Dette, fiscalité, nationalité, … : l’image floue de Patrick Drahi, bientôt n°2 des télécoms en France

C’est un milliardaire franco-israélien discret mais aussi l’entrepreneur le plus endetté du moment. Patrick Drahi n’attend plus que le feu vert de l’Autorité de la concurrence, d’ici la fin de l’année, pour fusionner SFR et Numericable sous sa holding financière Altice, basée au Luxembourg. Mais des questions se posent.

Par Charles de Laubier

Patrick DrahiCela fait maintenant trois mois que Vivendi a accepté l’offre du câblo-opérateur Numericable français et de sa maison mère luxembourgeoise Altice, afin d’acquérir SFR pour 13,5 milliards d’euros cash, auxquels pourront s’ajouter 750 millions d’euros. L’opération, dont « l’accord définitif » a été signé le 20 juin dernier, devrait aboutir fin 2014 ou début 2015, une fois que l’Autorité de
la concurrence aura donné son feu vert.
Un lien entre le cédant et l’acquéreur sera maintenu car le groupe Vivendi, désormais présidé par Vincent Bolloré, recevra une participation de 20 % dans le futur nouvel ensemble SFR/Numericable que dirigera Patrick Drahi (photo).
Ce dernier, discret milliardaire franco-israélien né au Maroc il y aura 51 ans au mois d’août et polytechnicien ingénieur télécom passionné, s’est retrouvé en quelques mois sous le feu des projecteurs.

Pris les pieds dans le câble en France depuis 20 ans
Ce financier autodidacte doit encore lever des milliards – via sa holding Altice et sa filiale Numericable – pour être en mesure de finaliser l’acquisition de SFR, qui demeure pour quelques mois encore la filiale télécoms de Vivendi.
Pour payer une partie de la note salée, 12 milliards d’euros ont été levés en avril à travers des emprunts obligataires. Plus récemment, fin juin, Altice a levé près de 1milliard d’euros dans le cadre d’une augmentation de capital. Cette opération permettra à la holding de Patrick Drahi de monter à près de 75 % dans Numericable
(1) – contre 40 % auparavant – et de réduire sa dette nette.
Altice a prévu de s’endetter à hauteur de 3 milliards d’euros. Numericable, qui doit ensuite boucler le financement de l’acquisition de SFR par un emprunt et une augmentation de capital pour un montant total de 4,7 milliards d’euros, rachète en outre Virgin Mobile pour 325 millions d’euros. Ainsi jongle Patrick Drahi avec l’argent, alors que rien ne prédisposait cet X-Télécom à jouer le financier de haute voltige. Le virus
l’a pris il y a vingt ans lorsqu’il s’est lancé dans le câble en France en créant, dans le Vaucluse, Sud Câble Services, qui sera ensuite racheté par le câblo-opérateur américain InterComm. L’année suivante, en 1995, il crée Media-réseaux à Marne-la-Vallée, dans lequel il convaincra la société américaine UPC d’y investir, tout en conservant 0,4 % du capital.

Mal vu par Arnaud Montebourg
Puis c’est en 1999 qu’il débute sa carrière chez UPC, en s’installant à Genève –
« à la demande de son employeur », affirmera-t-il. Il rachètera en France une première brochette de câblo-opérateurs : RCF, Time Warner Cable, Rhône Vision câble, Videopole et InterComm France. En 2001, il revend ses parts UPC et crée en mai 2001 son fonds d’investissement, Altice, qui avalera une deuxième série d’opérateurs de câble français : Est Vidéocommunication, Numericable, Noos, France Télécom Câble, TDF Câble et UPC France (2). Ainsi est né le nouveau Numericable, un monopole du câble coaxial, qui réussira avec la norme Docsis à faire passer son réseau pour de la fibre à domicile de type FTTH (3). Tandis que la Commission européenne soupçonne depuis un an Numericable d’avoir bénéficier d’aides d’Etat de la part de 33 municipalités qui lui ont cédé gracieusement leur réseaux câblés entre 2003 et 2006.

