Copie privée : coup d’envoi de la commission « Hadas-Lebel »

La dernière décision en date de la commission « copie privée » remonte à il a un peu plus d’un an, le 17 décembre 2008. Depuis, aucune autre décision n’est intervenue. La nouvelle commission devrait tenir sa première réunion au mois
de février 2010.

Par Christiane Féral-Schuhl, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

C’est en considération du manque à gagner des titulaires de droit du fait de l’exception de copie privée qu’a été instaurée une « rémunération pour copie privée ». Au plan communautaire, la directive européenne sur les droits d’auteur et les droits voisins a entériné en 2001 l’exception de copie privée à la condition toutefois « que les ayants droit reçoivent une compensation équitable » (1). En France, la rémunération pour copie privée a été instituée dès 1985 (2) pour la copie des phonogrammes et vidéogrammes (article L.311-1 du Code de la propriété intellectuelle). L’article 15 de la loi du 17 juillet 2001 a complété l’article L. 311-1, en ajoutant que cette rémunération est « également due aux auteurs et éditeurs des œuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée sur un support d’enregistrement numérique ».

Commission « d’Albis » contestée
Les copies ou reproductions sont celles « strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des œuvres d’art destinées à être utilisées à des fins identiques à celles pour lesquelles l’oeuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde […] ainsi que des copies ou des reproductions d’une base de données électronique ».
Cette rémunération (3) prend la forme d’une somme forfaitaire prélevée sur les ventes
de supports enregistrables. La Commission copie privée (CPI, art. L. 311-5), dite
« Commission d’Albis » – du nom de son ancien président de 2004 à 2009, Tristan d’Albis remplacé par Raphaël Hadas-Lebel en octobre dernier – a été instaurée en 1985. Elle est composée de représentants des bénéficiaires du droit à rémunération, des fabriquants et importateurs de support et d’organisations de consommateurs (4),
et a été chargée de désigner les supports concernés, les taux et les modalités de versement de la rémunération pour copie privée. Pour chaque support, la commission
a fixé un montant de rémunération par palier de capacité nominale d’enregistrement, suivant des barèmes (5). Cela va des CD-Rom et DVD enregistrables aux disques durs externes et téléphones multimédias, en passant par les baladeurs et magnétoscopes numériques de salon (voir encadré page suivante). Les décisions de la commission ont été vivement contestées, notamment par le Syndicat de l’industrie de matériels audiovisuels électroniques (Simavelec) qui a déposé un recours en annulation devant
le Conseil d’État portant sur la décision de la Commission copie privée n°7 du 20 juillet 2006. Il critique notamment les modalités de calcul du montant des redevances qui prennent en compte le préjudice subi non seulement du fait des copies licites mais également du fait des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes. La Haute juridiction s’est prononcée le 11 juillet 2008 et a admis que la commission « copie privée » ne pouvait prendre en compte que les copies licites, confirmant ainsi que le champ de l’exception pour copie privée est circonscrit au seul copiage d’une source licite.

Copie privée versus piratage en ligne
Ainsi, le Conseil d’État a-t-il sanctionné la décision de la commission qui, pour déterminer le taux de rémunération pour copie privée, ne fait pas de différence entre copie privée et téléchargement sans droit. Il ajoute que l’acte de téléchargement sans droit peut faire l’objet de poursuites judiciaires et ne saurait en aucun cas justifier un prélèvement, comme dans le cas d’espèce. Cet arrêt de la Haute juridiction est important car, en annulant les barèmes fixés pour les supports numériques concernés par la décision n°7 (baladeurs, enregistreurs de salons et DVD vierges), il impacte plus largement le mode de calcul de la rémunération qui a été mis en oeuvre pour toutes les autres décisions de la commission « copie privée ». Par ailleurs, la commission a émis une nouvelle décision le 17 décembre 2008 (6) aux termes de laquelle – tout en étendant l’assiette de la rémunération à l’ensemble des téléphones portables – elle annonce que les autres montants resteront inchangés jusque février 2009. Depuis cette date, aucune autre décision n’est intervenue. Les travaux de la commission devraient cependant reprendre dans les prochaines semaines. En effet, sa composition a été rendue publique par un arrêté publié le 30 décembre 2009 (voir EM@ n°5, p. 5), et sa première réunion est prévue pour le mois de février 2010.
En outre, l’arrêté élargit la commission – qui compte désormais 24 membres – aux opérateurs télécoms (représentés par la Fédération française des télécoms) et à la distribution (représentée par la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance).

