A défaut d’avoir des offres de films et de séries premium sur Internet, en OTT, le piratage menace

L’étude de l’Idate sur « les stratégies OTT des ayants droits de contenu premium » montre que l’industrie du cinéma est en retard par rapport au monde du sport dans l’offre de contenus premium sur le Net. Et pour cause : barrières et réticences y sont plus nombreuses. Au profit du piratage ?

Florence Le BorgneSi la télévision contribue encore « assez largement » aux revenus générés par les studios de cinéma et les ligues sportives – « de l’ordre de 20% en moyenne », précise l’Idate (1) –, les offres dites OTT (Over-The-Top) de contenus premium sur Internet commencent à générer des « revenus supplémentaires » pour les détenteurs de droits sur les films, les séries télé ou les événements sportifs.

Emprise de la distribution traditionnelle
Pour peu que ces contenus premium le soient effectivement, à savoir les films et séries télé « en première exclusivité » ainsi que les retransmissions d’événements sportifs majeurs, les ayants droits (majors du cinéma et grandes ligues sportives en tête) peuvent espérer toucher une part bien plus importante de revenus provenant du marché final : « Jusqu’à 92 % de la valeur pour une distribution en direct contre 28 % dans le schéma classique actuel », souligne l’étude dirigée par Florence Le Borgne (photo), consultante à l’Idate.

Pourtant, contrairement au secteur sportif qui s’est plus investi sur Internet pour valoriser ses droits de retransmission des événements (football, rugby, tennis, sports mécaniques, …), le secteur du cinéma affiche un retard flagrant en matière de stratégie en ligne. « La chronologie des médias, réglementaire ou contractuelle, limite les possibilités pour les ayants droits de fiction de se lancer dans une stratégie OTT agressive, susceptible de concurrencer directement les distributeurs traditionnels qui leur assurent l’essentiel de leurs revenus (salles de cinéma, exploitation DVD, chaînes de TV). Les plus gros studios adoptent des démarches prudentes, s’adaptant aux contraintes et aux spécificités des marchés géographiques. Les indépendants privilégient une distribution OTT via des plates-formes existantes, faute de moyens financiers pour organiser eux-mêmes la distribution de leurs contenus en ligne », observe l’Idate.
Interrogée par Edition Multimédi@ sur les risques de piratage qu’entraînent ces barrières et ces réticences, Florence Le Borgne en convient : « Nous partageons
en effet le constat que les ‘’fenêtres vides’’ de la chronologie des médias sont une incitation forte au piratage des contenus sur Internet et qu’il vaut mieux occuper ces espaces libres via des offres légales que de laisser la porte ouverte au piratage », nous dit-elle. Un seul passage de l’étude de l’Idate évoque cette question du piratage, à propos de Hulu, la plate-forme pionnière du streaming VOD co-créée en 2007 par des majors américaines (Walt Disney, NBC Universal, Fox, …) et considérée comme étant
« l’initiative OTT la plus avancée » des studios hollywoodiens. « Les services Hulu et Hulu Plus ne constituent en aucun cas une tentative de désintermédiation des canaux traditionnels mais bien une offre complémentaire visant en partie à valoriser des titres de catalogue ainsi qu’à contrer le piratage de leurs œuvres », précise l’étude. Si l’on extrapole cette remarque de bon sens, c’est à se demander pourquoi tous les ayants droits du cinéma ne devraient pas en faire autant, à l’instar par exemple de Walt Disney qui, en plus de Hulu, déploie une stratégie OTT propre sur les plates-formes UltraViolet, Warner VOD, iTunes, Xbox Video, Playstation Store ou encore Google Play. Ou encore à l’instar du studio canadien Lionsgate qui distribue une partie de ses contenus en mode payant sur YouTube, en plus de iTunes, Amazon, Vudu et Flixter. Quant à la démarche OTT de Wild Bunch, société française indépendante de distribution et de coproduction de films (2), elle est une des rares en France avec sa filiale FilmoTV (3). La chronologie des médias, qui régit les « fenêtres » successives de diffusion des nouveaux films (salle, DVD/VOD, chaînes payantes, SVOD, chaînes gratuites), apparaît comme l’une des principales « barrières » au développement des offres
OTT de cinéma à la demande. « Formalisée sur la base des canaux de distribution historiques, la chronologie des médias reste un outil défensif pour les acteurs traditionnels face à l’apparition des offres à la demande. (…) Elle limite alors l’accès
au contenu frais, par exemple pour les services de SVOD. On remarque ainsi une certaine atrophie du marché de la vidéo à la demande en général, et de l’OTT
en particulier, en France et en Allemagne », constate l’Idate (4).

Les freins de la chronologie des médias
Résultat : les fenêtres de diffusion (assorties de gels des droits) imposées aux nouveaux films limitent l’attractivité d’une éventuelle distribution en direct des œuvres cinématographiques par leurs ayants droits sur l’Internet ouvert. L’étude relève en outre le fait que, dans les pays où la chronologie est définie sur des bases contractuelles (et non réglementaires), ce sont les offres des pure players du Web qui sont les plus populaires : Netflix, Amazon, Google et Apple. @