Ursula von der Leyen : « Nous investirons 20 % du budget de NextGenerationEU dans le numérique »

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, première femme à ce poste, a prononcé le 16 septembre son premier discours sur l’état de l’Union européenne (exercice annuel) devant les eurodéputés qui étaient cette année réunis à Bruxelles. Edition Multimédi@ revient sur ses ambitions numériques.

Sur le budget total de 672,5 milliards d’euros du plan de
« redressement d’urgence » baptisé NextGenerationEU – « pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie du coronavirus, soutenir une reprise économique et construire un avenir meilleur pour la prochaine génération » –, une part non négligeable de 20 % va être consacrée au numérique. Cela représente une enveloppe conséquente de 134,5 milliards d’euros.
Disons-le tout net : c’est sans précédent depuis que la Commission européenne existe, depuis qu’elle s’est réunie pour la première fois en janvier 1958 sous la présidence de l’Allemand Walter Hallstein, soit huit mois avant la naissance de sa compatriote Ursula von der Leyen (photo), qui est à ce poste exécutif depuis une dizaine de mois maintenant. Cette manne sera distribuée aux Vingt-sept sous forme de prêts (53,5 %) ou de subventions (46,5 %). « Les Etats membres peuvent préparer des plans de redressement et de résilience qui définissent un ensemble cohérent de réformes et de projets d’investissement public à mettre en œuvre jusqu’en 2026, afin d’être soutenus », a précisé la Commission européenne. La date limite de soumission des plans de relance par les pays européens intéressés est fixée au 30 avril 2021.

La France devra faire plus en faveur du numérique
Ursula von der Leyen (UVDL) compte sur les eurodéputés pour qu’ils votent « le plus rapidement possible » sur sa proposition législative, afin que le plan NextGenerationEU soit opérationnel « dès le 1er janvier 2021 ». Mais sans attendre, la présidente de l’exécutif européen a dit qu’elle encourageait les Etats membres à présenter leurs avant-projets de plan à partir du 15 octobre 2020, quitte à les finaliser par la suite. Paris a déjà fait savoir qu’il notifiera à Bruxelles, sans doute en octobre, son plan « France Relance » à 100 milliards d’euros présenté début septembre, dont à peine 7 % consacrés au numérique (1), et espère de l’Union européenne 40 milliards d’euros d’aides. Or la Commission européenne attend de chaque plan national au moins 20 % dans le digital. En effet, dans son guide d’orientation à destination des Etats membres (2), la Commission européenne souhaite que « chaque plan de redressement et de résilience comprenne un niveau minimum de 20 % des dépenses liées au numérique » – que cela soit dans la 5G, la 6G – déjà ! –, la fibre optique, la cybersécurité, la blockchain, l’informatique quantique, mais aussi l’éducation au numérique et l’amélioration des services publics grâce aux nouveaux outils numériques.

