Réforme du Paquet télécom: un projet de règlement européen bien décevant pour tous

Si les intentions de Neelie Kroes sont louables pour parvenir à un marché unique des télécoms et à une régulation harmonisée en Europe, ses propositions de réforme du Paquet télécom risquent d’aboutir à l’émiettement des acteurs plutôt qu’à l’émergence de champions européens.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

La commissaire européenne chargée de l’Agenda numérique, Neelie Kroes, vient de présenter ce qui sera sans doute son dernier coup d’éclat avant que son mandat n’arrive à son terme en 2014, et qu’elle annonce modestement comme « le projet le plus ambitieux proposé en vingt-six ans de réforme concernant le marché des télécommunications ». En prévision du Conseil de l’Union européenne des 24 et 25 octobre consacré au numérique (voir encadré ci-dessous), la vice-présidente de la Commission européenne a procédé le 11 septembre dernier à une communication sur
le marché unique des télécoms assortie d’un projet de règlement (1) fixant « les règles pour un marché européen unique des communications électroniques et pour la création d’un continent connecté ».

Un révision insuffisante
L’ensemble a déjà réussi l’exploit de susciter l’opposition unanime d’acteurs aux objectifs souvent opposés comme les associations de consommateurs comme le BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs), le BEREC qui réunit les différents régulateurs nationaux comme l’Arcep (2), les opérateurs télécoms historiques, les opérateurs alternatifs et les nouveaux entrants. A tel point que l’on serait presque tenté d’essayer de défendre les propositions de la Commissaire européenne. Ses intentions étaient somme toute louables : réviser le Paquet télécom (3) pour alléger les contraintes réglementaires des opérateurs, susciter l’apparition d’un véritable marché européen des télécoms avec l’émergence d’opérateurs de taille européenne à même d’affronter les défis de la concurrence mondiale, mettre un terme aux coûts d’itinérance intra-européens en faveur des consommateurs, consacrer la neutralité de l’Internet… Il y en a pour tous les goûts.
Le résultat est pourtant très décevant. Est-ce par précipitation ou par défaut d’une concertation suffisante ? La Commission européenne présente en effet un texte qui ne réalise pas l’indispensable travail de révision en profondeur du Paquet télécom. De nombreuses dispositions de celui-ci méritaient d’être revues : soit qu’elles n’aient jamais été mises en oeuvre, soit que leur pertinence faisait défaut dès le début, soit enfin qu’elles soient, au cours des dix dernières années, devenues obsolètes. Les opérateurs appellent de leurs vœux depuis longtemps un allègement des contraintes règlementaires excessives qui, selon ces derniers, pénalisent le secteur des communications électroniques européen.
Une des principales prétentions du projet de règlement est de contribuer à la création d’un marché unique des communications électroniques en Europe, lequel requiert plus une révision en profondeur du régime des concentrations que la poudre aux yeux d’une déclaration unique. L’avènement d’un marché de taille européen est souhaité par tous (4), mais il ne suffit pas, comme le propose le projet de règlement (5), de prévoir le principe d’une déclaration unique pour permettre aux opérateurs d’atteindre une taille européenne : les déclarations préalables auxquelles sont déjà soumis les opérateurs fixes ne constituent pas le frein principal au déploiement paneuropéen. Le projet de règlement prévoit l’usage d’un « passeport » européen, régi selon les règles édictées par l’autorité
de chaque pays où l’opérateur souhaiterait implanter ses services, en collaboration avec le BEREC (6). En réalité, la déclaration à effectuer dans chaque pays de déploiement du service prendra la forme d’une déclaration à accomplir dans le pays du lieu de principal établissement de l’opérateur. Estce le bouleversement attendu ?

