Philippe Levrier, président de la SEPN : « Le projet R+ espère réconcilier les grandes radios avec la RNT »

Ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Philippe Levrier vient de créer la Société d’études et de participations dans le numérique (SEPN) pour son projet de radio numérique en mobilité baptisé R+. Il entend y rallier les grandes radios privées et publiques, maintenant que l’arrêté « DAB+ » a été publié le 28 août.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous avez été auditionné par le CSA le 15 juillet pour votre projet de radio numérique R+ : pourquoi pourrait-il réussir là où la RNT peine à convaincre ?
PLPhilippe Levrier :
Le scénario RNT antérieurement adopté par le CSA reposait sur un pari selon lequel il devait être possible de remplacer rapidement la bande FM par la RNT, comme on
a substitué en quelques années la TNT à la télévision analogique. Ce pari est d’ores et déjà perdu.
Entre radio et télévision, les circonstances sont très différentes : en radio l’offre est abondante, le taux de renouvellement des récepteurs est faible, les fréquences éventuellement libérées (la bande II) n’ont pas une grande valeur, le bénéfice pour l’auditeur est faible.
Les grands groupes de radio n’ont donc pas trouvé leur intérêt dans cette démarche risquée et coûteuse. R+ est né de l’interrogation suivante : peut-on construire, dans le contexte français, un modèle de diffusion de la radio numérique qui rencontre l’adhésion des radios nationales privées et publiques ?

• A l’origine du projet : Société d’études et de participations dans le numérique (SEPN). • Objectif : diffusion numérique hertzienne, en complément de la FM, de radios nationales et régionales vers les automobilistes ayant choisi l’option DAB+ et les récepteurs DAB+. • Lancement : 2016 • Coût du projet : 35 millions d’euros. • Couverture : 45 millions d’habitants. • Technologie : DAB+ (arrêté daté du 16 août 2013 et paru le 28 août au J.O.)

EM@ : NRJ, RTL, Europe 1 ou encore RMC, hostiles à la RNT, pourraient-ils changer d’avis et devenir partenaires de R+, de même que Radio France pour lequel le gouvernement n’a pas préempté de fréquences pour la RNT ?
P. L. : Nous avons engagé avec les radios nationales un dialogue approfondi pour mieux cerner les conditions de leur possible engagement dans le projet. Nous sommes également en relation avec les radios régionales indépendantes. Ces échanges ont déjà permis de tirer quelques conclusions très positives. En particulier, si l’objectif de viser une couverture en mobilité est partagé, les radios souhaitent une couverture « surfacique » plus large, ce que nous sommes en train d’étudier. Sans les radios qui cumulent plus de 80 % de l’auditoire, la radio numérique terrestre est vouée à l’échec. Il faut comprendre que ces groupes ne sont pas contre la RNT par principe. Simplement, on ne leur a pas encore proposé de scénario qui tienne la route économiquement. R+ peut être ce modèle vertueux.

EM@ : Quelle population visez-vous et pour quel investissement ? Quand espérez-vous une autorisation dans la bande 3 et le feu vert pour lancer le service ?
P. L. :
La piste que nous suivons est simple : la radio numérique peut offrir la continuité
de réception de ces radios en mobilité sur les grands axes et les grandes agglomérations, ce que la FM ne parvient pas à faire véritablement. Les réseaux nécessaires sont moins coûteux – 35 millions d’euros d’investissements environ – et l’équation économique est donc facilitée. En outre, nous proposons que les fréquences soient attribuées à un distributeur qui composerait contractuellement le bouquet de radios, sous le contrôle
du CSA. Une partie de l’audition du 15 juillet a été consacrée à cette question de la composition du bouquet. R+ n’entend évidemment pas se substituer au régulateur. Le réseau que nous avons envisagé à l’origine couvre 45 millions d’habitants. Les terminaux sont bien sûr disponibles : au-delà des voitures avec option DAB+, ce sont les récepteurs DAB+ déjà vendus aujourd’hui en Allemagne par exemple. Et demain, pourquoi pas les smartphones intégrant une puce DAB+. Le calendrier du projet est du ressort du CSA. Mais selon nos prévisions actuelles, les diffusions pourraient vraisemblablement débuter en 2016.

