Pour Bruno Lasserre, pas de régulation des OTT pour faire du « protectionnisme » d’opérateurs télécoms

Le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, a mis les points
sur les « i » au DigiWorld Summit, le 19 novembre à Montpellier : pas question
de réguler les plateformes numériques « pro-concurrentielles » pour faire du protectionnisme économique en faveur des opérateurs télécoms.

N’en déplaise aux opérateurs télécoms (Orange, SFR et Bouygues Telecom en tête), l’Autorité de la concurrence n’a pas l’intention
de réguler les plateformes numériques pour protéger les positions acquises. «On ne régule pas pour faire du protectionnisme économique… A bon entendeur… ». Ainsi pourrait-on résumer l’intervention de Bruno Lasserre (photo), président de l’Autorité de
la concurrence, le 19 novembre au DigiWorld Summit de l’Idate (1). Nous avons emprunté cette formulation à Loïc Rivière, délégué général de l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel), qui l’a postée à chaud dans un tweet.

Terra incognita « pro-concurrentielles »
Bruno Lasserre n’y est pas allé par quatre chemins pour calmer les ardeurs des
uns (les opérateurs télécoms) à réclamer la régulation des autres (les plateformes numériques). « Nous ne nous posons pas assez la question de savoir pourquoi on
doit réguler… C’est un débat démocratique. Parce qu’il a de bonnes et de mauvaises raisons de réguler », a estimé le président de l’Autorité de la concurrence, dont Edition Multimédi@ met en ligne les notes inédites (2) sur lesquelles il s’est appuyé pour structurer son discours de Montpellier.
Les « mauvaises raisons » seraient par exemple d’instaurer une régulation ex ante, des règles et des obligations établies préalablement pour encadrer les éventuelles positions dominantes ou les quasi monopoles de fait de certains géants du Net parmi les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) et les autres nouveaux entrants (Uber, Airbnb, Blablacar, Booking, Netflix, …). « Nous devons admettre que les plateformes numériques sont pro-concurrentielles. Elles sont capables de créer elles-mêmes des marchés ; elles augmentent et approfondissent l’offre, ce qui est bon pour le bienêtre
du consommateur », a tenu à souligner Bruno Lasserre, pour qui « le droit de la concurrence est applicable un peu partout sans qu’il y ait besoin d’instaurer de nouvelles lois ». Ces plateformes dites OTT (Over-The-Top), qui évoluent par définition sur les réseaux sans être elles-mêmes opérateurs télécoms, sont non seulement « pro-competitive » aux yeux de Bruno Lasserre, mais aussi innovantes. « J’encourage la prise de risque », a-t-il lancé, en ajoutant : « Les régulateurs ne doivent pas être paresseux ni arrogants. Redistribuer la rente n’est pas une bonne raison pour
réguler les OTT. (…) Nous ne connaissons pas bien les modèles économiques de ces acteurs. C’est encore une terra incognita. Si l’on régulait trop tôt, cela pourrait être une erreur ? ». Le discours très écouté de Bruno Lasserre, qui s’était résolu à le prononcer en anglais comme pour mieux lui donner une portée européenne voire mondiale, visait en creux non seulement les opérateurs télécoms historiques tentés par le « GAFA bashing », mais aussi les politiques et certaines organisations (Etno, FFTélécoms, …) appelant à réguler d’office ces acteurs du Net. D’une certaine manière, le président de l’Autorité de la concurrence s’inscrit en faux contre la position de l’Arcep qui, par la voix de son président Sébastien Soriano, appelait à « barbariser la régulation pour réguler les barbares » (3). Bien qu’ayant à Montpellier temporisé son propos en disant que
« nous ne devons pas réguler symétriquement les uns et les autres, même si c’est la demande des opérateurs télécoms » et qu’« on ne peut pas réguler Google comme nous le faisons avec Orange », le président de l’Arcep semble être plus « pro-opérateurs télécoms » que ne l’était son prédécesseur Jean-Ludovic Silicani. L’ex-président de l’Arcep s’était en effet opposé aux opérateurs télécoms en vantant les mérites pour les consommateurs d’une concurrence à quatre opérateurs télécoms (4), après avoir accompagné le lancement de Free Mobile. Reste que pour Bruno Lasserre, trop de régulation pourrait tuer la régulation. Une façon de mettre en garde les pouvoirs publics et le législateur sur leurs velléités à vouloir instaurer des règles strictes, notamment dans la perspective du prochain projet de loi « République numérique » porté par la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, et bientôt au Parlement (neutralité du Net, loyauté des plateformes du Web, …).

Vers la régulation de la data
Cependant, il a déplacé la question de la régulation numérique sur la collecte et l’exploitation des données, « qui conditionnent la puissance de marché des OTT ».
Il ne s’agirait pas de se focaliser sur le chiffre d’affaires et les parts de marché des plateformes numériques, mais sur la data qui fait leur puissance économique. C’est déjà une première réponse à la consultation publique que l’Arcep menait jusqu’au 4 décembre (5) en vue d’établir sa « feuille de route “Stratégie 2020” », laquelle sera présentée le 20 janvier 2016 à La Sorbonne. @

Charles de Laubier