RNT : pendant que gouvernement, CSA et grands groupes doutent encore, 107 radios se préparent

Quatre mois avant son lancement sur Paris, Marseille et Nice, la RNT est une chance pour une centaine de radios. En cas de succès, elles ne le devront qu’à elles-mêmes car les grands réseaux boycottent, le gouvernement reste indifférent et le CSA doute encore.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, et Louis de Carolis, Gide Loyrette Nouel

Après le succès de la migration de la télévision analogique vers le numérique et l’avènement du numérique sur toutes formes d’images et de sons, le lancement de la Radio numérique terrestre (RNT) – attendue depuis 1996 (1) –
est maintenant prévu pour la veille de la fête de la musique. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’était jusqu’alors pas encore parvenu à opérer la migration numérique pour la radio hertzienne, ce média si populaire
qui touche encore 43 millions de personnes par jour en France (2).

Près de la moitié de radios associatives
Néanmoins, toutes les questions concernant ce nouveau mode de diffusion ne sont
pas réglées, comme le souligne la consultation publique sur le marché de la diffusion hertzienne terrestre de la radio que l’Arcep a ouverte jusqu’au 5 mars. Le cadre législatif de la radio numérique a été mis en place progressivement. La loi « Liberté
de communication » du 30 septembre 1986 (3), modifiée par la loi du 9 juillet 2004 (4),
a fixé les principaux éléments juridiques de la RNT (appels à candidatures, reprise en numérique des services autorisés en FM, …).

Elle a été complétée par les lois Télévision du futur du 5 mars 2007 (5) et Audiovisuel public du 5 mars 2009 (6). Il faudra attendre les consultations publiques d’avril 2005 et d’octobre 2006 lancées par le CSA afin que soit élaboré le futur paysage de la RNT en recueillant l’avis des acteurs du marché. Le 26 mars 2008, un appel à candidatures est lancé par le CSA : il se clôtura le 26 mai 2009 pour toutes les zones, à l’exception des villes de Paris, Marseille et Nice pour lesquelles l’appel a pris fin le 15 janvier 2013 avec des autorisations délivrées à cinq opérateurs de multiplex (pour les 14 multiplexes constitués) et 107 éditeurs de radio qui émettront sur les fréquences de la bande III à partir du 20 juin prochain.En parallèle à la constitution de l’offre de services de radio,
le législateur a – par un arrêté du 3 janvier 2008 – choisi la norme technique qui devrait s’imposer en France. Il s’agit de la T-DMB qui permet le lancement d’une offre numérique riche grâce à des fonctions multimédia avancées. Toutefois, un second arrêté du 16 août 2013 (7) autorise également l’utilisation d’une norme plus populaire en Europe, la norme DAB+. Cette dernière a pour avantage de disposer d’une centaine d’équipements radiophoniques déjà disponibles sur le marché européen. Par exemple, il y a déjà en Allemagne entre 1 et 2 millions de récepteurs DAB+. Avec cette norme, le nombre de radio par multiplex augmente, ce qui permet d’envisager une réduction du coût de diffusion. Même si cette deuxième norme est la bienvenue, car elle permet une gestion plus économe du spectre, il ne faut pas oublier que si les opérateurs déjà sélectionnés souhaitent l’utiliser, ils devront obtenir l’accord unanime de tous les acteurs du multiplex concerné afin d’effectuer ce changement technologique.

La baisse des coûts de diffusion a été, quelle que soit la norme utilisée, l’un des arguments majeurs en faveur de la mise en place de la RNT. La saturation de la fréquence FM a créé une concurrence particulièrement rude, notamment dans les grandes agglomérations où la rareté des fréquences oblige les pouvoirs publics à optimiser le spectre pour une meilleure diversité de l’offre. A cela vient s’ajouter une meilleure qualité sonore : grâce aux systèmes de correction d’erreurs, la qualité de réception devrait être moins sensible aux perturbations et interférences (8). La RNT permet également la possibilité de transmettre d’avantages de données associés.

Face à une situation oligopolistique sur la FM
Concrètement, à Paris, 67 radios ont été retenues pour la diffusion numérique sur la bande III dont 31 nouvelles. Le CSA a sélectionné 54 radios à Marseille et 54 à Nice. Parmi ces radios sélectionnées sur les trois zones précitées, sont notamment mises à l’honneur les radios associatives, 49 sur 107, soit près de la moitié. Compte tenu de ces nombreux atouts énoncés, on s’interroge sur les motivations des principaux acteurs du marché – NRJ, RTL, Europe 1 (Lagardère Active), RMC (NextRadioTV), Radio France (gouvernement) – qui refusent de s’impliquer dans cette aventure.