EM@ : En quoi votre projet R+ est-il différent de la RNT gratuite prévue fin 2013
à Paris, Marseille et Nice, ainsi que du projet de RNT payante (Onde numérique), voire du projet IP Broadcast soutenu par Pierre Bellanger ?
P. L. :
R+ est complémentaire du processus RNT. Le projet occuperait, au plus, la moitié de la bande 3. Ce qui laisse une place suffisante pour la diffusion des radios locales privées et associatives, à condition toutefois que la norme DAB+ soit généralisée. Nous ne sommes pas concurrents d’Onde numérique, qui ambitionne de créer un marché de
la radio payante avec des formats inédits sans publicité. R+ prolonge l’offre gratuite des radios existantes, avec en plus des données d’informations routières et d’assistance aux automobilistes diffusées selon la norme TPEG, voire des données associées à définir. Quant à l’IP hertzien, il existe déjà nous semble-t-il et cela s’appelle la 4G. Un tel modèle suppose un financement par les opérateurs mobiles, très improbable si l’on se souvient
de la tentative avortée de la télévision mobile personnelle (TMP).

EM@ : La pub suffira-t-elle à financer la gratuité ?
P. L. :
Sur l’économie globale, il appartiendra aux radios de porter le jugement final, comme elles le font chaque fois qu’elles envisagent une extension de leur couverture FM. Toutefois, pour faciliter l’arrivée à l’équilibre, nous étudions la possibilité de recourir à une autre source de financement. Chaque acheteur d’automobile choisissant l’option DAB+ verserait une contribution « cachée » unique – de quelques dizaines d’euros – rétrocédée par les constructeurs à R+. Ce dispositif fonctionne aujourd’hui pour le financement des services d’informations routières. Michel Reneric, toujours président de Mediamobile [filiale de TDF dont il est retraité, ndlr], a rejoint le projet et va nous faire bénéficier de
sa grande expérience en la matière.

EM@ : Qu’attendez-vous des Assises de la radio qui se tiendront fin octobre ? Quelles évolutions législatives espérez-vous pour la radio dans le projet de « grande loi audiovisuelle » prévue en 2014 ?
P. L. :
Au plan institutionnel, maintenant que l’arrêté instituant la norme DAB+ a été publié au J.O. du 28 août, ce dont nous nous réjouissons, nous attendons d’abord que deux autres étapes importantes soient franchies prochainement : un arbitrage gouvernemental sur les fréquences qui maintienne l’affectation de la bande III à la radio et la sortie du rapport sur la radio numérique annoncé par le CSA. Nous espérons vivement que ce rapport laissera sa chance au projet. R+ est compatible avec les dispositions législatives actuelles et nous ne sommes demandeurs d’aucun aménagement particulier. Si les Assises de la radio pouvaient être l’occasion de donner le feu vert final, nous en serions bien sûr comblés.

EM@ : DAB+ peut-il être un déclencheur ?
P. L. :
Le DAB+ est une condition nécessaire mais pas à proprement parler un déclencheur. La norme est neutre, elle ne détermine pas l’usage. Cependant, l’arrêté DAB+ daté du 16 août est pour nous un signe très positif de la volonté des pouvoirs publics d’encourager notre démarche.

EM@ : Le 8 août, Google a lancé en France un service de musique alliant streaming et smart radios, sur les traces de Spotify et de Deezer. Apple lancera iTunes Radio cet automne. Il y a des milliers de webradios. Risque-t-on la surabondance de radios numériques et l’émiettement du média radio ?
P. L. :
Radio numérique hertzienne ou pas, ces évolutions sont inéluctables. Pour les radios, la question n’est donc pas seulement économique, elle est proprement stratégique. Veulent-elles conserver, dans le monde numérique, un vecteur de distribution hertzien qu’elles contrôlent ? Si oui, R+ leur offre la possibilité de commencer à s’installer dans cette bande III, à des conditions raisonnables et donc de sécuriser cet important actif immatériel, mais essentiel à leur activité. Sinon, l’avenir numérique des radios sera placé sous le signe de la dépendance vis-à-vis des grands acteurs du mobile et d’Internet.
C’est dans les prochains mois que ce choix capital doit être effectué. @

Le CSA autorise TDF à expérimenter la diffusion multimédia mobile (B2M) sur la TNT

Selon nos informations, le CSA a autorisé TDF et ses partenaires du consortium B2M à expérimenter durant deux mois la diffusion audiovisuelle en DVB-T/T2 d’un bouquet de services multimédias (télévision, VOD, Catch up, presse, …) via un réseau de type broadcast, comme celui de la TNT.

ArchosC’est une révolution technologique à laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a donné son feu vert lors de sa séance plénière du 9 avril dernier.
Un an après avoir enterré la télévision mobile personnelle (TMP), en retirant les autorisations à seize éditeurs de chaînes de télévision délivrées en 2010 faute de modèle économique pour financer le réseau hertzien (1), le régulateur vient en effet d’autoriser TDF à expérimenter durant deux mois un projet encore plus ambitieux : B2M (Broadcast Mobile Multimedia).

