Wild Bunch refait son e-cinéma (exit les salles) : nouveau pied de nez à la chronologie des médias

La société de distribution et productrice de films Wild Bunch a sorti le 18 mars uniquement en VOD son nouveau film « 99 Homes » – Grand Prix du dernier Festival du film américain de Deauville. Il ne sera donc pas projeté dans les
salles obscures, n’en déplaise à la sacro-sainte chronologie des médias.

Ce n’est pas la première fois que Vincent Maraval (photo), cofondateur de la société française Wild Bunch, défie la
sacro-sainte chronologie des médias en France. En proposant uniquement en VOD et non pas en salles de cinéma le nouveau film « 99 Homes », dont il est le distributeur, il réitère une pratique « e-cinéma » qu’il a été le premier à adopter dans l’Hexagone en mai 2014 avec le film «Welcome to New York » (1), que Wild Bunch avait alors produit. Ce premier pied de nez
à la chronologie des médias, avait même été fait durant la grand-messe du Festival de Cannes, le film étant alors « hors compétition ».

Des films, « chair à canon » pour les salles
Cette fois, avec « 99 Homes », Wild Bunch entend banaliser la pratique du e-cinéma qui est à ne pas confondre avec la simultanéité salles-VOD – toujours interdite en France (voir encadré ci-dessous). Le e-cinéma, lui, fait l’impasse sur la salle et échappe ainsi à la réglementation stricte de la chronologie des médias. Le film est ainsi disponible sur la majorité des services de VOD (à l’acte) et SVOD (par abonnement). Bien sûr, il est également disponible sur Filmo TV, la propre plateforme vidéo de Wild Bunch. « 99 Homes » est proposé en e-cinéma pour 6,99 euros ou moitié moins cher pour les abonnés. Ce prix peut paraître cher pour certains. « Si vous regardez le film tout seul, oui. Mais si vous le regardez à quatre, c’est moins cher ! », leur répond Vincent Maraval (2). Pour la première fois en France, un grand média – France Inter
en l’occurrence – est partenaire d’un film en e-cinéma. C’est justement sur cette radio publique que, le 21 mars, Vincent Maraval a justifié ce boycott des salles. « Dans l’économie actuelle de la distribution indépendante de cinéma, ce film n’avait pas vraiment ses chances en salles. Aujourd’hui, il y a une espèce de zone de films indépendants qui sont destinés à faire entre zéro et 400.000 entrées et qui n’ont plus d’économie en salles – de par les frais de sortie, la chronologie des médias, ou encore les contraintes techniques. L’ayant droit n’a plus la libre jouissance de ses droits. Et la vie moyenne d’un film en salle est de dix jours ! », a-t-il expliqué, tout en critiquant sévèrement le fonctionnement des salles. « Il faut un taux de rotation dans ces salles : ces films sont de la chair à canon [CQFD] pour vendre des bonbons dans les salles…
Il faut attirer des spectateurs tout le temps avec des nouveaux films, dont la vie économique est accessoire. Ce qui compte, c’est le taux de remplissage moyen de la salle ! Le Web permet au contraire aux films de durer ». De quoi faire grincer les dents du réalisateur et producteur Claude Lelouche qui avait déclaré quelques jours auparavant qu’il fallait « tout mettre en oeuvre pour combattre ces saloperies d’écrans en tout genre [sic] pour que le public continue d’aller en salles ». Ce à quoi Vincent Maraval a répondu sur France Inter que Claude Lelouche « a son âge… » (78 ans), alors que la consommation de films pour la nouvelle génération se fait sur tous types
de terminaux. « On ne peut pas nier l’évolution de la société. C’est bien le problème de notre législation, qui est la même sur ses principes qu’avant l’existence d’Internet – je ne dis pas sur la durée des fenêtres de la chronologie des médias », a-t-il poursuivi. Et d’ajouter : « On a été élevé dans cette espèce de sacralisation de la salle. Aujourd’hui, vous avez des équipement télé à la maison qui sont d’excellente qualité (3). Et le prix de la salle est plus liée à l’exclusivité qu’aux conditions dans lesquelles on voit le film ». @

Charles de Laubier

ZOOM

Simultanéité salles-VOD : « Le rêve absolu » pour Vincent Maraval
« Le rêve absolu serait de pouvoir sortir en même temps en salles et sur Internet – car nous ne sommes pas contre la salle au contraire. On est contraint par la loi de choisir, mais on aimerait ne pas choisir. Nous demandons juste que les ayants droit récupèrent l’usage de leurs droits », a plaidé Vincent Maraval, cofondateur de Wild Bunch sur France Inter le 21 mars. Il souhaite pouvoir adapter la carrière d’un film en fonction de son potentiel, en le sortant en salles dans les grandes villes et en même temps sur Internet.
« C’est ce qui a sauvé le cinéma d’art et d’essai aux Etats-Unis où 80 % du cinéma indépendant sort en VOD day and date, c’est-à-dire en salles et en vidéo », ajoute-t-il. Outre-Atlantique, la chronologie des médias existe non pas légalement mais de fait de par la négociation. « C’est un rapport de force sur lequel on va avoir une négociation. Mais au moins nous aurons le contrôle de la vie du film que nous finançons. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Et il n’y a qu’en France que cela existe… », constate encore Vincent Maraval. @