Quid des projets Onde numérique et R+ ?
Avec l’arrivée de la RNT, on pouvait s’attendre à un engouement de la part de ces grands acteurs, notamment du premier groupe radiophonique français, Radio France, composé de sept chaînes de radios qui touchent plus de 14 millions d’auditeurs par jour.
Toutes les radios déjà autorisées en analogique dans la même zone géographique bénéficiaient d’un droit de préemption (9) leur conférant une priorité dans l’appel à candidatures. Pourtant, le gouvernement n’a pas souhaité préempter de fréquences en numérique pour Radio France (10). Il semble qu’il faudra attendre la mise en place du bouquet sans publicité et payant du distributeur sélectionné pour la bande L, la société Onde Numérique (11), pour retrouver, sur la radio numérique, les chaînes du groupe public. A moins que Radio France ne soit convaincu par le projet R+ d’un ancien du CSA, Philippe Levrier (12). En refusant d’engager le groupe public et en n’annonçant pas de date de fin de diffusion de la radio en analogique, le gouvernement laisse entendre que le succès de la RNT reste à prouver.

Le président du CSA, Olivier Schrameck, rappelle six mois avant le lancement de la RNT (13) qu’il va bientôt soumettre un rapport au Parlement dans lequel il réfléchira
à la place de la RNT dans les transformations des modes de diffusions de la radio, soulignant ainsi lui aussi, sa méfiance à l’égard de ce projet. Radio France et le gouvernement ne sont pas les seuls à bouder la RNT. En effet, les quatre principaux groupes privés (Lagardère Active, RTL, NRJ et NextRadioTV) ont eux aussi refusé d’exercer leur droit de préemption et boycottent officiellement la RNT. Ils mettent en avant la faiblesse de son modèle économique qui impose un double-frais de diffusion analogique/numérique et lui préfèrent la radio sur Internet, ou radio sur IP, déjà utilisée et permettant plus d’interactivité.
En réalité, ces sociétés jouissent aujourd’hui d’une situation oligopolistique sur un marché fermé qui ne peut plus accueillir de concurrence à cause de la saturation des fréquences. Ainsi, il paraît difficile de prendre le risque d’ouvrir ce marché. Et en restant unis, ces opposants à la RNT s’assurent que le public n’effectuera pas de migration technologique car on voit mal un nouvel usage de la radio sans ses auditeurs. En revanche, les opérateurs de taille moyenne comme Radio FG, Radio Nova, Skyrock ou encore Oüi FM (14) ont choisi de participer à l’appel à candidatures. Après avoir bataillé pour s’imposer dans un spectre saturé, ces services de radio ont décidé de se lancer dans l’aventure pour continuer leur expansion. Peut-être profiteront-ils, à cet effet, de l’absence des grands groupes ?
Pourtant rien n’est moins sûr. Malgré de nombreux avantages, ce contexte de méfiance – voire de réticence – risque de se transmettre au public qui devra, comme pour la télévision, faire évoluer son équipement pour accéder à ce nouveau mode de diffusion.
Or on imagine mal un marché se développer en France. Car les fabricants de récepteurs n’investiront a priori pas dans ce marché si les acteurs principaux en termes d’auditeurs s’abstiennent. Il est également difficile de concevoir le développement de ce marché si la norme utilisée n’est pas clairement identifiée et si le gouvernement n’envoie pas un message fort comme imposer dans la fabrication des récepteurs radio un récepteur RNT ou comme simplement annoncer officiellement la fin de l’analogique.

Enfin, l’impact réel de la RNT sur les auditeurs français demeure incertain. Le président
du CSA lui-même a souligné une des faiblesses de la RNT, à savoir sa couverture démographique. Lors de l’appel à candidature de 2008, 19 agglomérations étaient concernées, soit 30 % de la population. Aujourd’hui, seuls les villes de Paris, Marseille
et Nice ont été retenues, soit seulement 15 % de la population française.

En attendant un message clair de l’Etat
Ce choix « ne tient pas suffisamment compte, des enjeux de résorption de la fracture radiophonique dans les territoires mal desservies par la FM. » et vient uniquement créer un doublon – pour les stations qui ont décidé d’être diffuser en numérique – entre la bande FM et la bande III sur des zones données. Sans un message clair de l’Etat et sans qu’un modèle économique soit défini pour la RNT, son lancement devrait se faire cet été dans un climat d’incertitude. Peut-être est-ce pour cela qu’Olivier Schrameck parle de « phase exploratoire » ? @