Moteurs de recherches et référencement commercial sur Internet : état des lieux

Si les contentieux liés au référencement commercial sur le Web ont abouti à des décisions mettant hors de cause les moteurs de recherches au regard du droit des marques, le marché de la publicité en ligne et la position dominante de Google préoccupent les autorités de concurrence.

Par Christophe Clarenc, associé (photo), Howard Tempier et Céline Bonfils, avocats, August & Debouzy

Le référencement commercial constitue depuis quelques années un véritable enjeu, tant pour les annonceurs que pour les moteurs de recherches. En effet, les moteurs de recherches, et plus particulièrement Google, constituent plus que jamais le centre névralgique de l’information sur Internet. Le référencement est ainsi devenu un véritable enjeu pour l’ensemble des annonceurs et une véritable source de pouvoir de marché pour les moteurs de recherches.

Liens sponsorisés et mots-clés
Deux systèmes de référencement permettent aux annonceurs de rendre visible leurs contenus sur les moteurs de recherches. Le premier, dit de référencement naturel, consiste à laisser les algorithmes des moteurs de recherches associer un contenu aux mots-clefs des requêtes des internautes. Dans ce cadre, la visibilité et le classement au sein des résultats « naturels » dépendront principalement de la qualité et de la pertinence du contenu (mots-clés présents dans le contenu, nombre de visites, nombre de liens externes pointant vers le contenu, etc.). Le second, celui des liens sponsorisés, consiste pour un annonceur à acheter, sur la base d’un système d’enchères, des mots-clés servant à déclencher une annonce commerciale dont il aura lui-même défini le message. Ainsi, lorsqu’un internaute formalise, sur un moteur de recherches, une requête comprenant le mot-clef acheté, le message commercial de l’annonceur apparaît dans
les premiers résultats sous la catégorie « lien sponsorisé » ou « annonce commerciale ».
Dans cette quête du référencement, les moteurs de recherches se sont retrouvés au cœur de deux débats : l’un clos à leur avantage sur le terrain du droit des marques, l’autre toujours ouvert en droit de la concurrence. Le référencement commercial sur les moteurs de recherches a suscité, ces dernières années, un large contentieux en droit des marques. En effet, les titulaires de marques reprochaient aux prestataires de services
de référencement, Google en l’occurrence, ainsi qu’aux annonceurs d’utiliser, sans leur autorisation, leurs marques à titre de mots-clés afin de générer des liens commerciaux pour promouvoir des produits et services différents des leurs.
Saisie de questions préjudicielles par la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a mis les moteurs de recherches et leurs services de référencement à l’abri des attaques des titulaires de marques dans son arrêt « Adwords » (1) du 23 mars 2010 (2). En effet, pour la CJUE, les moteurs de recherches ne commettent aucun acte de contrefaçon en vendant des marques à titre de mots-clés – ces derniers n’exploitant pas les marques pour promouvoir leurs propres services. La CJUE a également précisé que les prestataires de services de référencement relèvent, en principe, du régime de responsabilité atténuée des hébergeurs de contenus (3). Ainsi, leur responsabilité ne peut être recherchée qu’à la condition qu’il soit prouvé qu’ils aient joué un rôle actif dans la sélection des motsclés ou la rédaction de l’annonce litigieuse.
La CJUE s’est montrée plus sévère à l’égard des annonceurs. En effet, la responsabilité de ces derniers peut être engagée sur le terrain de la contrefaçon lorsqu’ils réservent,
à titre de mots-clés, une marque appartenant à un tiers. Faut-il encore pour cela que l’annonce générée à partir de la marque d’autrui « ne permet[te] pas ou permet[te] seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou services visés
par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire d’un tiers ». Par la suite, la CJUE a apporté quelques précisions s’agissant du régime de responsabilité des annonceurs.

Du droit des marques à la concurrence
Ainsi, dans son arrêt « Portakabin » du 8 juillet 2010 (4), elle précise qu’un revendeur de produits d’occasion peut réserver la marque d’un tiers à titre de mot-clé, tant que son annonce n’induit pas le consommateur en erreur et qu’il commercialise les produits d’occasion dans des conditions ne portant pas atteinte aux droits du titulaire de la marque en question. En particulier, le revendeur ne doit pas supprimer la marque des produits ou les commercialiser dans des conditions portant atteinte à l’image de la marque.

