Fortune faite en vingt-cinq ans d’Iliad, Xavier Niel poursuit son odyssée à la conquête du monde

Alors que le groupe Iliad a tenu son assemblée générale le 20 mai, Xavier Niel – premier actionnaire à hauteur de 55 % du capital – s’enrichit encore un peu plus grâce aux performances de son groupe et à ses récentes acquisitions internationales. Le milliardaire autodidacte est aussi copropriétaire du Monde
et de L’Obs. Et après ?

Xavier NielIl y a près de vingt-cinq ans, Xavier Niel (photo) rachetait la société Fermic Multimédia, un éditeur de services de Minitel rose créé dans les années 1980, et la rebaptisait Iliad. Il y a quinze ans, il développait un accès à Internet gratuit : Free. Et c’est en novembre 2002 qu’il introduisait en France le concept de triple play – où le téléphonie, l’Internet et la télévision devenaient accessibles à partir d’un boîtier unique, la « box ». La Freebox était née.
Puis, il y a dix ans, Free se mettait à proposer – en partenariat avec Canal+ – la première offre de vidéo à la demande (VOD) en France. Free Mobile, lancé il y a plus de trois ans et atteignant aujourd’hui 15 % de parts de marché, est venu compléter les actifs de Xavier Niel, qui est resté depuis le début de l’odyssée d’Iliad l’actionnaire majoritaire – 54,7 % du capital et 69,19 % des droits de vote.

Vers un patrimoine de 10 milliards d’euros
Free compte, au 31 mars, 16,5 millions d’abonnés, dont 10,5 millions dans le mobile
et plus de 5,9 millions dans le haut débit fixe. Aujourd’hui, son groupe pèse autant en Bourse que le groupe Bouygues (incluant les activités BTP, TF1 et son grand rival Bouygues Telecom) : soit plus de 12,5 milliards d’euros !
Sa valorisation boursière a même dépassé un temps celle de Bouygues après la publication, mi-mai, de bons résultats au premier trimestre et d’un objectif confirmé de croissance (1) de 10 % en 2015. L’action a été multipliée par 13 depuis son introduction en 2004. Bien qu’il soit rémunéré seulement 180.000 euros sans aucune partie variable, l’autodidacte milliardaire tire de cette part du lion au capital du groupe qu’il a fondé l’essentiel de sa fortune personnelle.
L’assemblée générale des actionnaires du groupe Iliad a décidé, le 20 mai dernier, de verser aux actionnaires du groupe Iliad a décidé, le 20 mai dernier, de verser aux actionnaires 0,39 euro par action, soit 22,9 millions d’euros après avoir approuvé les comptes de l’année 2014 : pour la première fois, le chiffre d’affaires a dépassé les 4 milliards d’euros (+ 11,2 % sur un an), tandis que le bénéfice net s’est amélioré à 278,4 millions (+ 4,9 %). Selon nos calculs, Xavier Niel devrait empocher en juin la coquette somme de 12,5 millions d’euros en tant que principal actionnaire (détenteur de 32 010 913 actions au 31 décembre 2014). Il est la neuvième fortune de France en 2014 avec un patrimoine de 8,5 milliards d’euros – en progression de 44,5 % en un an (2). Sa fortune personnelle pourrait atteindre les 10 milliards d’euros cette année. Si Free en constitue la grosse partie, Monaco Telecom – racheté l’an dernier à hauteur de 55 % du capital (3) pour 322 millions d’euros via sa holding personnelle NJJ Capital – est venu grossir les avoirs du milliardaire.

