Les points hauts (tours, pylônes, châteaux d’eau, …) servent à désendetter les opérateurs mobiles

Les « points haut » font du bien au « bas de bilan » des opérateurs télécoms. Ces infrastructures physiques accueillant les antennes mobiles ont pris de la valeur avec les 2G, 3G, 4G et maintenant 5G. Les céder pour des milliards d’euros à des spécialistes « TowerCo » permet de se désendetter et d’investir.

Dans les coulisses des infrastructures mobiles, il y a les tours, les toits d’immeubles, les pylônes, les châteaux d’eaux voire des clochers d’églises utilisés pour diffuser les réseaux 3G, 4G et maintenant 5G via des antennes émettrices et réceptrices : les stations de base. La valorisation de ces « points hauts » a augmenté – pour ne pas dire explosée – au fur et à mesure que la couverture mobile des territoires s’est généralisée. A tel point que les sociétés chargées de les gérer, surnommées « TowerCo », valent parfois des milliards d’euros. C’est même devenu un marché hautement spéculatif.

Des tours hautement valorisées
Dernière manœuvre en date sur ce marché très convoité : celle d’Iliad, maison mère de Free, qui a annoncé le 18 mai dernier la vente d’ici la fin de l’année à la société spécialisée espagnole Cellnex de ses 30 % qu’elle détient encore dans son ex-filiale On Tower France. « On va entamer des discussions avec Cellnex sur le prix de cession », a indiqué Nicolas Jaeger, directeur général délégué d’Iliad, qui en espère au minimum 600 millions d’euros. Cette prochaine session de ce gestionnaire d’infrastructures télécoms mobiles est annoncée deux ans après que la maison mère de Free ait cédé, en mai 2019, 70 % de On Tower France (ex-Iliad 7) qui était alors encore une filiale sous contrôle et aux résultats consolidés dans le groupe Iliad. L’Autorité de la concurrence avait rendu un avis favorable au mois d’août suivant (1). A l’époque, Cellnex Telecom – dirigée au pas de charge par Tobías Martínez-Gimeno (photo de gauche) – avait racheté à Iliad non seulement cette activité de « points hauts » en France, mais aussi les 100 % de la filiale équivalente en Italie où Iliad est aussi opérateur mobile. Et ce, pour un total de 2 milliards d’euros – dont 1,4 milliard pour les 70 % de On Tower France.
Cette opération, bientôt suivie du solde des 30 %, se fait dans le cadre d’un « partenariat industriel » entre Cellnex et Iliad ainsi que sur la base d’« un contrat de prestations d’accueil et de services de longue durée » prévoyant notamment en France un programme de construction de nouveaux sites pour y déployer les antennes-relais mobiles. Par ailleurs, l’opérateur suisse Salt – détenu depuis fin 2014 en propre par Xavier Niel via sa holding personnelle NJJ Capital – a aussi cédé ses antennes-relais à Cellnex. Au total, la seule société On Tower France aura rapporté à Iliad – une fois entièrement cédée – au moins 2milliards d’euros. La maison mère de Free a d’ores et déjà prévu d’« affecter une partie des futurs produits de cession de On Tower France au programme 5G », avec l’objectif d’être en France « leader sur le réseau 5G parmi les challengers ». Fin avril 2021, Iliad revendiquait avoir « le plus grand nombre de sites 5G (toutes fréquences confondues) en métropole avec plus de 8.800 sites techniquement opérationnels – dont plus de 1.000 en 3,5 Ghz ». Une autre partie du fruit de la vente contribuera à réduire la dette du groupe Iliad, laquelle s’établit à plus de 7,7 milliards d’euros au 31 décembre 2020.
Se désendetter est aussi ce qui a incité Vodafone à introduire en Bourse sa filiale Vantage Towers, qui compte 82.000 sites d’émission-réception dans dix pays. Avec une lourde dette de plus de 40 milliards d’euros, l’opérateur télécoms britannique au rayonnement mondial n’avait pas d’autres options que de se délester un peu de ses antennes-relais pour récupérer de l’argent frais. Du moins, a-t-il rendu public jusqu’à un quart du capital de sa filiale pour environ 2,5 milliards d’euros. C‘est chose faite depuis mars dernier à la Bourse de Francfort, où l’entreprise nouvellement cotée est actuellement valorisée 13,6 milliards d’euros (au 4 juin 2021) – pas loin de la fourchette haute des 14,7 milliards escomptés par Vodafone avant l’introduction.
Digital Colony, un fonds américain spécialisé dans les infrastructures télécoms, et RRJ Capital, un investisseur hongkongais, ont acquis respectivement 550 et 450 millions d’euros de titres de Vantage Towers. Toutefois, l’opérateur télécoms britannique a précisé l’an dernier qu’il entendait bien garder une part majoritaire dans l’entreprise cotée « vu la nature stratégique de ces infrastructures et leur potentiel de valorisation future ».

Orange lorgne sur les pylônes de TDF
Toits d’immeubles, tours, pylônes, châteaux d’eaux voire clochers d’églises constituent des infrastructures devenues incontournables à l’ère du smartphone comme premier terminal d’accès à Internet et aux applications mobiles. D’où leur valorisation en pleine croissance qui suscite la convoitise des investisseurs, lorsque ce n’est pas pour les opérateurs de réseaux le moyen développer un actif stratégique. C’est dans ce contexte et sur un marché des « points hauts » devenu spéculatif qu’Orange s’intéresse à TDF, l’ex- Télédiffusion de France, diversifié depuis plusieurs années dans les infrastructures mobiles. L’information, non démentie, a été révélée par L’Express le 11 mai dernier (2). Ancienne filiale de France Télécom jusqu’en 2002, TDF pourrait ainsi retourner dans le giron de l’ancien monopole public des télécoms devenu Orange. En France, avec ses 19.000 sites d’infrastructures télécoms, l’ancien monopole public de radiodiffusion est toujours aujourd’hui un « tours opérateur » presque incontournable des télécoms (54 % de son chiffre d’affaires 2020), de la télévision (26 %), de la radio (16 %) et même de la fibre (3 %).

