat de plusieurs blocs allotis, le régulateur prévoit deux types de mesure de correction : l’obligation de mutualisation des fréquences faite aux opérateurs détenteurs d’un bloc de 5 MHz sur la zone de déploiement prioritaire ; l’obligation d’itinérance faite au détenteurs de plus d’un bloc de fréquences. Ces mesures, pour fondées et légitimes qu’elles soient, seront certainement difficiles et longues à mettre en oeuvre et nécessiteront de mettre en oeuvre une régulation complexe, dont il est difficile aujourd’hui d’anticiper toutes les conséquences.

Pour un opérateur « mutualisateur »
Et si la solution issue du dogme de la concurrence par les infrastructures n’était pas la bonne. En l’espèce, donner sa chance à un autre modèle qui serait celui d’un opérateur
de gros, ayant vocation à mutualiser les fréquences 800 MHz dans des conditions transparentes, non discriminatoires et préétablies ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Un tel modèle pourrait en effet donner plus de visibilité et de garanties au secteur et aux pouvoirs publics, à la fois en matière d’aménagement du territoire et de dynamisation de la concurrence. Et ce, là où la répartition des fréquences en quatre blocs de 10, 5, 5 et 10 MHz comporte le risque de voir deux tiers de ces précieuses fréquences préemptés sans aucune contrepartie d’ouverture et d’une couverture a minima des zones moins denses. Par ailleurs, le modèle de mutualisation ex ante
par un opérateur de gros permettrait une réduction non négligeable des coûts de déploiement et d’exploitation de la 4G, ainsi qu’une optimisation des sites radioélectriques y compris en termes d’impact environnemental. Les économies réalisées pourraient alors venir soutenir un programme de couverture de la 4G plus ambitieux.
Telle est du reste la solution qui émerge aux USA (voir encadré ci-dessous) et en Afrique également, par exemple au Kenya où la rareté des fréquences et des d’acheteurs potentiels a conduit le gouvernement à envisager de créer, pour déployer
la 4G, un réseau d’accès de gros ouvert et exploité par une société indépendante.
La France, qui est sur le point d’attribuer ses propres licences 4G, se doit d’être vigilante à ne pas rater l’objectif de dynamisation de la concurrence et d’aménagement numérique du territoire qu’elle s’est fixée, en laissant les acteurs les plus puissants dicter les règles du jeu et s’emparer de ces fréquences en or. Ce qui reviendrait à leur céder une ressource rare et précieuse du patrimoine français. @

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L’exemple américain : l’obligation d’accès
Aux États-Unis, pays du libéralisme, disposant déjà de la technologie LTE, l’autorité
de régulation des télécoms, la Federal Communications Commission (FCC), a aussi choisi la voie de l’enchère publique pour l’attribution des fréquences 700 MHz de son dividende numérique. Cependant, elle a pris des mesures spécifiques afin de contraindre les opérateurs puissants à dynamiser le jeu de la concurrence. Les
« golden frequencies » américaines ont été divisées en cinq blocs de fréquences, qui ont été mises aux enchères le 28 janvier 2008 lors de « l’Auction 73 ». La répartition
a été la suivante suivante : bloc A (12 MHz), bloc B (12 MHz), bloc C (22 MHz), bloc D (10 MHz), bloc E (6 MHz).
Le bloc C, de loin le plus intéressant, a toutefois été assorti d’une obligation d’open access aux autres opérateurs afin de permettre aux acteurs du marché moins puissants sur le marché d’accéder à ces fréquences et d’optimiser ainsi cette ressource rare au profit du consommateur final. Après une bataille juridique rude et acharnée contre la FCC, Verizon Wireless, géant américain des télécoms et grand vainqueur de l’enchère du bloc C, a ainsi été contraint de se plier à ses obligations d’ouverture permettant au consommateurs américains, de profiter pleinement des avantages de la 4G, quel que soit leur opérateur de téléphonie mobile. @