Technicolor perd ses couleurs et échoue à mener à bien son plan stratégique « Drive 2020 »

Le groupe français Technicolor (ex-Thomson Multimedia), spécialiste des technologies de l’image et du son pour le cinéma, la télévision, les médias numériques et la maison connectée, a échoué dans son plan stratégique « Drive 2020 » lancé il y a plus de trois ans par son directeur général, Frédéric Rose.

Thomson (1893–1966), Thomson-Brandt (1966-1968), Thomson-CSF (1968-1983), Thomson (1983-1995), Thomson Multimedia (1995–2010) et aujourd’hui Technicolor (2010- 2019 ?). En 135 ans d’existence, c’est tout un pan entier de l’histoire des technologies de l’image et du son à la française (1) qui vacille malgré l’implication – jusqu’à la nationalisation (1982-1997) – de l’Etat français, encore aujourd’hui actionnaire via Bpifrance Participations et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à hauteur de 7,96 % du capital.

Frédéric Rose, DG depuis 10 ans
Et cela fait dix ans – depuis le 1er septembre 2008 – que le Franco-américain Frédéric Rose (photo) en est le directeur général, également membre du conseil d’administration. Cet ancien d’Alcatel-Lucent arrive chez Technicolor pour redonner des couleurs à une entreprise qui, en 2008 déjà, affichait un chiffre d’affaires en baisse et un endettement en hausse atteignant à l’époque 1,5 milliard d’euros. Il s’agit aussi de redonner une stratégie à l’ex-Thomson. Frédéric Rose n’est alors pas au bout de ses peines. C’est lui qui, en 2010, va changer le nom de l’entreprise Thomson pour Technicolor, dénomination héritée de la société américaine Technicolor Motion Picture Corporation fondée en 1914 et à l’origine du célèbre procédé de films en couleurs utilisé par les studios de cinéma d’Hollywood (dont Disney).
La compagnie américain Technicolor devint bien plus tard, en 2001, filiale du français Thomson qui s’est approprié le nom pour en faire une marque unique (2). Parmi ses clients : de grands studios de cinéma (Warner Bros., Disney, Paramount, NBC Universal, Fox, Lionsgate, …) ou indépendants, des éditeurs de jeux vidéo (Activision Blizzard, Electronic Arts, Ubisoft, …), des chaînes de télévision (Canal+, …), des producteurs de musique (Universal Music, Warner Music, …), des opérateurs télécoms (America Movil, AT&T/DirecTV, Bouygues Telecom, …) ou OTT.
C’est en 2015 que Frédéric Rose présente son plan stratégique « Drive 2020 », assorti d’un plan d’intéressement en actions pluriannuel pour impliquer les salariés. Se sentant pousser des ailes, le groupe a aussitôt, l’année suivante, revu à la hausse les objectifs de son plan en visant pour 2020 un excédent brut d’exploitation (Ebitda) supérieur à 750 millions d’euros – contre 500 millions d’euros initialement prévus – et un flux de trésorerie disponible supérieur à 350 millions d’euros – au lieu de 250 millions d’euros précédemment. Mais ces performances n’ont pas été au rendez-vous, contraignant le dirigeant à revoir à la baisse ses objectifs – y compris consécutivement au cours de ces deux dernières années. L’objectif de l’Ebitda en 2020 a été ramené à 350 millions (au lieu de 750) et le free cash flow à 130 millions d’euros (et non de 350). La dette nette du groupe s’élève à 910 millions d’euros au 30 juin 2018 – « un niveau élevé », reconnaît le groupe aux quatorze couleurs. L’agence de notation financière Moody’s, qui avait en mars dernier dégradé d’un cran sa note liée à l’endettement de Technicolor (de « Ba3 » à « B1 »), pourrait à nouveau abaisser cette note dans les prochains mois. A moins que l’entreprise, au bord de la faillite, ne soit vendue ou démantelée d’ici là, comme cela est envisagé d’après l’agence Reuters le 19 novembre. « Technicolor passe en revue et évalue régulièrement les options stratégiques envisageables pour ses activités, que ce soit sous forme d’acquisitions, de rapprochements ou de cessions (…). A cet égard, Technicolor souligne que les discussions sont à un stade préliminaire. Aucune décision stratégique ou engagement n’a été pris », a dû préciser – en guise de réaction « aux rumeurs de marché » – le spécialiste de la fourniture de services vidéo pour les créateurs et les distributeurs de contenus, pour le cinéma, la télévision et les médias numériques, ainsi que pour la maison connectée. Les aînés se souviennent qu’il y a plus de vingt ans, en 1996, Alain Juppé avait voulu céder Thomson Multimédia (3) pour… 1 franc symbolique ! Aujourd’hui – autres temps, autres mœurs – Frédéric Rose discute du sort de Technicolor « à la poursuite de l’intérêt social et de celui des parties prenantes de la société ».

Vendre l’ex-Thomson à vil prix ?
A la Bourse de Paris, où la capitalisation de Technicolor est passé le 26 novembre sous la barre des 400 millions d’euros (389,8), le titre a dévissé de 86 % entre son plus haut niveau en janvier 2016 (7,48 euros) et son plus bas le 26 novembre également, à moins de 1 euro (0,96). La chute est de 65 % rien que depuis le début de l’année. La vente en mars de ses activités de « licences de brevets », à l’américain InterDigital pour 420 millions d’euros, n’a pas été d’un grand secours. Selon Reuters, Technicolor pourrait vendre son activité « Maison connectée » @

Charles de Laubier