Consoles inconsolables (I)

En cette veille de fêtes de fin d’année, je suis inconsolable… Le compagnon de jeu numérique de notre jeunesse serait, selon certains, proche de la mort clinique. Après presque
un demisiècle de bons et loyaux services, les consoles seraient, en effet, en train de disparaître. Les raisons en
sont multiples, même si, à l’instar de l’ensemble des autres contenus (musique, presse, vidéo, livres), la lame de fond
de la dématérialisation a fini par transformer profondément l’industrie des jeux vidéo. Pour les seules consoles de salon, le mouvement s’est accéléré : alors qu’en 2010, les éditeurs et les « consoliers » ne commercialisaient qu’à peine 10 % de leurs jeux via leurs « app stores », cette part
est montée rapidement à 50 % en 2015 pour représenter les deux tiers de leur chiffre d’affaires actuel. Malgré tout, les consoles ont résisté. Vendus neufs ou d’occasion en magasins principalement, les équipements et leurs jeux faisaient partie d’un écosystème très structuré autour des géants du domaine, des grands distributeurs et des boutiques spécialisées. En 2004, les consoles représentaient encore près de 60 % de l’ensemble des revenus du marché mondial des jeux vidéo. En 2015, cette part était tombée à moins de 40 %, pour ne plus compter que pour un bon tiers aujourd’hui, le marché lui-même continuant de croître globalement.

« Les consoles résistent, en intégrant dans le jeu vidéo des émotions du joueur par le biais de capteurs biométriques
ou de commande cérébrale ! »

Quelle histoire ! Commencée en 1972 avec la toute première console, Odyssée de Magnavox. Son créateur, Ralph Baer, avait imaginé que l’on pourrait jouer sur son téléviseur, l’ordinateur personnel n’existant pas encore, grâce à un système de… calques apposés sur l’écran. Mais, c’est le fameux Pong d’Atari qui, en 1975, fit entrer ces consoles dans nos foyers. Nous étions tout autant fascinés par le pouvoir hypnotique de cette petite balle carrée renvoyée inlassablement par deux raquettes symboliques, que par la possibilité de jouer à domicile d’interminables parties de tennis virtuel. Cela n’était auparavant possible que dans nos cafés préférés, lorsque les premières machines de jeux électroniques permettaient, entre deux parties de flippers, de nous lancer des défis sur un casse-briques impitoyable ou de résister à l’invasion d’extra-terrestres extrêmement déterminés. L’arrivée des PC aurait pu sonner le glas pour ces consoles. Mais un matériel dédié – spécialement conçu pour le jeu et intégrant des innovations techniques généralement en avance sur les équipements informatiques du marché – avait toute sa place. Le dynamisme du développement du parc installé de consoles l’a prouvé : le seuil des 400 millions de consoles installées dans le monde a été dépassé vers 2010, pour atteindre les 700 millions dix ans plus tard. Le rythme des innovations ne s’est jamais interrompu, les échecs non plus, comme Apple et sa console « Pipp!n » lancée en 1996. Avec un cycle de cinq ans en moyenne, les fabricants ont régulièrement proposé leurs nouveaux produits. Aujourd’hui, la neuvième génération de consoles, représentée par la Wii U de Nintendo, la PS4 de Sony et la Xbox Next de Microsoft commercialisée entre 2012 et 2013, est en train de laisser la place à la dixième génération. Les joueurs sont désormais habitués à l’immersion en 3D ou aux commandes directes par la voix ou les mouvements. Mais les consoliers proposent toujours de nouvelles possibilités, comme l’intégration des émotions du joueur dans le jeu par le biais de capteurs biométriques ou l’interconnexion des jeux eux-mêmes et des univers. Mon avatar peut désormais me suivre d’un jeu à l’autre. Le défi reste immense pour des consoles qui doivent défendre leur place dans un environnement complexe. Les jeux, désormais dématérialisés et ubiquitaires, doivent être accessibles sur tous les terminaux – fixes et nomades – et via de nouvelles extensions telles que des casques bardés de capteurs sensoriels ou une commande cérébrale ! Le joueur accède avec un compte unique à ses jeux, disponibles sur des plateformes différentes. Si la disparition des boîtes préfigure la fin du concept même de console, la création reste toujours aussi dynamique, conférant à cette industrie de l’étonnement, son statut désormais incontesté de 10e Art. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Jeux online et Cloud Gaming (II)
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’IDATE publie régulièrement
son rapport « Le marché mondial des jeux vidéo »,
par Laurent Michaud.