TVA du lieu de résidence de l’internaute : pourquoi attendre janvier 2015, voire 2019 ?

Encore deux ans avant le début de la fin du « dumping fiscal » qui gangrène l’économie numérique européenne. L’eTVA sera alors, à partir de janvier 2015, celle du lieu de résidence du consommateur. Au rythme d’Internet, le principe
du pays d’origine ne devrait-il pas être abandonné plus tôt ?

Par Charles de Laubier

Comment un « compromis » obtenu à l’arrachée par le Luxembourg lors du conseil des ministres des Finances européen, le 4 décembre 2007, a-t-il pu entretenir durant quatre ans encore la polémique sur le « dumping fiscal » que pratiquent certains acteurs du Web – Google, Amazon, Apple, etc. – dans l’Union européenne ? Car c’est pour l’ »optimisation fiscale » que Google Europe est installé à Dublin en Ireland ou que iTunes d’Apple est basé au Luxembourg.

Un « compromis » de 2007
Le moins disant en matière de taxe à valeur ajoutée (TVA) est en effet le Luxembourg avec son taux normal à 15 %, réduit à 12 % et 6 %, voire 3 % de super taux réduit. Il est suivi par l’Irlande avec ses taux de 21 %, 13,5 % et 4,8 %, ainsi que par l’Espagne à 18 %, 8 % et 4 % ou le Royaume- Uni qui a pratiqué jusqu’en 2010 le taux attractif de 17,5 % (passé à 20 % en 2011) et de 5 %. Pour la vente de biens culturels sur Internet, comme la musique en ligne ou la vidéo à la demande, voire le livre numérique, les Etats fiscalement attractifs n’hésitent pas à offrir leur taux réduit de TVA, ou super réduit pour attirer les entreprises du Web (1). Cette concurrence déloyale pour des biens et des services vendus sur l’Internet sans frontières est pourtant légale jusqu’en… 2019 ! Car ce n’est qu’à cette échéance que le principe du lieu de résidence de l’internaute ou du mobinaute ne produira pleinement ses effets dans l’application de la TVA. C’est en effet dans seulement sept ans que chaque Etat membre abritant des entreprises du Web, en général, et de commerce électronique, en particulier, ne percevra plus du tout de recettes de la TVA collectées auprès de ces entreprises. La totalité, soit 100 % de la collecte, sera reversée au pays de résidence du consommateur.
Avant d’en arriver là, le compromis luxembourgeois a consisté à permettre à des Etats comme le Luxembourg de tout conserver jusqu’en 2015, année à partir de laquelle ils ne garderont plus que 30 % des recettes de TVA – le reste étant attribué au pays de résidence du consommateur –, puis 15 % à partir de 2017, pour atteindre 0 % à partir de 2019. La France, par exemple, pourra alors pleinement percevoir la TVA de toutes les ventes faites en ligne sur son territoire. Mais au regard de la vitesse à laquelle l’économie numérique se développe, la polémique sur la « discrimination fiscale » a encore de belles années devant elle. Et ce, malgré la volonté de la Commission européenne de vouloir, depuis 2000, harmoniser, simplifier et rationaliser la TVA sur
ce marché de l’Union européenne censé être « unique ». L’avènement de l’Internet et l’explosion du ecommerce rendaient la réforme urgente, tant les disparités et les obligations fiscales dans l’Europe des Quinze, et a fortiori dans celle des Vingt-sept, étaient flagrantes (2).

Las, la eTVA et le principe du lieu de consommation dans les Vingt-sept se font désirer. Dernière contribution en date à rappeler une énième fois le problème : le rapport « TV connectée », remis le 30 novembre aux ministres Frédéric Mitterrand et Eric Besson. « Afin d’accroître l’attractivité du territoire et de placer les éditeurs de services audiovisuels en ligne installés en France (…), la mission [propose de] les assujettir à un taux de TVA similaire à celui applicable dans les pays les plus compétitifs. Une telle démarche a d’ores et déjà été adoptée dans le secteur du livre », expliquent les cinq auteurs (3). En effet, le secteur du livre a fait, il y a plusieurs années, un premier pas vers une harmonisation fiscale. Du moins pour les ouvrages imprimés : vingt-cinq Etats membres de l’Union sur vingt-sept européens appliquent ainsi un taux réduit de TVA au livre papier (4). En France, c’est 5,5 % depuis des années, puis 7 % à partir du 1er janvier 2012. Mais le second pas – celui de l’alignement aux ebooks – n’a pas encore été franchi en Europe. Sauf… en France, où le Parlement vient de voter le même taux réduit de 7 % pour les livres numériques, jusqu’alors soumis au taux plein de 19,6 %. Mais comme la France n’a pas demandé l’accord à l’unanimité du Conseil des ministres des Finances européen, elle s’expose à une procédure d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). D’une part, parce que le livre numérique n’est pas dans liste des secteurs pouvant bénéficier d’une TVA à taux réduit. D’autre part, parce que cela engendrerait un dumping fiscal qui pourrait déstabiliser la filière du livre en Europe.

Un statut quo intenable
Quant à la presse, qui bénéficie pour ses journaux papier d’un super taux réduit dans certains pays européens (2,10 % en France), elle pourrait suivre le même alignement. Le Parlement français est allé dans ce sens avec le projet de loi Finances 2012. Là aussi, la Commission européenne pourrait sévir. En tout cas, le statu quo fiscal européen semble intenable à court ou moyen terme. @