Serge Eyrolles : « Combattre le piratage pour que se développe le marché du livre numérique »

A l’occasion de la 30e édition du Salon du livre de Paris, Serge Eyrolles – président depuis 1991 du Syndicat national de l’édition (SNE) qu’il quitte cette année et PDG du groupe Eyrolles – explique à Edition Multimédi@ les défis numériques que doit relever le livre face à Google.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Bruno Racine, l’actuel président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), se dit favorable à un accord avec Google Books.
Mais son prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney, est contre [lire page 3]. En tant que président du Syndicat national de l’édition (SNE), quelle votre position à l’égard de Google ?
Serge Eyrolles :
Le marché du livre numérique, qui est encore embryonnaire en France, ouvre des perspectives passionnantes pour les professionnels du livre, car les enquêtes montrent qu’il permettra de toucher de nouveaux publics, qui ne sont pas de grands lecteurs de livre papier. Les éditeurs s’y préparent donc activement en développant des offres numériques de livres. Mais pour qu’il puisse se développer un marché, il nous faut combattre le piratage, au premier chef Google Books, qui est une entreprise de piratage gigantesque : 8 millions de livres sous droits auraient été numérisés sans l’accord des ayants droit ! Le 18 décembre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Google pour contrefaçon.

EM@ : La BnF peut-elle dans ces conditions signer avec Google Books ?
S. E. :
Le ministre de la Culture et de la Communication, reprenant l’avis du rapport Tessier [sur la numérisation du patrimoine des bibliothèques, ndlr], a rappelé que le respect des droits d’auteur serait une condition sine qua non pour nouer un partenariat avec une société privée quelle qu’elle soit pour la numérisation du patrimoine écrit français. Les auteurs et éditeurs français veulent que leurs droits soient respectés,
et le gouvernement, garant du respect du droit, les soutient. Il n’y a donc aucune diabolisation de Google, seulement une volonté de se faire respecter et de nouer des relations équilibrées. Les 140 millions d’euros du Grand emprunt national prévus pour la numérisation du patrimoine écrit offrent au contraire une alternative à Google Books ou du moins les moyens de rééquilibrer la relation [lire ci-dessous et page 3].

EM@ : L’une des propositions Zelnik consiste à créer une “plateforme unique de distribution des livres numérique”, ce que le gouvernement souhaite. Pourtant plusieurs maisons d’édition persistent à se doter chacune (seule ou associés) de sa plateforme BtoB. Pensez-vous qu’un GIE ou un hub soit possible dès cette année ? S. E. : Un tel accès unique aux livres est sûrement dans l’intérêt de tous les professionnels du livre. Différentes plateformes de distribution de livres numériques existent actuellement : des discussions sont en cours pour qu’elles soient reliées entre elles et qu’elle parlent le même langage, afin de donner aux détaillants un accès unique
et simple.

EM@ : Faut-il réformer la loi Lang face au livre numérique ? Le prix unique du livre doit-il être abandonné pour prendre en compte d’autres modèles économiques, comme l’achat “moins cher”, la location, l’abonnement ou encore l’impression à
la demande (POD) ? Faut-il harmoniser la TVA ?
S. E. :
Les éditeurs restent fondamentalement attachés au système du prix unique,
seul capable de préserver la diversité éditoriale et un grand nombre de points de vente indépendants. L’éditeur doit continuer à fixer le prix des livres. La mesure la plus urgente pour permettre au marché du livre numérique de décoller est la TVA à taux réduit. Les internautes veulent payer leurs livres numériques moins cher que les livres papier, c’est un fait, et leur demande de gratuité est très forte par ailleurs.

EM@ : Vous présidez le SNE depuis 1991 et votre mandat actuel s’achève en
juin 2011. Vous n’avez pas caché vouloir l’écourter d’un an, soit en juin 2010. Accepteriez vous de me dire si les divergences des acteurs du livre face au numérique participent aux dissensions au sein du SNE ? Comment voyez-vous l’avenir du syndicat ?
S. E. :
L’édition est l’une des rares professions à être rassemblée au sein d’un unique syndicat qui représente près de 90% de la profession. C’est un lieu irremplaçable pour
se préparer collectivement aux enjeux de demain, notamment du numérique. J’ai annoncé mon intention de quitter la présidence, après 19 ans de bons et loyaux services. Les discussions sont toujours en cours sur la mise en place d’une nouvelle gouvernance.

EM@ : Le Salon du livre, créée en 1981 par le SNE, fête sa 30e édition sur fond de critiques de certaines maisons (La Martinière, …) ou d’abandons (Bayard, …).
La prochaine édition, qui “retourne” au Grand Palais, donnera-t-elle encore plus de place au livre numérique ?
S. E. :
Le Salon du Livre a vu le nombre de ses visiteurs augmenter de 20 % en 2009. C’est la première manifestation pour le grand public sur le livre. C’est gratuit pour les moins de 18 ans, les étudiants, les professionnels. Malgré la médiatisation de certains retraits, il y a d’autres maisons d’édition qui arrivent et globalement, il y a toujours les même nombre de maisons exposantes, soit plus d’un millier. Le livre numérique y tient
une place croissante, sur l’espace Lectures de dem@in qui se développe chaque année. Y sont proposés des démonstrations de lecteurs numériques et des débats durant six jours.

EM@ : Avec le livre numérique, on parle de « revanche de l’écrit sur l’image ».
Le livre numérique – accessible sur liseuses, mobiles, tablettes ou encore console de jeux – est-il une chance pour remettre à la lecture la génération Internet et mobile native ?
S. E. :
Je suis persuadé – et des études le montrent – que le numérique est l’occasion d’approcher des publics, jeunes surtout, qui ne lisent pas ou peu de livres papier. Il y a une réelle curiosité pour la nouveauté, et le livre numérique permet une réelle créativité dans les contenus des offres et dans les formes de diffusion. Avec l’arrivée de nouvelles tablettes, telle l’iPad, 2010 et plus encore 2011 verront le développement de ce nouveau marché. @

FOCUS

Vers un accord « équilibré » entre Google Books et la BnF ?
L’ancienne ministre de la Culture et de la Communication Christine Albanel devrait rendre au Premier ministre, ce 1er avril, son rapport sur le livre numérique. Au-delà de la lutte contre le piratage sur Internet (lire EM@3 p 4), la question de la numérisation de millions d’œuvres par Google est au cœur de ses conclusions. Le 23 mars, lors d’une réunion du Conseil du Livre, éditeurs et auteurs se sont engagé à trouver d’ici à juillet 2010 un accord pour créer « une véritable offre numérique alternative à Google Livres ». C’est l’occasion de confronter les positions opposées de l’actuel président de la Bibliothèque nationale de France, Bruno Racine, et de son prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney (lire page suivante). Les deux auteurs auront en outre l’occasion de confronter leurs points de vue le 28 avril prochain au Sénat, lors d’une table ronde sur la numérisation du livre.
La Haute assemblée avait publié, le 2 mars, un rapport d’information estimant
« indispensable » le recours à Google par la BnF… Mais le débat national dépendra aussi des décisions européennes concernant la bibliothèque numérique Europeana, laquelle fait l’objet d’un rapport qui devrait être voté au Parlement européen courant avril. Objectif : 10 millions d’œuvres y seront disponibles. Sur le Vieux Continent, justement, Google a noué le 10 mars un accord sans précédent l’Italie pour numériser
1 million de livres provenant des bibliothèques de Rome et de Florence. Historique.