Ayant écarté Vivendi, Ubisoft devient une tête de pont du chinois Tencent – le « T » de BATX – en Europe

Alors que Tencent – le géant chinois du Net – va fêter ses 20 ans cette année, il est parti à la conquête du monde. L’éditeur français de jeux vidéo Ubisoft, dans le capital duquel il détient depuis mars dernier 5 %, devient un de ses plus importants appuis pour se développer en Occident.

C’est sa filiale Tencent Mobility Limited qui détient 5 % du capital d’Ubisoft (4,2 % des droits de vote), depuis l’accord d’investissement conclu le 20 mars 2018 (1). Ce partenariat stratégique entre le « T » de BATX (les GAFA chinois) et l’éditeur français de jeux vidéo (présent à l’international) se concrétisera avec le développement et la diffusion d’un nouveau jeu mobile en Chine.

Au-delà des 5 % du capital d’Ubisoft ?
Tencent avait déjà publié en juin 2017 le jeu mobile développé exclusivement pour l’Empire du Milieu – « Might and Magic Heroes: Era of Chaos » – et exploitant une franchise historique d’Ubisoft (2). En moins d’un an, les recettes ont dépassées les 100 millions d’euros en Chine. De quoi renforcer les liens. En janvier dernier, Tencent avait mis une sélection de jeux développés par Ketchapp, filiale d’Ubisoft, sur l’application mobile de messagerie-réseau socialboutique WeChat (alias Weixin) et plus précisément dans l’espace « mini-games » lancé en décembre 2017. Le potentiel de joueurs est énorme puisque près de 1 milliard d’utilisateurs sont actifs sur WeChat/Weixin. Tencent est d’ailleurs aussi éditeur de jeux vidéo comme « Honor of Kings ». L’audience massive du chinois pourrait aider Yves Guillemot (photo de gauche), PDG d’Ubisoft, à atteindre un objectif global à dix ans qu’il s’est fixé : 5 milliards de joueurs grâce au streaming, au cloud et à l’e-sport !
Mais les relations entre le chinois et le français, surtout depuis l’entrée du premier comme « actionnaires de long terme » au capital du second, est plus du donnant-donnant. Si Ubisoft a signé pour que Tencent l’aide à grandir sur le marché chinois, ce dernier est bien sûr en droit d’attendre un retour d’ascenseur du français pour l’aider à se développer sur les marchés occidentaux. Certes, Ubisoft n’a pas attendu Tencent pour s’implanter dans l’Empire du Milieu où il a ouvert des studios dès 2007 à Chengdu (centre-ouest de la Chine) où se trouve sa filiale Chengdu Ubi Computer Software, ainsi qu’à Shanghai (centre-est de la Chine) avec Shanghai Ubi Computer Software et Guillemot Electronic Technology. Sans parler de la présence à Pékin, Chengdu et Shenzhen de Gameloft Software – l’autre éditeur de jeux vidéo fondé par Michel Guillemot, l’un des frères de Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, et tombé dans l’escarcelle de Vivendi mi-2016. Mais cette fois Ubisoft se retrouve un peu plus redevable vis-à-vis de son nouvel actionnaire stratégique minoritaire. D’autant que Tencent a besoin d’appuis solides comme Ubisoft pour se déployer à grande échelle en Occident. Car le colosse du Net, dont la capitalisation est de 468 milliards de dollars (pas si loin de celle de Facebook), voit les choses en grand. Va-til à terme prendre
le contrôle d’Ubisoft comme Tencent Games l’a fait en 2015 de l’éditeur de jeux vidéo américain Riot Games, studio qui a développé le célèbre
« League of Legends », ou du studio finlandais Supercell (« Clash of
Clans ») ? Si le chinois doit encore attendre 2023 avant d’éventuellement porter sa participation au-delà des 5 % dans Ubisoft, limitation à laquelle il s’y est engagé auprès de la famille fondatrice Guillemot (23 % des droits de vote) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il peut compter sur un soutien commercial du français pour se renforcer en Europe. Le PDG cofondateur de Tencent, Ma Huateng dit « Pony » (photo de droite) pose des jalons sur le Vieux Continent tels que la participation croisée de 10 % avec la plateforme musicale suédoise Spotify en 2017, une prise participation de
12 % dans Snap la même année pour en faire une plateforme de gaming, un partenariat avec le fabriquant danois Lego pour des jeux en ligne ou encore un partenariat avec le français Carrefour en 2018.
Aux Etats-Unis, Tencent est entré la même année au capital du producteur Skydance et a signé avec Google en Chine. Alors qu’il a du mal à introduire sa messagerie-réseau social WeChat en Europe, le « T » chinois de BATX serait bien tenté d’y lancer sa plateforme de jeux vidéo WeGame (ex-Tencent Games Platform) pour essayer de détrôner le puissant concurrent Steam du groupe américain Valve. En Chine, le site Wegame.com compte plus de 200 millions de gamers. Attendu à l’international depuis 2017, son lancement en Occident serait pour bientôt si l’on en croit Begeek.fr.

Ubisoft pourrait aider WeGame en Occident
Tencent serait décidé à lancer WeGame dans le reste du monde, en réponse au fait que Valve a signé un partenariat avec Perfect World pour lancer Steam en Chine. C’est là qu’Ubisoft pourrait aider Tencent à promouvoir WeGame en Europe, aux Etats-Unis et au Canada (3). Le géant chinois a bien d’autres atouts à revendre : il veut coter ses activités musique en ligne, Tencent Music Entertainment (TME), sur une Bourse aux Etats-Unis et non
à Hong Kong où le groupe est coté. @

Charles de Laubier