Réception sur des tablettes Archos
Il s’agit de diffuser en mode « push VOD » ou en « filecasting » sur Paris, par voie hertzienne à partir de la Tour Eiffel et sur des fréquences UHF de la TNT, un bouquet de services multimédias en direction des terminaux mobiles (smartphones, tablettes, …).
Les émissions à la norme DVB-T/T2 (2) de ces flux « live » ou « on demand » débuteront avant l’été.
Une cinquantaine de mobinautes pourraient participer à cette phase exploratoire pour recevoir sur leur mobile – en l’occurrence une tablette du fabricant français Archos, partenaire du projet – plusieurs services : chaînes de télévision, vidéo à la demande (VOD), télévision et radio de rattrapage (catch up et podcast) ou encore une sorte de kiosque avec player pour lire la presse. Bref, tous les contenus multimédias qui peuvent être diffusés en mode broadcast vers des mobiles seront potentiellement concernés par ce système d’agrégation de contenus. Même des livres numériques pourraient être proposés à terme dans le bouquet B2M. TDF entend réussir là où la TMP avait échoué, comme l’explique Vincent Grivet, directeur à la direction de la stratégie et de l’innovation de TDF, à Edition Multimédi@ : « Contrairement à la TMP, où un seul service (la diffusion de chaînes de télévision linéaires) n’a pas permis de justifier l’utilisation d’un réseau broadcast, B2M permet de mutualiser les coûts de l’infrastructure sur un flux de contenus très large ». Toute la différence est là : diffuser sur mobile non seulement de la télévision linéaire mais aussi des services multimédias non linéaires. Cette expérimentation va permettre à TDF, et à sa filiale Cognacq-Jay Image, de faire connaître la plate-forme auprès de l’ensemble des acteurs qui pourraient être intéressés à utiliser cette solution
de distribution peu coûteuse. L’investissement pour couvrir par exemple 30 % de la population française (soit les plus grandes villes de France) serait, selon Vincent Grivet,
« bien inférieur à 50 millions d’euros ». L’autorisation du CSA s’inscrit dans un projet en gestation depuis 2011 et financé par le gouvernement – via les Investissements d’avenir (ex-Grand emprunt) et son Fonds national pour la société numérique (FSN) – à hauteur
de 30 % du budget total de 3 millions d’euros qui sont nécessaires à la mise au point de
ce prototype. Outre Archos qui a remplacé dans ses tablettes utilisées pour le test la réception 3G par la réception DVB-T/T2, sont partenaires du consortium B2M : l’Institut Télécom, Airweb (qui développe notamment le player), Parrot avec sa division Dibcom (qui fournit le circuit électronique du récepteur DVB), Expway (le middleware qui gère le mode « push »), et Immanens (pour l’édition électronique de contenus presse et la conception de kiosques numérique).
Quant aux opérateurs mobile, ils pourraient percevoir B2M et son réseau broadcast point-à-multipoint sur mobile comme un solution complémentaire à leurs réseaux 3G/4G mis à rude épreuve par la diffusion massive en mode point-à-point des contenus audiovisuels. TDF compte bien leur proposer de soulager leurs réseaux 3G/4G menacés de saturation face à l’explosion annoncée des flux de données. « Nous prônons la mise au point d’une technologie hybride entre le monde du broadcast traditionnel DVB (3) et le eMBMS (4)
qui arrive sur la 4G LTE. Une telle norme réunirait le meilleur des deux mondes : une intégration facile dans les terminaux grâce au LTE et une diffusion sur des zones plus grandes grâce aux atouts du broadcast traditionnel », nous précise Vincent Grivet. Son partenaire Expway a d’ailleurs présenté au Mobile World Congress de février dernier sa solution eMBMS qui permet aux opérateurs 4G d’alléger de 20 % le trafic de données sur leur réseau LTE.

Vers un réseau mixte DVB-T/eMBMS
Mais le eMBMS seul suffira-t-il face à l’explosion des vidéos sur mobile ? Le mixte des normes DVB-T/eMBMS apparaît donc comme la solution pour du broadcast mobile en haute définition et sans temps de latence. Comme TDF (5), France Télécom (Orange Labs) croit à cette technologique hybride et participe pour cela au projet M3 (Mobile MultiMedia) lancé en 2010 avec l’Agence nationale de la recherche. Le CSA, lui, pousse dans ce sens (6). @

Charles de Laubier