Business angel : start-up et médias
Mais c’était sans compter une autre acquisition intervenue en toute fin de l’an dernier : Orange Suisse, racheté en décembre 2,6 milliards d’euros – toujours par NJJ Capital – et rebaptisé Salt. Xavier Niel était même prêt à mettre 15 milliards de dollars sur la table – via cette fois son groupe Iliad – pour s’emparer de T-Mobile aux Etats- Unis auprès de Deutsche Telekom, mais cette tentative de prise de contrôle a échoué l’été dernier. Son appétit pour les télécoms à l’international s’est affirmé dès 2011, lorsqu’il lance avec Michaël Golan – alias Michaël Boukobza, ancien directeur général d’Iliad (jusqu’en 2007) – le 5e opérateur mobile en Israël : Golan Telecom.
Sur le marché français des télécoms en pleine consolidation, le patron de Free se verrait bien acquéreur de son rival Bouygues Telecom, mais ses relations exécrables avec Martin Bouygues n’ont pas facilité les discussions il y a un an – après que Vivendi ait préféré vendre SFR au groupe Altice-Numericable du Franco-Israëlien Patrick Drahi. Et le patron du groupe Bouygues, Martin Bouygues, a très vite fait savoir qu’il ne comptait pas se défaire de son activité télécoms (4). Ironie de l’histoire, Michaël Boukobza a la double nationalité franco-israélienne comme Patrick Drahi, aux côtés duquel il a travaillé pour ses débuts en Israël après avoir quitté la direction d’Iliad… Parallèlement, Xavier Niel investit dans des start-up Internet. En mars 2010, il a créé Kima Ventures, son propre fonds d’investissements via lequel il investit dans 50 à 100 start-up par an dans différents pays (à raison de 125.000 à 250.000 euros par dossier). En outre, il a annoncé en septembre 2013 la création du « plus grand incubateur de start-up au monde », baptisé « 1000 start-up @la Halle Freyssinet », qui ouvrira ses portes fin 2016 à Paris (5). Xavier Niel a obtenu le soutien total de la mairie de Paris grâce à Jean-Louis Missika qui fut administrateur d’Iliad à partir de 2004, puis vice-président de la maison mère de Free en janvier 2007, avant de démissionner en avril 2008 lorsqu’il devint conseiller de Paris et adjoint au Maire de Paris (6) – pour éviter tout conflit d’intérêt…
Quelque 200 millions d’euros y sont investis, dont 5 % à 10 % pris en charge par la Caisse des dépôts. « Moi, d’abord j’adore ce pays [la France]. Je pense que c’est le plus merveilleux pour créer une entreprise. C’est parce que j’ai investi dans des entreprises du monde entier que je le sais, pas parce que c’est là où j’ai réussi. Bien sûr, le système français n’est pas parfait », avait déclaré Xavier Niel le 22 octobre dernier (7), le jour où François Hollande a posé la première pierre de ce projet sans précédent. Par ailleurs, en mars 2013, le patron de Free a créé une école informatique baptisée 42 – qu’il a souhaitée pour former « en grand nombre » les informaticiens
dont les entreprises innovantes ont besoin. Gratuite et ouverte à tous (de 18 à 30 ans), la formation repose sur le concept du « peer-to-peer learning » qui est une sorte d’apprentissage collaboratif entre élèves.
Xavier Niel, qui a toujours été dans des relations de « Je t’aime, moi non plus » avec les médias, s’est par ailleurs personnellement investi dans la presse française en manque de capitaux. En novembre 2010, il est devenu coactionnaire du journal Le Monde avec Pierre Bergé et Matthieu Pigasse – via leur holding Le Monde Libre (LML) qui a pris le contrôle de la Société éditrice du Monde, dont Xavier Niel est un des membres du conseil de surveillance. Ensemble, les trois propriétaires du journal ont apporté 100 millions d’euros. Actuellement, le trio « BNP » – Bergé-Niel-Pigasse – est confronté à une crise avec la rédaction du quotidien qui a écarté leur candidat Jérôme Fenoglio – ex-rédacteur en chef de LeMonde.fr – pour devenir directeur du « Monde » (il n’a pas obtenu les 60 % des votants le 13 mai). Les actionnaires rencontrent à nouveau la rédaction le 27 mai prochain.
En fait, depuis leur arrivée à la tête du groupe Le Monde, la défiance s’est installée entre eux et la rédaction, non seulement sur la réorganisation entre le papier et le numérique mais aussi sur l’indépendance éditoriale de la rédaction (8). Il y a un an,
la directrice du Monde Natalie Nougayrède – qui avait succédée à Erik Izraelewicz – démissionnait pour être remplacée par Gilles van Kote en tant que directeur par intérim.

Le Monde et L’Obs « libres »
Outre le groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, Courrier International, La Vie Catholique), la holding LML a aussi jeté son dévolu il y a un an sur le groupe Nouvel Observateur (L’Obs, Rue 89) en s’emparant de 65 % du capital pour 13,4 millions d’euros (son fondateur Claude Perdriel gardant 35 %). Le nouveau groupe de presse
« Le Monde Libre » ainsi constitué du Monde et de L’Obs aura son futur siège près de la Gare d’Austerlitz à Paris. Déménagements prévus au cours de l’été 2017. Xavier Niel n’est pas prêt de s’arrêter en si bon chemin. @

Charles de Laubier