Et en 2014, malgré les réticences du gouvernement, Patrick Drahi convainc Vivendi de lui racheter SFR au nez et à la barbe de Bouygues qui avait pourtant la préférence du ministre du Redressement productif. Arnaud Montebourg ira jusqu’à lancer sur Europe 1, quelques heures avant que Vivendi n’officialise Altice comme repreneur de SFR (4) : « Il y a un problème fiscal puisque Numericable a une holding au Luxembourg ; son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam ; sa participation personnelle est à Guernesey dans un paradis fiscal de Sa Majesté la Reine d’Angleterre ; et que lui-même est résident suisse. Il va falloir que M. Drahi rapatrie l’ensemble de ses possessions et biens à Paris, en France » ! Et dans la soirée, après que Vivendi ait officialisé son choix, le ministre enfonçait le clou sur France 2 : « Il va falloir qu’il fasse preuve de patriotisme fiscal »…

Tant qu’à faire, le ministre du « Made in France » aurait pu évoquer le fait que Patrick Drahi a tenté en 2013 de renoncer à sa nationalité française, comme l’a révélé le 13 mars dernier Challenges, le magazine n’ayant pas pu intégrer le milliardaire du câble dans son « Top 500 » des plus grandes fortunes de France. « Patrick Drahi n’est plus Français », avait justifié son avocat Alexandre Marque (cabinet Franklin), mais l’entourage de l’intéressé explique aujourd’hui le contraire. Arnaud Montebourg n’est pas loin de penser, comme Xavier Niel, que Patrick Drahi est un évadé fiscal. « Patrick Drahi devrait redevenir résident fiscal français. Je trouverais cela très sympathique, mais en a-t-il l’intention ? », avait déclaré aux Echos le patron du groupe Iliad-Free. Quelques jours plus tard, Patrick Drahi réplique : « J’ai ma famille en Suisse. Je n’ai pas prévu de faire rentrer ma famille en France ». Mais le roi du câble n’en aurait pas fini avec le fisc français puisque, selon BFM Business, Bercy aurait diligenté une enquête sur sa situation et sa résidence fiscales…

Les interrogations du gouvernement se portent aussi sur le risque de surendettement du tandem Altice- Numericable. Le rachat de SFR se fait essentiellement par la dette. C’est un levier que Patrick Drahi connaît bien, pour avoir financé ainsi ses acquisitions successives. Numericable fut le plus gros LBO (5) de France. Cette technique financière de rachat d’entreprise par endettement ne semble pas avoir de limite pour
ce fils de professeurs de mathématiques et matheux lui-même.
Au 31 mars, le groupe Numericable affiche une dette nette de plus de 2,5 milliards d’euros qui doit être progressivement remboursée d’ici à février 2019. Quoi qu’il en soit (6), Arnaud Montebourg s’inquiète de voir « une entreprise de 5 milliards qui s’endette
à hauteur de 10 milliards pour acheter plus gros que lui ». Le ministre craint « le surendettement, c’est-à-dire ce qu’on appelle les LBO : vous achetez à crédit, et si le marché se retourne (…) ce sont ensuite les entreprises qui tombent et licencient leur personnel » (7). Autrement dit, Patrick Drahi aurait les yeux plus gros que le ventre.

Mais une autre question taraude : comment ce virtuose de la dette a-t-il pu convaincre Jean-René Fourtou, alors président du conseil de surveillance de Vivendi, et son successeur d’aujourd’hui Vincent Bolloré, que son offre était la meilleure par rapport
à celle de Martin Bouygues, pourtant soutenu par le gouvernement ? Mediapart a avancé le 17 mars la thèse du « petits arrangements entre amis » où deux autres administrateurs de Vivendi – Jean-François Dubos (alors président du directoire de Vivendi) et Alexandre de Juniac (actuel PDG d’Air France- KLM) – se seraient vu promettre un poste d’administrateur au sein de la future entité SFR-Numericable. Tandis que Jean-René Fourtou pourrait en prendre la présidence… Ce que Patrick Drahi s’est empressé de démentir. Reste que l’image du nouveau numéro 2 des télécoms en France – suspecté d’évasion fiscale, de surendettement et d’affairisme – apparaît pour le moins floue.

Il lui reste à avoir « bonne presse »
Est-ce pour avoir « meilleure presse » dans l’Hexagone que la 119e plus grande fortune mondiale (au patrimoine estimé à 10,9 milliards de dollars) a décidé de voler au secours de Libération – dont il détiendra 50 % moyennant 18 millions d’euros ? Est-ce pour se rappeler au bon souvenir de ses camarades de promotion à l’école Télécom ParisTech qu’il a consenti 10 millions d’euros à l’Institut Mines-Télécom ? A suivre… @