Allostreaming : Yahoo voudrait porter l’affaire devant la Cour de justice européenne

Les organisations du cinéma APC, SEVN et FNDF devront encore patienter jusqu’au 4 juillet pour connaître le verdict suite à l’assignation en référé
qu’elles avaient déposée fin 2011 pour exiger des FAI de bloquer et les moteurs
de recherche de dé-référencer les sites web accusés de piratage.

C’est l’un des référés les plus long de l’histoire de la justice française ! Déposée le
30 novembre 2011 par l’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat national de l’édition vidéo numérique (SEVN), l’assignation en référé à l’encontre des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et des moteurs de recherche dans l’affaire Allostreaming (1) (*) (**) joue les prolongations.

Question prudentielle le 23 mai
Présents à l’audience du 25 avril dernier au TGI de Paris, nous avons pu constater que
la juge des référés Magali Bouvier a accédé à la demande de Yahoo de reporter une nouvelle fois l’audience de plaidoirie, fixée cette fois au 4 juillet prochain. Surtout, Yahoo a obtenu de la première vice-présidente du TGI de Paris un délai supplémentaire – jusqu’au 23 mai – pour lui soumettre une demande de question préjudicielle. De quoi donner à l’affaire une tournure européenne si la magistrate décidait de surseoir à statuer et de transmettre la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). De quoi s’agit-il ? Depuis la précédente audience du 28 mars, Yahoo soulevait le problème de savoir si la France n’a pas transposé « trop largement » la directive européenne dite DADVSI (2) de mai 2011. Car Yahoo estime, en tant que moteur de recherche, qu’il n’est pas concerné par le contenu des sites web qu’il indexe et qu’il ne peut être assimilé à ce que la directive DADVSI appelle un « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Or, en transposant cette directive dans la loi Hadopi du 12 juin 2009, la France en aurait trop fait en remplaçant le terme « intermédiaire » par « toute personne » susceptible de se voir « ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin », comme le stipule l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Selon Yahoo, les moteurs de recherche ne sont pas des intermédiaires techniques comme les FAI ou les hébergeurs.
En outre, une seconde échéance a été fixée au 27 juin pour l’envoi à la juge des dernières conclusions de chacune des parties. Et l’audience de plaidoirie se tiendra le
4 juillet, …
« jour de la fête de l’Indépendance américaine ! », a-t-on pu entendre. « C’est un signe d’espoir », a ironisé Alexandra Neri, associée chez Herbert Smith et avocate de Google/YouTube, laquelle a pour sa part proposé « une offre de médiation ». Pour elle,
« ce type de litige doit pouvoir être résolu par une solution alternative, une médiation même partielle ». Après avoir fait l’objet de mises en demeure de la part de l’APC, du SEVN et de la FNDF sur la base de procès-verbaux établis par l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), Google a été le premier, dès mi-septembre
2011 et donc avant le dépôt de l’assignation fin novembre 2011, à dé-référencer mondialement la galaxie « Allostreaming » (3). Quoi qu’il en soit, Google reste dans
la logique du «mieux vaut un bon accord rapidement plutôt qu’un très long mauvais procès », lequel pourrait s’éterniser en appel puis en cassation, voire au niveau européen sur la question préjudicielle. L’avocat des trois syndicats d’ayants droits, Christian Soulié, associé fondateur de Soulié & Coste- Floret, n’est pas contre. Mais
les FAI (4) sont, eux, plutôt réticents à une conciliation sans jugement.
L’APC, le SEVN et l’APC souhaiteraient en outre faire valider par la justice l’utilisation
d’un logiciel de « suivi en temps réel et en permanence des sites, de leurs adresses IP
et de leurs noms de domaines, pour signaler et traiter tout changement pouvant intervenir postérieurement à la décision judiciaire de blocage d’accès [par les FAI] et de dé-référencement des moteurs de recherche » (5). Un agent assermenté de l’Alpa pourrait ainsi re-notifier aux FAI et aux moteurs de recherche de nouvelles infractions – sans nouvelle décision du juge – pour que ces derniers bloquent ou déréférencent à nouveau. Reste à savoir si la magistrate Magali Bouvier prendra le risque de cautionner un tel dispositif, qui risque de provoquer des sur-blocages et porter atteinte aux libertés fondamentales.

Du logiciel TMG-Alpa à l’Hadopi
Une autre magistrate, Mireille Imbert Quaretta, la présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, n’est pas contre cette idée de suivre l’exécution des décisions de justice au-delà du juge. Elle propose même, dans son rapport du
15 février 2013, portant « sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », que l’Hadopi en soit chargée. C’est justement ce qu’a demandé l’APC lors de son audition par la mission Lescure… @

Charles de Laubier