TowerCo : Orange a trouvé son « Totem »
TDF est détenu depuis sept ans par des fonds d’investissement qui aspirent à sortir en espérant maximiser leurs plus-values lors de la cession (3). Plutôt que de céder la propriété de ses infrastructures mobiles, Orange fait le chemin inverse de la plupart des autres opérateurs télécoms, lesquels en deviennent de simples locataires. Son projet de rachat de TDF a pour nom de code : First. Autrement dit, il s’agit d’être le premier sur ce marché très lucratif lorsque la taille critique est atteinte voire dépassée. L’ex-France Télécom a même décidé en février dernier de se doter d’une nouvelle filiale, baptisée Totem, pour valoriser ses 25.500 sites de tours et pylônes situés – « dans un premier temps » – en France et en Espagne (sur un total de 40.000 tours détenues en propre sur toute l’Europe). Le document d’enregistrement universel d’Orange (4), publié mi-mars, précise : « Totem sera animée par une équipe de direction totalement indépendante et dédiée. Cette dernière sera désignée au cours du premier semestre 2021 en vue de l’entrée en phase opérationnelle de la TowerCo d’ici la fin de l’année 2021 ».
Cette « TowerCo », dont l’infrastructure est aussi utilisée par Orange mais aussi pas d’autres opérateurs télécoms, a l’ambition européenne de « devenir une entité créatrice de valeur : en exploitant des actifs d’infrastructure passive mobile de premier ordre, (…), et en favorisant la croissance tant organique qu’inorganique. (…) Totem entend par ailleurs saisir les opportunités de croissance inorganique en Europe ». En clair, le groupe Orange indique qu’il étudie « la possibilité d’intégrer d’autres actifs d’infrastructure passive mobile européens (…) susceptibles de créer de la valeur pour [Totem] ». TDF fait partie des acquisitions possibles. Encore faudrait-il que l’Autorité de la concurrence donne son feu vert à un tel rapprochement. Rien que sur les marchés français et espagnol, « Totem aurait généré en 2020 un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros et un [résultat brut d’exploitation] de près de 300 millions d’euros, dont deux tiers environ issus des actifs en France ». Orange, présidé actuellement par Stéphane Richard (photo de droite), compte garder le contrôle de Totem « pour bénéficier de la source importante de création de valeur durable qu’elle procure au groupe ». Totem pourrait ainsi tenir tête en Europe au groupe espagnol Cellnex Telecom qui s’est constitué un patrimoine de points haut à coup de milliards d’euros d’acquisitions, non seulement en France auprès d’Iliad/Free, mais aussi de Bouygues Telecom et d’Altice/SFR. « Cellnex a fait le pari résolu de développer son réseau, qui compte à l’heure actuelle environ 128.0000 sites, dont 71.000 déjà dans le portefeuille et le reste en cours d’acquisition ou de déploiement à l’horizon 2030 », prévient l’entreprise d’origine catalane et basée à Barcelone.
Ex-Acesa Telecom, devenue ensuite Abertis Telecom, laquelle se rebaptise Cellnex Telecom le 1er avril 2015, l’entreprise cotée à Madrid est valorisée près de 33,6 milliards d’euros (au 4 juin 2021) – soit bien plus que les 28 milliards d’euros de valorisation boursière d’Orange à la Bourse de Paris… Cela va faire dix ans l’année prochaine que Cellnex collectionne les pylônes et autres points hauts, acquis auprès notamment de Telefónica en Espagne (2012), de Wind en Italie (2015), de Bouygues Telecom en France (2016/2017), de Shere Group aux Pays-Bas et au Royaume- Uni (2016), de Sunrise en Suisse (2017), d’Arqiva au Royaume-Uni (2019), Omtel et les tours de Nos au Portugal (2020) ou encore Hivory en France (2021). Cette dernière acquisition – pour 2,65 milliards d’euros – s’est faite en février 2021 auprès d’Altice France (SFR) qui en détenait encore 50,01 %, Hivory gérant 10.500 sites et se présentant comme « la 1re TowerCo en France ». Les partenaires sociaux ont appris la nouvelle par voie de presse (5). L’avis de l’Autorité de la concurrence est encore attendu. Par ailleurs, il y a six mois, ce sont 24.600 pylônes situés dans toute l’Europe (6) que Cellnex a rachetés au groupe hongkongais CK Hutchinson pour… 10 milliards d’euros (7).

IHS Towers, Helios Towers, American Tower, …
En janvier dernier, Telefonica a vendu pour 7,7 milliards d’euros sa filiale « TowerCo » Telxius en Europe et en Amérique du Sud à l’américain American Tower. Le groupe français d’investissement Wendel (8) a lui aussi une filiale dédiée tours et pylônes, IHS Towers, avec près de 30.000 sites, notamment au Nigéria, en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine (dont Brésil et Colombie). De son côté, le britannique Helios Towers continue son déploiement en Afrique, cette fois au Sénégal (9), après avoir fait l’acquisition l’an dernier de 1.200 tours télécoms auprès de Free Sénégal, dont NJJ alias Xavier Niel est propriétaire en propre. Les tours sont locales mais le marché est mondial. @

Charles de Laubier