Risque de disparité européenne
Si les autres États membres, qui ont prévu l’exception de copie privée, doivent également instaurer une « compensation équitable », plusieurs disparités sont à craindre. D’une part, la mise en oeuvre de l’exception de copie privée est facultative, aux termes de la directive européenne de 2001. Elle est prévue dans 20 des 27 pays de l’Union européenne. D’autre part, les taux de rémunération ne sont pas uniformes, celui de l’Allemagne étant ainsi le plus élevé de l’Europe. Ces disparités observées au plan communautaire ne vont pas sans soulever des protestations et des frustrations, notamment au sein de l’Alliance pour la réforme des redevances sur la copie privée – Copyright Levies Reform Alliance (CLRA) – qui rassemble les principaux éditeurs informatiques et fabricants électroniques (7), et qui a porté plainte dans chaque pays où elle estime que la directive n’est pas respectée.
Les juridictions françaises ont également eu à connaître de cette difficulté, dans le cadre d’une action en concurrence déloyale. La requérante se plaignait d’un détournement de clientèle au profit de ses concurrents étrangers, qui offraient aux internautes français la possibilité d’acquérir des supports vierges d’enregistrements numériques à des prix plus attractifs que ceux proposés par les cybermarchands français – puisqu’ils n’incluaient pas le montant de la rémunération pour copie privée, celle-ci n’étant généralement pas prévue par leur législation. Elle demandait à ce que les clients français soient informés qu’ils devenaient personnellement redevables du paiement des redevances, rémunérations et taxes dues à l’acquisition intracommunautaire en France de supports vierges d’enregistrement, le non paiement de cette rémunération constituant un délit pénal (8). Après un jugement en première instance le 15 septembre 2005 et son infirmation par un arrêt du 22 mars 2007, la Cour de cassation a considéré – dans un arrêt du 27 novembre 2008 – que les cybercommerçants situés à l’étranger étaient tenus d’informer le consommateur de l’obligation de s’acquitter de la rémunération pour copie privée qui pesait sur lui. @

ZOOM

Les supports numériques assujettis à la redevance pour copie privée
Les supports numériques vierges (tels que Minidisc, CD-R, RW audio ou DVD enregistrable) ont été les premiers assujettis – par décision de la commission du 4 janvier 2001 – à la redevance pour copie privée. Cette mesure a ensuite été étendue, le 4 juillet 2002, aux disques durs intégrés à des appareils d’enregistrement numérique : baladeurs, disques durs d’enregistreur de salon, etc. Puis, progressivement, à de nombreux autres supports numériques que sont les mémoires et disques durs intégrés à un baladeur ou à un appareil de salon, les DVD enregistrables (décision n° 7 du 20 juillet 2006), les clés USB, disques durs externes et cartes mémoire (décision n° 8 du 9 juillet 2007), les supports de stockage externes à disque dits « multimédia » disposant d’une ou plusieurs sorties audio et/ou vidéo permettant la restitution d’images animées et/ou du son sans nécessiter l’emploi à cet effet d’un micro-ordinateur, les supports de stockage externes à disque dits « multimédia » comportant en outre une ou plusieurs entrées audio et/ou vidéo permettant d’enregistrer des images animées et/ou du son sans nécessiter l’emploi à cet effet d’un micro-ordinateur (décision n° 9 du 11 décembre 2007 (9)), ainsi que les téléphones mobiles multimédias (décision n° 10 du 27 févr. 2008 qui prévoit une taxe « iPhone »).