Comment le régime de la publicité digitale est enfin précisé pour le « programmatique »

Le décret « Publicité digitale », publié le 9 février 2017, est limité à tous les supports situés en France. Il oblige les vendeurs d’espaces publicitaires à rendre des comptes aux annonceurs. Pour la publicité programmatique, cette obligation pourrait être réalisée par les intermédiaires (régies).

Par Etienne Drouard et Clémence Marolla, avocats, cabinet K&L Gates

Classiquement, le domaine de la publicité implique a minima t rois types d’acteurs : le vendeur d’espace publicitaire (le support), l’annonceur et le mandataire (la régie) agissant en qualité d’intermédiaire entre ces deux acteurs. Afin de garantir une transparence tarifaire entre ces différents acteurs, la loi dite
« Sapin » du 29 janvier 1993 (1) avait été adoptée afin de définir des obligations visant notamment à garantir aux annonceurs une visibilité sur l’exécution effective des prestations commandées et sur la rémunération de la régie et du support de diffusion des publicités.

Extension de la loi Sapin à tous supports
Suite aux évolutions du secteur de la publicité, à la multiplication de ses acteurs et services, en particulier liée à l’avènement de la publicité programmatique, la loi dite
« Macron » du 6 août 2015 (2) avait modifié la loi Sapin pour étendre son champ d’application à l’achat d’espace publicitaire « sur quelque support que ce soit ». Cette modification de la loi Sapin était intervenue à la suite d’une consultation publique organisée à la fin de l’année 2014 par le gouvernement en concertation avec le Conseil national du numérique (CNNum). Trois pistes de recommandations s’en étaient dégagées : adapter au cadre numérique le modèle de reporting prévu par la loi Sapin au cadre numérique, étendre les objectifs de transparence édictés par la loi Sapin à tous les secteurs de la publicité, et lutter contre l’emploi de techniques publicitaires
trop intrusives afin de ne pas inciter les internautes à utiliser des outils de blocage des publicités (3).
Les dispositions de la loi Sapin de 1993 ne pouvaient pas être purement et simplement calquées pour s’appliquer au monde du numérique. La loi Macron avait donc prévu en modifiant l’article 23 de cette loi, qu’un décret en Conseil d’Etat fixerait les modalités
de l’obligation de rendre des comptes incombant au vendeur d’espace publicitaire (le support). Depuis cette date, tous les acteurs de la publicité digitale ont joué de leur influence dans le processus de rédaction du décret tant attendu. Son adoption a été d’autant plus longue que la France devait soumettre le projet de décret à l’avis de la Commission européenne dans le cadre d’une procédure (4) qui oblige les autorités nationales à communiquer à la cette dernière tout projet de réglementation technique concernant des produits et des services de la société de l’information. Et ce, avant que ce projet ne soit adopté dans le droit national. Le gouvernement français avait donc soumis le projet de décret pour avis le 27 janvier 2016. Le décret relatif aux prestations de publicité digitale a donc enfin été publié le 9 février 2017 (5).
Ce décret a donc vocation à préciser l’article 23 de la loi Sapin et à définir un régime spécifique à la publicité digitale s’agissant des modalités de compte-rendu devant être fait à l’annonceur. Le décret vise « la diffusion de messages sur tous supports connectés à Internet » ; néanmoins, afin d’anticiper les éventuelles évolutions, il ne
fixe pas de liste exhaustive des « supports » et se contente d’indiquer qu’il s’agit notamment des « ordinateurs, tablettes, téléphonies mobiles, téléviseurs et panneaux numériques ». Suite à l’avis de la Commission européenne, le champ d’application territorial du décret a été réduit puisqu’il ne trouve pas à s’appliquer aux vendeurs d’espace publicitaire établis dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou faisant partie de l’Espace économique européen, s’ils sont soumis à des obligations équivalentes en matière de compte-rendu dans leur droit national. L’un des grands principes de la loi Sapin, en vertu duquel les intermédiaires ne peuvent directement recevoir de rémunération de la part du vendeur publicitaire, n’a pas été remis en cause ni par la loi Macron ni par son décret. L’intermédiaire a donc l’obligation d’agir au nom d’un annonceur en vertu d’un mandat écrit, répondant à un lourd formalisme décrit à l’article 20 de la loi Sapin telle que modifiée par la loi Macron pour s’appliquer à l’ensemble des supports.