Réagir vite face à la domination des GAFAM
UVDL estime qu’il est grand temps de réagir face à la domination des GAFAM et de faire des années 2020 « la décennie numérique » de l’Europe qui doit « montrer la voie à suivre dans le domaine du numérique, sinon elle sera contrainte de s’aligner sur d’autres acteurs qui fixeront ces normes pour nous ». Pour entraîner les Vingt-sept, la présidente de la Commission européenne a été très clair : « Nous investirons 20 % du budget de NextGenerationEU dans le numérique. Nous voulons ouvrir la voie, une voie européenne, de l’ère numérique : une voie qui repose sur nos valeurs, notre force, nos ambitions mondiales ». Pour UVDL, l’Europe numérique passe par « la connectivité, les compétences et les services publics numériques », mais aussi par « le droit au respect de la vie privée et à la connectivité, la liberté d’expression, la libre circulation des données et la cybersécurité ». Elle appelle en outre les gouvernements à se référer aux indicateurs de l’indice européen DESI (Digital Economy and Society Index), dont l’état à 2019 a été publié en juin dernier. Par exemple, la France – notée 52,2 et positionnée à la 15e pace du DESI (3) – se situe légèrement en-dessous de la moyenne européenne qui est de 52,6.
Lors de son discours du 16 septembre, UVDL a exprimé le souhait de voir l’Union européenne se « concentrer sur trois domaines » :
• Les données. « En ce qui concerne les données à caractère personnel – dans le commerce entre entreprises et consommateurs – l’Europe a été trop lente et dépend désormais des autres. Il ne faut pas que cela se répète avec les données industrielles », a-t-elle prévenu, déplorant au passage que « 80 % des données industrielles sont collectées mais ne sont jamais utilisées ; c’est du gaspillage ». Aussi, dans le cadre de NextGenerationEU, sera créé un cloud européen « fondé sur Gaia-X », le projet de « cloud de confiance » franco-allemand annoncé en juin dernier et susceptible de fournir ses premiers services en Europe à partir du premier semestre 2021. Mi-juillet, le commissaire européen en charge du Marché intérieur, Thierry Breton, a évoqué un investissement de l’Union européenne de 2 milliards d’euros pour ce qu’il a appelé un « Gaia-UE » (4). Objectif : à la fois mettre en place un projet de cloud commun de données industrielles et créer une fédération européenne des infrastructures et services de cloud. « Les premiers appels à manifestation d’intérêt pour le programme “Europe numérique” (5) pourraient être lancés d’ici la fin de cette année », nous indiquet- on dans l’entourage de Thierry Breton.
• La technologie. La Commission européenne prévoit de proposer dès 2021 « un instrument législatif » encadrant l’intelligence artificielle, les algorithmes et la maîtrise des données à caractère personnel. « Qu’il soit question d’agriculture de précision, de diagnostics médicaux plus fiables ou de conduite autonome sécurisée, l’intelligence artificielle nous ouvrira de nouveaux mondes. Mais ces mondes ont aussi besoin de règles. Nous, en Europe, nous voulons un socle de règles qui place l’humain au centre. Les algorithmes ne doivent pas être une boîte noire, et il faut des règles claires si quelque chose tourne mal », a prévenu UVDL. Notamment, en matière d’identité numérique (e-ID), l’exécutif européen proposera « une identité électronique européenne sécurisée ». Pour la numérisation des entreprises, des aides seront octroyées à l’accélération des décisions et à leur exécution par l’automatisation basée sur l’intelligence artificielle. Cela passe en particulier par le financement de centres d’innovation numérique – Digital Innovation Hub (DIH) – pour soutenir la numérisation de l’industrie et du secteur public, y compris la justice.
• Les infrastructures. « Le coup de fouet que NextGenerationEU va donner à l’investissement est une occasion unique de stimuler la croissance jusqu’au moindre village. C’est pourquoi nous voulons concentrer nos investissements sur la connectivité sécurisée et sur le déploiement de la 5G, de la 6G et de la fibre », a assuré UVDL. Elle trouve d’ailleurs « inacceptable que 40 % des habitants des zones rurales n’aient toujours pas accès à une connexion à haut débit rapide ». Surtout que le confinement généralisé du printemps dernier a enclenché la dynamique du télétravail, de l’éducation à domicile, des achats en ligne ou encore des téléconsultations. L’Europe doit « revitaliser les zones rurales ». Il s’agit là de combler le fossé numérique qui s’est creusé entre zones rurales et zones urbaines, mais aussi de « remédier aux défaillances du marché en ce qui concerne le déploiement de réseaux à très haute capacité ».

Souveraineté digitale et « made in Europe »
Pour Ursula von der Leyen, « ce qui est en jeu, c’est la souveraineté numérique de l’Europe, à petite et à grande échelle ». Ainsi, le « made in Europe » technologique « nouvelle génération » bénéficiera d’investissements non seulement dans les microprocesseurs (6) mais aussi, moyennant 8 milliards d’euros débloqués, dans les superordinateurs. Côté services, la Commission européenne va présenter d’ici la fin de l’année sa proposition législative Digital Services Act (DSA) dans le but de mieux dompter les GAFAM. @

Charles de Laubier