Musique en ligne : 1 milliard de dollars de royalties impayées, premières restitutions en avril

Spotify, Apple Music, Amazon Music, Google/YouTube ou encore le français Deezer détiennent environ 1 milliard de royalties qu’elles n’ont encore pas versées aux auteurs de musiques « non-identifiées » ou d’origines étrangères inconnues. Ces sommes commencent enfin à être débloquées en avril.

(Depuis la publication de cet article dans le n°254 de Edition Multimédi@, le premier versement mensuel a porté sur 40 millions de dollars. Prochain paiement : mi-mai)

C’est un sujet brûlant aux Etats-Unis: plusieurs centaines de millions de dollars, qui pourraient dépasser 1 milliard, dorment dans la trésorerie des plateformes de streaming musical. Le Mechanical Licensing Collective (MLC), un organisme américain de gestion collective des droits d’auteur de la musique, est officiellement mandaté pour collecter ces arriérés auprès des Spotify, Apple Music et autres Google Play Music/YouTube qui thésaurisent les sommes non allouées. Déjà un demi-milliard de dollars a été récupéré : première restitution aux ayants droit courant avril.

D’Apple Music et Spotify à Deezer et Qobuz
Dirigé par Kris Ahrend (photo) et basé à Nashville (capitale du Tennessee), tout en ayant des implantations dans d’autres villes américaines, et une à Londres, le MLC joue le rôle de go-between entre les éditeurs de musiques et les auteurs-compositeurs, interprètes et paroliers autogérés et membres. Depuis le mois de janvier, il a commencé à gérer les licences générales, obligatoires pour tous les services de streaming et de téléchargement de musique en ligne aux Etats-Unis. « Le MLC est sur la bonne voie pour livrer ses premiers paiements de redevances en avril, dans le cadre de son processus de versement mensuel », a précisé Kris Ahrend dans sa newsletter de mars. Homologué en juillet 2019 par le « US Register of Copyrights » dans le cadre de la loi américaine Music Modernization Act (MMA) de 2018, le MLC a pour mission de récupérer auprès des plateformes numériques éligibles aux Etats-Unis ces redevances non payées mais dues en vertu des licences de musiques enregistrées mises en ligne. C’est au MLC de reverser tous les deux ans ces royalties impayées aux artistes une fois identifiés. N’entrent donc pas dans son champ d’action les licences ou les royalties d’exécution publique, les licences ou les redevances de synchronisation ou les redevances d’enregistrement (2).
Et à partir de cette manne inespérée, mais sans bénéficiaires dans l’immédiat, l’organisme de gestion collective à but non lucratif répartira les sommes et paiera les auteurs-compositeurs, les interprètes, les paroliers et les éditeurs de musique. Et cela commence à payer : le MLC a déjà perçu, à la première échéance des paiements du 15 février, un total de plus de 424,3 millions de dollars de royalties – un record historique – accumulées par les plateformes numériques. D’autres transferts de fonds sont à venir, qui pourraient dépasser le milliard cumulé. Plusieurs raisons expliquent cette rétention de royalties « non appariées » : soit les montants sont affectés à des œuvres dont l’auteur est non-identifiable, soit l’origine étrangère n’est pas déterminée. Ainsi, en tête des redevables : Apple Music a versé 163,3 millions de dollars ; Spotify a restitué 152,2 millions de dollars ; Amazon Music s’est acquitté de 42,7 millions de dollars ; Google, au titre de Google Play Music et de YouTube, a payé 32,8 millions de dollars. Même les plateformes françaises Deezer, dont Orange est actionnaire minoritaire, et Qobuz, propriété de Xandrie, ont restitué respectivement 988.338 dollars et 106.893 dollars.
Au total, une vingtaine de Digital Service Providers (DSP) ont payé leur écot. Ces derniers ont également livré au MLC, avec ces premiers règlements, plus de 1.800 fichiers de données contenant plus de 1,3 téraoctets et 9milliards de lignes de données ! « Nous pouvons commencer le processus d’examen et d’analyse des données afin de trouver et payer les propriétaires des droits d’auteur correspondant », s’est félicitée le MLC, tout en annonçant la création d’une page web dédiée intitulée « Historical Unmatched Royalties » (3), ainsi qu’« un portail de réclamation en ligne (4) qui permettra aux membres (5) d’identifier toutes les chansons non appariées qu’ils possèdent et de réclamer les redevances associées ». Bien que le MLC commence à payer les ayants droit en avril, il précise qu’il ne sera pas en possession de toutes les data avant juin prochain. Pour les sommes non réparties au bout de deux ans, elles seront distribuées à partir de janvier 2023 à tous les détenteurs d’œuvres identifiées au prorata de leur part de marché – majors en tête donc.

Le MLC à Londres devra rendre des comptes
Parallèlement, souligne le MLC, « les DSP demandent à la MMA de limiter leur responsabilité en cas de violation passée et d’utilisation illicite » de ces œuvres musicales. Cet échange de bons procédés – « Je paie, mais vous ne m’attaquez pas en justice » – porte ces fruits. Reste que le MLC ne paiera que les artistes situées sur le sol américain, à la grande satisfaction des associations de songwriters (SONA) et des music publishers (NMPA). En Europe, le MLC devra de Londres rendre des comptes : notamment, en France, à la Sacem ou à la SACD, « sinon, il faut tenter de corriger par soi-même en contactant le MLC », écrit à ses confrères et consœurs Wally Badarou, membre de l’Union des compositeurs de musique de films (UCMF). @

Charles de Laubier