Google : abus de position dominante ?
Plus récemment, la CJUE a énoncé dans son arrêt Interflora du 22 septembre 2011 (5) qu’un opérateur peut réserver à titre de mot-clé la marque d’un de ses concurrents, toujours sous réserve que son annonce n’induise pas le consommateur en erreur et dès lors qu’il ne « gène [pas] de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs ». La Cour de Cassation (6) ainsi que les juges du fond (7) français se sont ralliés sans réserve à la position de la CJUE. Les prestataires de services de référencement, et en particulier Google, peuvent donc respirer sur le terrain du droit des marques. Il en va néanmoins différemment en ce qui concerne le droit de la concurrence.
Les moteurs de recherches sont en effet sous les feux du droit de la concurrence. La montée en puissance des moteurs de recherches, et en particulier de Google, suscite aujourd’hui de fortes préoccupations de la part des autorités de concurrence. En France, l’Autorité de la concurrence s’est pour la première fois intéressée au secteur de la publicité en ligne à la suite d’une plainte avec demande de mesures conservatoires de la société Navx dénonçant comme abusives différentes pratiques mises en oeuvre par Google (discriminations, refus de vente, forclusion du marché). Après avoir enjoint des mesures conservatoires le 30 juin 2010 (8), l’Autorité de la concurrence a accepté un certain nombre d’engagements de la part de Google, visant en particulier à rendre plus transparent le fonctionnement de son service de référencement commercial, Adwords (9). Parallèlement saisie pour avis par le ministre de l’Economie sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne, l’Autorité de la concurrence a publié, moins de deux mois après sa décision Navx, un avis daté du 14 décembre 2010 (10) dans lequel elle s’est livrée à une analyse très précise du secteur de la publicité en ligne et plus particulièrement du marché pertinent de la publicité liée aux recherches (search), lui permettant de conclure à l’existence d’une position dominante de Google sur celui-ci. Elle a par ailleurs identifié un certain nombre de préoccupations de concurrence portant notamment sur : les risques de forclusion du marché liés aux accords d’exclusivité relatifs aux contenus indexés ; les pratiques éventuelles de manipulation du « Score de Qualité » attribué aux annonceurs, s’agissant de l’un des facteurs qui détermine le prix à payer pour l’affichage d’une publicité sur Google ; les modalités de participation de Google ou de ses filiales aux enchères Adwords ; l’existence d’obstacles à l’utilisation simultanée, par les annonceurs, de plusieurs plates-formes de publicité liée aux recherches.
Parallèlement à ces affaires en France, la Commission européenne a été saisie de plusieurs plaintes dénonçant des pratiques abusives de Google dans le secteur de la recherche en ligne et a ouvert une enquête au mois de novembre 2010 (11). Ces plaintes visent notamment la dégradation alléguée du « Score de Qualité » des services de recherche verticaux concurrents dans le cadre du service de référencement commercial de Google. Au total, la Commission européenne a reçu quatorze plaintes émanant tant de concurrents actuels ou potentiels de Google que de clients. Les premières conclusions de la Commission devraient être connues dans les semaines à venir (voir encadré). Ainsi, si la question de la responsabilité des moteurs de recherches semble être résolue en droit des marques, elle reste ouverte en droit de la concurrence. @

FOCUS

Soupçon d’abus de position dominante de Google : stop ou encore ?
Le commissaire européen en charge de la Concurrence, Joaquin Almunia, a indiqué (12) que sera prise en avril la décision de poursuivre ou pas l’enquête en cours à l’encontre Google soupçonné de manipuler les résultats des recherches des internautes sur son moteur. Le numéro un mondial des moteurs de recherches est accusé de favoriser ses propres services au détriment des services de recherches en ligne concurrents. Microsoft, qui avait porté plainte en mars 2011 auprès de la Commission européenne, accuse Google d’abus de position dominante. Twenga, site français de comparateur de prix, a également porté plainte cette année. Plus récemment, les sites américains de voyage Expedia et TripAdvisor, ainsi que le site britannique de géolocalisation Streetmap, ont également saisi la Commission européenne. @