Vers un régulateur européen ?
La Commission européenne aurait pu réviser plutôt sa doctrine et sa pratique en matière de concentration qui, dans le secteur des télécoms comme dans celui de bien d’autres secteurs marchands, a abouti en Europe à l’émiettement des acteurs plutôt qu’à l’émergence de champions européens.
De fait, si le marché européen demeure probablement le plus grand marché mondial des communications électroniques en nombre d’utilisateurs, les contraintes règlementaires affectent la rentabilité des opérateurs européens dont le premier – Vodafone – n’apparaît qu’au quatrième rang mondial en revenus derrière les opérateurs chinois et américains. Quant à Orange, il n’apparaît qu’au neuvième rang…
On soupçonne la commissaire européenne tentée de voir émerger un régulateur européen tout en prétendant ne rien en faire (7). Si l’on peut partager l’ambition de voir émerger une FCC (8) à l’européenne, cette évolution nécessitera certainement un effort de concertation approfondi avec l’ensemble des régulateurs nationaux et un partage adéquat des compétences. Cela devra être le cas s’agissant en particulier des modes d’attribution de fréquences, sur lesquels on imagine mal les Etats membres abandonner entièrement leur part de souveraineté.
La tentative du projet de règlement de mettre en place des principes harmonisés d’attribution de ressources en fréquences (9) est néanmoins louable pour limiter les disparités constatées dans l’attribution de fréquences 3G et 4G.

Entre consumérisme et investissements
C’est dans ce contexte que Neelie Kroes a cru bon de jouer la carte consumériste,
dont l’effet « démagogique », diront certains, peut trouver preneur chez les parlementaires européens, en annonçant la fin de tous les frais d’itinérance au sein de l’Union européenne : soit la suppression des surcoûts sur les appels en roaming, soit par la possibilité pour le consommateur de présélectionner un opérateur étranger sans changer de carte SIM. Pour les télécoms fixes, le prix de l’appel vers l’étranger intra-européen sera celui des appels nationaux longue distance.
A l’heure où l’on demande de nouveaux efforts d’investissement considérables aux opérateurs télécoms, tant pour la 4G que pour la fibre optique, il semble paradoxal que
la règlementation européenne impose un encadrement tarifaire sur les appels intra-européens tout en annonçant dégager des sommes considérables pour le financement en partenariats publicprivé (PPP) de liaisons filaires haut débit. Plusieurs autres régions dans le monde ont vu la mise en oeuvre d’un tarif unique applicable aux communications entre plusieurs pays, dans le cadre d’une démarche commerciale dynamique des opérateurs
et non d’une contrainte réglementaire subie.
Le texte réaffirme le principe de neutralité du Net tout en permettant des facturations différentiées en fonction du volume de débit acheminé. On peut être ou ne pas être d’accord avec le principe énoncé, mais un tel bouleversement de l’écosystème du Net aurait mérité un traitement plus précis.
Au total, le projet de règlement semble manquer de rigueur, de clarté et, contrairement aux annonces accompagnant sa communication, une véritable ambition réformatrice lui fait surtout défaut. Il serait pourtant dommage que les préoccupations légitimes énoncées par Neelie Kroes soient enterrées avec son projet de règlement, dont on imagine mal qu’il devienne d’application immédiate dans tous les vingt-huit pays membres dans sa forme actuelle : l’accord du Conseil et du Parlement européens reste à obtenir. @

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Conseil européen des 24 et 25 octobre : du Paquet télécom au Paquet numérique
La France ne veut pas que le Conseil européen des 24 et 25 octobre prochains se limite au seul Paquet télécom mais qu’il soit élargi à la fiscalité numérique. « Le développement du numérique en Europe demande une approche globale, déterminée sur les questions d’économie numérique, incluant également les questions de fiscalité, d’innovation ouverte, de concurrence et de données personnelles car la réglementation dans ces domaines a un effet structurant sur le paysage numérique européen », a affirmé Fleur Pellerin,
ministre de l’Economie numérique, au lendemain de sa rencontre, le 11 juillet, avec les commissaires européens Joaquín Almunia (Affaires économiques et monétaires), Neelie Kroes (Agenda numérique) et Algirdas Semeta (Fiscalité). Pour dépasser le Paquet télécom, Fleur Pellerin a réuni le 24 septembre un “minisommet du numérique” en présence de sept de ses homologues européens (10) et de Neelie Kroes (lire p. 5), afin
de préparer le Conseil européen d’octobre. Le gouvernement français a prévu de proposer la création d’une autorité de régulation européenne capable d’intervenir « dès que les conflits et abus apparaissent avec les plates-formes [des géants Net tels que Google, Apple, Facebook ou Amazon, ndlr] » (propos de Fleur Pellerin dans Libération du 26 septembre 2013).
La France compte ainsi proposer une taxation des « GAFA » qui, bien que situés hors d’Europe, réalisent d’importants profits en proposant leurs services aux Européens.
Cette taxe pourrait consister à les soumettre à une contribution pour les transferts
de données hors Europe, comme l’a préconisé le rapport Collin & Colin. @