Programmatique : un régime spécifique
Par ailleurs, comme le prévoit l’article 23 de la loi Sapin le vendeur d’espace publicitaire, agissant en qualité de support ou de régie, doit rendre compte à l’annonceur des conditions dans lesquelles les prestations ont été effectuées dans le mois qui suit la diffusion du message. En marge de ces obligations générales, le décret « Publicité digitale » instaure un régime spécifique applicable aux achats programmatiques, définis comme les « prestations de publicité digitale qui s’appuient sur des méthodes d’achat en temps réel, sur des espaces publicitaires non garanties,
y compris par mécanisme d’enchères ». Le principal apport du décret est la prise en compte de nouveaux modèles d’achat d’espaces publicitaires sur Internet. En effet, à côté des schémas classiques d’achat d’espaces de gré à gré (dit « en régie directe »), d’autres modes d’achats se sont développés, reposant sur la contractualisation automatique à raison, notamment de la qualification de l’audience (du « visitorat »).

Obligation de compte-rendu
Il s’agit de la publicité dite « programmatique ». Cette forme de contractualisation automatique des insertions publicitaires s’est substituée massivement au mécanisme antérieur de la publicité en régie directe, au point de capter en moins de cinq ans jusqu’à 80 % des insertions et revenus publicitaires pour certains vecteurs de diffusion de publicité.
A l’inverse de la publicité en régie directe, la publicité programmatique ne repose pas sur un lien technique stable ou prévisible, ni sur un lien contractuel entre le support et une ou plusieurs régie(s) publicitaire(s) choisi(e) par ce dernier, elles-mêmes liées par contrat conclu avec des annonceurs qui les ont choisi(e)s pour insérer leurs contenus publicitaires sur les sites des vendeurs d’espace publicitaire.
Ainsi, la publicité programmatique repose sur des mécanismes d’enchères automatisées attribuant la diffusion d’une publicité d’un annonceur, par l’intermédiaire d’une régie publicitaire intervenant ponctuellement pour cette seule insertion sur le site d’un vendeur d’espace publicitaire, en fonction du prix que l’annonceur est prêt à payer et du prix plancher que le support de diffusion souhaite encaisser. Le vendeur d’espace publicitaire ne fait que fixer le prix auquel il souhaite commercialiser ses espaces. Pour ce faire, il se créé un compte sur un ou plusieurs réseaux publicitaires donnés pour y décrire son visitorat et son audience.
Le réseau de publicité programmatique, pour sa part, se comporte comme une place
de marché entre le vendeur d’espace publicitaire et les autres acteurs en amont de la chaîne publicitaire. Le réseau publie l’offre tarifaire du vendeur d’espace publicitaire auprès de régies publicitaires déterminées par le réseau. Choisie pour opérer l’insertion publicitaire sur le site du vendeur d’espace publicitaire, la régie sera celle qui aura enchéri au meilleur prix par rapport au souhait tarifaire du support. L’annonceur choisi sera celui qui aura accepté de payer le prix le plus élevé pour que sa publicité soit insérée sur un site vendeur d’espace dont le visitorat correspond aux souhaits de l’annonceur et à la politique de ventilation des dépenses publicitaires appliquées par la régie.
La publicité programmatique est donc un mode de sélection automatique et ponctuelle (à la volée), d’une part, de la régie opérant l’insertion d’une publicité et, d’autre part, de l’annonceur facturé pour l’insertion de son contenu publicitaire.
Chacun de ces acteurs est désigné à la volée, pour chaque insertion publicitaire, par ce mécanisme d’enchère et de mise en relation technique jusqu’au site vendeur d’espace. Pour sa part, le vendeur d’espace publicitaire ne connaît pas à l’avance quelle régie et quel annonceur seront à l’origine de l’insertion d’une publicité dans les espaces publicitaires de ses services, jusqu’à ce que le contenu publicitaire concerné soit inséré dans ses espaces.
En conséquence, dès lors que le vendeur d’espace publicitaire et l’annonceur ne se connaissent pas a priori, il était difficile d’imposer au vendeur d’espace publicitaire une obligation de compte rendu à un annonceur qu’il ne connaît pas. Pour éviter cette situation de blocage, le décret « Publicité digitale » a prévu que cette obligation de compte rendu, tout en restant à la charge du vendeur d’espace publicitaire (comme pour le cas de la publicité non digitale) pouvait être réalisée entre les mains de l’intermédiaire qui se chargera ensuite de les communiquer à l’annonceur. En effet, le décret indique : « En outre l’annonceur pourra avoir accès aux outils de compte rendu mis le cas échéant à la disposition du mandataire ».
L’information de l’annonceur en matière de publicité programmatique est largement renforcée, dès lors que le vendeur d’espace publicitaire est tenu de communiquer,
a minima, des informations articulées en trois grandes catégories : informations concernant l’exécution effective des prestations et leurs caractéristiques, informations concernant la qualité technique des prestations, et informations sur les moyens mis en oeuvre pour protéger l’image de la marque de l’annonceur.

Circulaire d’interprétation avant 2018 ?
Le décret entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Les acteurs de la publicité digitale ont encore un peu de temps devant eux pour s’organiser selon ces nouveaux modes de fonctionnement. Certains réclament une circulaire d’interprétation… ou comment gagner du temps quand on en a déjà peu. @