En faisant de son groupe un « pure player » des médias, Arnaud Lagardère va au bout de ses passions

Dix ans après le décès de son père, Arnaud Lagardère va procéder « d’ici le 31 juillet » au retrait de son groupe du capital d’EADS en cédant sa participation de
7,5 %. Et ce, pour « se recentrer sur les médias » : un pari audacieux mais risqué,
au moment où le numérique chamboule tous les modèles économiques.

(Depuis la publication de notre analyse dans EM@77 du 8 avril dernier, le groupe Lagardère a annoncé le lendemain la cession de 7,4 % dans EADS)

Par Charles de Laubier

ALC’est un tournant historique : d’un conglomérat aéronautique-défense-médias, le groupe Lagardère va devenir d’ici cet été un « pure player » des médias. C’est un peu comme si le fils Arnaud (photo) s’émancipait enfin de son père Jean- Luc Lagardère, lequel est décédé il y a dix ans maintenant.
En prenant son envol pour faire de l’entreprise Lagardère
un « groupe 100 % média », comme il le martèle désormais,
le fils unique prend le risque de l’exposer aux aléas du monde médiatique en pleine « destruction créatrice » numérique et confronté au recul des recettes publicitaires, sur fond d’érosion de la diffusion des magazines.
Autant Jean-Luc Lagardère – ancien président de Matra et d’Hachette – avait l’assurance de tirer une partie de ses revenus de l’Etat français, autant Arnaud Lagardère se lance le défi de ne plus dépendre que de deux passions partagées avec son père : les médias et le sport.

De nouvelles acquisitions en vue
La partie est loin d’être gagnée, tant ces deux secteurs sont de plus en plus soumis à une concurrence exacerbée – comme l’illustre la perte de l’appel d’offres UEFA par la filiale Sportfive. Alors que les médias traditionnels sont à la peine, il faudra aussi à ce jeune patron de 52 ans – fêtés le 18 mars – de l’audace pour surfer sur la vague Internet qui tarde à être un relais de croissance.
Quoi qu’il en soit, l’acte fondateur du « nouveau » groupe Lagardère est la vente d’ici le 31 juillet 2013 de la totalité des 7,5 % dans le géant aéronautique EADS, dont il espère tirer une plus-value exceptionnelle de 2 milliards d’euros. Que va-t-il faire de tout cet argent ?

Comme Vivendi, la décote de la holding en cause
Les actionnaires du groupe, dont Qatar Holding détenant depuis un an maintenant
12,83 % du capital et 10,05 % des droits de vote, seront fixés lors de la prochaine assemblée générale prévue le 3 mai prochain. Mais lors de la présentation des résultats annuels début mars (1), Arnaud Lagardère a précisé qu’au-delà d’un dividende exceptionnel et de la réduction de l’endettement, une partie cet argent frais servira à développer les activités médias et sportives. Car l’un des objectifs prioritaires du gérant et associé commandité de Lagardère SCA (2) est – à l’instar de Jean-René Fourtou pour le groupe Vivendi, décidé lui aussi à se recentrer sur les médias – est de redresser le cours de Bourse de la holding. Autant chez Vivendi, dont l’AG du 30 avril pourrait éclairer la stratégie, ce sont les télécoms qui sont accusés de provoquer la décote de la holding (3), autant chez Lagardère, c’est EADS qui est montré du doigt comme étant à l’origine de cette décote boursière.

