YouTube transforme la publicité sur Internet en épouvantail, pour pousser les internautes à s’abonner

La filiale vidéo de Google invente la « frustration publicitaire » en saturant les internautes de publicités dès qu’ils écoutent trop de musiques gratuitement
sur sa plateforme. Objectif : qu’ils s’abonnent à YouTube Music. Cette méthode contestable ternit un peu plus l’image de la publicité sur Internet.

Quand un géant du Net – qui plus est principale filiale de Google – décide d’utiliser la publicité comme repoussoir, afin d’en dégoûter ses millions d’utilisateurs dans le monde pour les inciter à s’abonner à son service payant YouTube Red, cela revient à rendre le plus mauvais service au marché mondial de la publicité en ligne déjà critiquée, et de plus en plus bloquée, en raison de son côté intrusif. Il s’agit en effet de « frustrer » les utilisateurs du service gratuit de YouTube en augmentant le nombre de publicités entre et pendant les vidéos musicales, comme l’a expliqué Lyor Cohen (photo), le « Monsieur musique » de YouTube au niveau mondial.

Google veut abuser de la publicité
Dans une interview accordée à l’agence de presse Bloomberg le 21 mars dernier, Lyor Cohen n’y va pas par quatre chemins pour dévoiler cette stratégie de la frustration qu’il est en train de mettre en place sur YouTube. « Le nouveau service, déjà utilisé par des milliers d’employés de Google, va “frustrer et séduire” les utilisateurs du service gratuit de YouTube », a-t-il expliqué sans scrupule. La plateforme de partage vidéo va ainsi augmenter le nombre de publicités entre et durant les vidéos musicales afin de convaincre une partie de ses plus de 1 milliard de visiteurs à préférer l’abonnement
à YouTube Music qui en est dépourvu et qui fait partie intégrante du service payant YouTube Red – lequel n’est pas encore disponible en France (1). « Tu ne vas pas être heureux après que “Stairway to Heaven” [titre de Led Zeppelin, ndlr] te soit bloqué et que tu aies une pub juste après ça », a quelque peu ironisé le dirigeant de YouTube, alors qu’il était interrogé dans le cadre d’un festival de musique aux Etats-Unis (2). Autrement dit, plus un internaute écoutera gratuitement de la musique en ligne sur YouTube, plus il aura des annonces publicitaires vidéo – annonces vidéo pré-roll et mid-roll, bannières, annonces ciblées sur les recherches, bannières de page d’accueil et annonces en superposition (3). Les mélomanes seront donc dissuadés de poursuivre de la sorte, et fortement incités à s’abonner s’ils ne veulent plus être pris pour cible. Pour attirer le chaland, la filiale de Google met en avant, outre l’absence de publicités,
« des vidéos exclusives, des playlists et d’autres offres qui séduiront les fans de musique », voire des musiques produites par la plateforme elle-même. Les internautes sont-ils prêts pour autant à payer YouTube où ils ont l’habitude d’écouter
de musique en ligne gratuitement ? Si proposer un abonnement de streaming musical semble dans la logique du marché mondial du streaming musical, à l’instar de Spotify (4), Apple Music, Deezer ou encore Qobuz, la méthode qui consiste à utiliser la publicité en ligne comme repoussoir apparait contestable. Non seulement cela va encore un peu plus ternir l’image déjà pas bien brillante des « ads » sur Internet, mais aussi augmenter l’impression bien réelle de saturation vis-à-vis des publicités vidéo en plein boom. Dégoûter de la publicité au profit de l’abonnement « sans désagrément » n’est pas la meilleure stratégie qu’ait adoptée Google.
Le dommage collatéral que pourrait subir le marché de la publicité risque d’être non négligeable. « YouTube fait une erreur en choisissant la “frustration publicitaire”. Alors que 37,5 millions de Français vont sur YouTube chaque mois, on peut douter que cette stratégie soit accueillie avec joie par le public », a réagi François Cosme, consultant au sein du groupe publicitaire Dentsu Aegis. Cette stratégie de la « frustration publicitaire » constitue en outre un tournant pour Google et YouTube, dont le modèle économique était jusque-là basé essentiellement sur la gratuité de leurs services financés par de la publicité – en principe diffusée de façon raisonnable. YouTube Red monnaye sa garantie d’« aucune publicité, juste votre musique en continu », de « vidéos sans publicité », et des « séries originales » (séries et films inédits de créateurs YouTube). YouTube Music fait ainsi partie de YouTube Red, comme l’est aussi YouTube Kids
« sans publicité et hors connexion ».

YouTube cède à la pression des majors ?
Réputé pour sa gratuité musicale, YouTube n’est-il pas en train de céder aux majors
de la musique que sont Universal Music (Vivendi), Sony Music et Warner Music qui le soupçonnent de ne pas verser assez de droits d’auteur (5) ? Ces dernières ont déjà réussi à faire pression sur le suédois Spotify et le français Deezer – dans le capital desquels elles ont une participation minoritaire sous forme d’obligations convertibles en action – pour que ces plateformes musicales développent l’abonnement au détriment du gratuit, De plus, depuis un an, les majors minorent leurs royalties dès lors que leurs nouveaux albums sont réservés aux abonnés payants. @

Charles de Laubier