Canal+ met en ordre de marche Dailymotion, en poussant vers la sortie le dernier dirigeant historique

Giuseppe de Martino, directeur délégué de Dailymotion, ne dément pas l’information selon laquelle il quitterait la plateforme vidéo de Vivendi en juillet, date d’anniversaire de ses dix ans dans l’entreprise. D’ici là, en avril, « un nouveau Dailymotion » avec une nouvelle éditorialisation et plus de contenus premium va voir le jour.

C’est imminent : « Dès avril 2017, un nouveau Dailymotion doté d’une offre éditoriale plus premium et d’une expérience utilisateur plus fluide sera lancé », selon les propres termes de Vivendi, maison mère de la plateforme française de partage vidéo, dans son rapport annuel publié le 15 mars dernier. Vincent Bolloré
– président du conseil de surveillance de Vivendi – en a maintenant pris le contrôle managérial via Canal+.
Il ne reste plus de l’ancienne équipe dirigeante que Giuseppe de Martino (photo).
En octobre, nous lui avions demandé s’il comptait partir à son tour de Dailymotion après que son binôme de directeur délégué Martin Rogard – dirigeant historique comme lui de la plateforme vidéo française – ait quitté l’été dernier la société revendue à 90 % par Orange à Vivendi en juin 2015 pour 252 millions d’euros. « Quelle idée ! Je suis là et bien là !! », répondait-il à Edition Multimédi@. Six mois plus tard, changement de ton : alors que trois nouvelles nominations ont été annoncées le 8 mars dernier au comité de direction de Dailymotion – sous la présidence de Maxime Saada, le directeur général du groupe Canal+ –, nous avons redemandé à Giuseppe de Martino s’il était prévu qu’il parte en juillet prochain comme le suggérait Challenges dans un entrefilet paru le 16 mars. Cette fois, la réponse est tout autre : « Le conditionnel de la brève me va très bien ! », s’est-il contenté de nous répondre, laconiquement, sans pour autant démentir ni exclure cette échéance de son départ.

Une page se tourne pour la plateforme vidéo française
Et quelle échéance ! S’il partait effectivement à cette date, cela correspondra à l’anniversaire de ses dix ans chez Dailymotion où il est entré – en juillet 2007 donc –
au poste de directeur juridique et réglementaire de la plateforme de partage vidéo créée deux ans plus tôt par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. C’est quatre mois après sa nomination que Dailymotion créa, avec Google, Yahoo, PriceMinister et AOL, l’Association des services Internet communautaires (Asic) que préside depuis Giuseppe de Martino. Il devrait subir le même sort que Martin Rogard, lequel avait quitté le 1er août 2016 Dailymotion où il était entré neuf ans plus tôt en tant que vice-président des contenus, avant d’en devenir directeur des opérations – notamment en s’installant à New York. Et ce, alors que la plateforme vidéo avait perdu plus de la moitié de ses effectifs au moment de son rachat par le groupe de Vincent Bolloré, sur fond de dégringolade de son audience (1). Depuis, la plateforme embauche à tour de bras
pour redresser la barre.