Acheter de la croissance et la contrôler
Comme pour Vivendi, l’action de Lagardère plafonne à moins de 30 euros (4), soit au même niveau qu’il a dix ans ! Depuis l’annonce du désengagement d’EADS, l’action a certes grimpé mais elle continue de faire pâle figure. Arnaud Lagardère va donc devoir aller chercher de la croissance dans les quatre activités médias : Lagardère Publishing (livre/maisons d’édition, e-publishing), Lagardère Active (presse, audiovisuel, numérique, régie publicitaire), Lagardère Services (distribution presse, boutiques d’aéroport) et Lagardère Unlimited (événements/ droits sportifs et entertainment).
« Nous envisagerons de réaliser quelques acquisitions de moins de 100 millions d’euros », a indiqué fin mars Arnaud Lagardère (5). La croissance externe va donc se poursuivre. Comme l’an passé, l’année 2013 et les suivantes devraient être consacrées à des investissements dans les activités médias à forte croissance – tout en réduisant l’exposition du groupe aux secteurs moins porteurs. La stratégie digitale, qui était ces derniers temps une déception pour Arnaud Lagardère après avoir dû déprécier des actifs Internet (Doctissimo et NextIdea), va poursuivre dans la voie des fusions et acquisitions. Ainsi, l’an dernier, le site de e-commerce LeGuide.com (acquis mi-2012 après une OPA hostile) et BilletReduc.com (racheté fin 2012) sont tombés dans l’escarcelle d’une des quatre branches médias, Lagardère Active, qui revendique la place de leader en France sur le numérique avec Doctissimo (racheté en 2008), Newsweb (racheté en 2006) et les déclinaisons digitales de ses médias Europe 1,
Elle, Première, JDD,Télé 7 Jours, Public, etc(voir tableau ci-dessous). Début 2012, Lagardère Active s’offrait aussi la société DBDS, éditrice du site Tv-replay.fr. Mais ces acquisitions ont contribué à alourdir de 34 % sur un an l’endettement du groupe qui a atteint 1,7 milliard d’euros à fin décembre 2012.
Les 2 milliards d’euros espérés de la vente d’EADS arrivent donc à point nommé pour désendetter le groupe et poursuivre les acquisitions. Lagardère est en outre décidé à se désengager d’activités peu rentables ou dans lesquelles il ne détient pas le contrôle. C’est pourquoi il a annoncé le 2 avril la cession de sa participation de 25 % dans Les Editions P. Amaury, la holding du groupe qui édite notamment L’Equipe et Le Parisien reprenant ses parts pour 91,4 millions d’euros.
Mais la plus grosse cession à ce jour reste celle des magazines hors de France (102 titres dans 15 pays) vendus en 2011 à l’américain Hearst pour 651 millions d’euros, Lagardère a gardé la propriété de la marque Elle et perçoit de Hearst une redevance calculée sur le chiffre d’affaires de ce dernier. La vente des magazines à l’international,
à l’instar de la vente en 2011 des activités de radio en Russie, montre aussi la volonté
de Lagardère de se recentrer sur la France.
Le délestage de minoritaires ne date pas d’hier : Lagardère a cédé en 2010 ses
17,27 % dans Le Monde SA, puis en 2011 ses 34 % dans Le Monde Interactif ; la
filiale Hachette a cédé à Presstalis (ex-NMPP), en 2010 également, ses 49 % dans Mediakiosk. Des cessions à venir devraient rapporter gros, comme les 20 % dans Canal+ France pour lesquels Lagardère demande à Vivendi – sans succès pour l’instant – le rachat de sa participation ou, à défaut, l’introduction en Bourse de la chaîne. Mais le dénouement est proche : Lagardère peut exercer ce « droit de liquidité » entre le 15 mars et le 15 avril 2013 ou 2014, dernier délai.

Vendre les actifs les moins porteurs
A l’inverse, le groupe « 100 % média » aimerait s’emparer des 34 % que détient France Télévisions dans Gulli, la chaîne jeunesse de la TNT, dont il détient déjà 66 %. Mais aucun accord n’a été trouvé à ce jour sur le prix d’achat à payer à l’entreprise publique en quête de réductions budgétaires. Quant à la cession en 2010 de la chaîne de télévision Virgin 17 à Bolloré Media, elle s’inscrit elle aussi dans l’abandon d’activités
à faible croissance. Autre cession en vue, celle des 42 % dans le groupe Marie-Claire. Ces cessions ne se font pas sans hésitations comme l’a montré l’an dernier la vente avortée de Virgin Radio à Goom ou à NRJ. Loin d’être achevé, l’envol du groupe Lagardère vers le « 100 % média » ne se fera pas sans traverser des zones de turbulences. @

Charles de Laubier