Vincent Bolloré, seul maître à bord
Six mois plus tôt, le patron de Canal+ Maxime Saada évinçait le PDG de Dailymotion en place depuis juillet 2009, Cédric Tournay, pour présider la plateforme vidéo. Objectif : reprendre en main le concurrent de YouTube en perte de vitesse et « intensifier les synergies entre Dailymotion et l’ensemble des autres entités de Vivendi, dont Canal+ ». C’est à ce moment-là, en janvier 2016, que Giuseppe de Martino et Martin Rogard sont nommés directeurs généraux délégués. Cette confiance renouvelée n’empêchera pas le départ du second (2).
Non seulement Canal+ mais aussi sa maison mère Vivendi viennent d’accroître leur emprise sur la plateforme vidéo en se renforçant dans son comité de direction via trois nominations. Laetitia Ménasé devient aussi secrétaire générale de Dailymotion, tout en conservant ses fonctions de directrice juridique du groupe Canal+ pour lesquelles elle rapporte à Frédéric Crépin, lui-même secrétaire général à la fois de Vivendi et de Canal+. Ce dernier est aussi administrateur de Dailymotion, tout comme Simon Gillham, Hervé Philippe et Stéphane Roussel – tous les quatre étant membre du directoire de Vivendi. Quant à Amandine Ferré et Stéphanie Fraise, issues aussi du groupe Canal+, elles deviennent respectivement directrice financière et directrice des ressources humaines de Dailymotion. Toutes les trois nouvelles recrues sont placées sous l’autorité du patron de Canal+. Dans l’ombre, Michel Sibony, directeur des achats du groupe Bolloré, est le Monsieur cost killer de Vincent Bolloré jusque chez Canal+ et Dailymotion. En 2016, les charges de restructuration de Dailymotion se sont élevées à 6 millions d’euros.
Une autre nomination, annoncée cette fois le 6 mars, illustre également la prise de contrôle managérial du groupe de la chaîne cryptée sur la plateforme vidéo : Pascale Chabert, directrice des partenariats stratégiques de Dailymotion depuis novembre (3), devient en plus directrice adjointe des contenus de « l’offre Canal » (4). Canal+ Régie, la régie publicitaire du groupe Canal+, commercialise aussi les déclinaisons des chaînes sur Dailymotion (comme sur YouTube). Dans le même temps, Diego Buñuel – tout en demeurant directeur des documentaires de Canal+ – a été nommé directeur du pôle « Canal Brand Factory » nouvellement créé afin de produire, là encore « en synergie avec l’ensemble des entités du groupe Vivendi » (non seulement avec Dailymotion, mais aussi avec Gameloft, Universal Music et Vivendi Village), des contenus de marques tels que brand content vidéo et événementiels digitaux. Parallèlement, il met en place le dispositif antenne et digital autour de l’e-sport que Dailymotion a commencé l’an dernier à diffuser en direct lors de compétitions comme la « Fifa 17 Ultimate Team Championship Series Qualifier France » qui a eu lieu à Paris fin 2016. Il y a six mois, Vivendi s’est allié avec l’Electronic Sports League (ESL) pour créer ses propres événements de ligues d’e-sport en France qui seront retransmises à l’antenne et sur Dailymotion. La retransmission en live d’événements constitue un axe fort de Dailymotion, qui a par exemple retransmis le Vendée Globe et la cérémonie des César. Dailymotion est en outre depuis l’an dernier l’hébergeur des vidéos de Studio Bagel, « premier réseau de chaînes d’humour sur YouTube » et détenu par Canal+ depuis 2014.
Pour essayer de redresser la barre, Dailymotion fait peau neuve avec plus d’éditorialisation, plus de recommandations par algorithme et plus de contenus premium, ainsi qu’une nouvelle application mobile. Cela passe par plus de partenariats avec des médias (presse, télé, radio) et des producteurs de contenus (médias, marques, séries), quitte à partager plus de revenus avec eux. En misant sur les contenus premiums, Dailymotion tente de se démarquer avec un public « CSP+ » recherché des annonceurs (5) par rapport à YouTube plutôt prisé des plus jeunes.
De son côté, Vivendi Content – pôle de création de nouveaux formats – développe Studio+, une offre de séries courtes premium destinées aux smartphones.
Maxime Saada est même venu le 21 mars dernier au 8e Web Program Festival, le rendez-vous des créateurs et acteurs de la production vidéo, avec ses deux casquettes Canal+ et Dailymotion. Il s’agit surtout de relancer la plateforme dont l’audience a sérieusement chutée ces dernier mois : le site web Dailymotion ne comptabilise plus en France que 3,8 millions de visiteurs uniques par mois (audience de janvier selon Médiamétrie), pendant que YouTube se pavane en tête avec 23,4 millions de visiteurs uniques.

Dailymotion en quête de rentabilité
Au niveau mondial, la plateforme vidéo française affiche près de 3 milliards de vidéos vues par mois pour 300 millions d’utilisateurs, sachant que la moitié de son audience est maintenant générée en dehors de son propre site web. Mais son chiffre d’affaires aurait chuté l’an dernier de plus de 10 % à 60 millions d’euros, tout en creusant ses pertes, alors que ses effectifs doivent passer de 230 en 2016 à 400 salariés d’ici la fin de l’année. Dailymotion est condamné à réussir sa mutation, sinon… c’est la faillite. @

Charles de Laubier