Alain Rocca, producteur de films et président d’Universciné : « La VOD à 3 mois n’a aucun intérêt »

Fondateur de la société de production de films Lazennec & Associés, et cofondateur président d’Universciné, édité par Le Meilleur du Cinéma et regroupant une quarantaine de producteurs indépendants, Alain Rocca
répond sans détours aux questions de Edition Multimédi@.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Alain RoccaEdition Multimédi@ : Arnaud Montebourg (1) demande aux opérateurs audiovisuels et numériques français de « s’unir pour offrir des plateformes alternatives aux offensives anglosaxonnes », dont Netflix : qu’en pensez-vous ?
Alain Rocca :
C’est déjà plus positif que les députés PS qui pensent que le piratage n’est pas grave ou que Bercy qui rackette le CNC (2)…
Si son intervention servait déjà à convaincre Orange d’accepter dans un premier temps de proposer à ses abonnés les offres des éditeurs VOD français et pas seulement la sienne, ce qu’Orange refuse depuis des années malgré les recommandations des rapports Hubac et Lescure, cela serait déjà un bon début.

EM@ : Une réflexion est en cours pour que les producteurs puissent proposer leurs films sur leur propre plateforme de VOD, directement aux internautes, comme Hulu ou Epix…
A. R. :
Nous avons été les premiers à croire que les producteurs et les distributeurs devaient se regrouper pour disposer d’un volume suffisant de films afin de maîtriser
leur commercialisation sur Internet.
Nous nous sommes sentis longtemps un peu seuls à défendre ce point de vue…
Si de nouveaux regroupements se constituent ce serait une très bonne nouvelle.

EM@ : Le CNC cherche à rapprocher des offres de VOD/SVOD, où Allociné (5) serait le fédérateur. Est-ce possible ?
A. R. :
Une offre VOD c’est une marque Internet. Je ne vois pas ce que signifierait un rapprochement entre des marques qui doivent au contraire affirmer toujours plus leur identité sous peine de disparaître. Par contre, le CNC a effectivement mandaté une agence [La Netscouade, ndlr (6)] pour réfléchir à la mise en place d’une plateforme
de référencement qui serait dédiée aux seuls éditeurs VOD « cinéma » légaux et contributifs.
Nous participons activement à cette réflexion. Mais le problème essentiel de ce type de plateforme reste de savoir qui va la payer, sans ponctionner une chaîne de valeur VOD déjà très tendue…

EM@ : Quid des partenariats Videofutur-FilmoTV et Orange-Jook ?
A. R. :
Il s’agit d’opérations de ventes groupées (bundle), qui ne concernent que les offres SVOD, et comportent pour l’éditeur l’inconvénient majeur de ne pas maîtriser
le fichier d’abonnés correspondant, lequel reste dans le périmètre de l’opérateur de
la box.

EM@ : Universciné pilote Streams D&D d’EuroVOD, partie prenante du projet Spide coordonné par l’ARP et financé par la CE pour de nouvelles expérimentations de sorties simultanée salles-VOD : souhaitez- vous des expérimentations day-and-date en France ?
A. R. :
Streams est le premier festival de cinéma en ligne d’Europe. Il est organisé par la fédération EuroVOD, dont Universciné est le pilote. Ce festival présente sur toutes les plateformes une sélection de films qui ne sont sortis en salle que dans leur seul pays de production. Ce n’est pas du tout du day-and-date.
Concernant les expérimentations de sorties simultanées salles/ vidéo/VOD dans les pays d’Europe où la situation des salles est très dégradée, nous sommes très intéressés par les résultats des expérimentations en cours impulsées par MEDIA (7). Dans le cas français, Universciné voudrait proposer que certains films à combinaison de sortie en salles réduite puissent accéder très rapidement à une exploitation vidéo
et VOD, dans un dispositif de marketing et de partage de recette qui permettrait de soutenir la fréquentation des salles.

EM@ : Partagez-vous la remarque d’Igor Wojtowicz, producteur de « Cinéma français se porte bien », sorti sur Universciné, affirmant : « Il est plus facile d’accéder à un film piraté, en streaming gratuit, que de l’avoir en VOD » ?
A. R. :
C’est toujours plus long de passer à la caisse du supermarché régler vos achats que de sortir directement sans payer ! Un site légal doit disposer d’un dispositif solide de validation du paiement, permettant entre autres d’effectuer les répartitions aux ayants droits. Ce qui est nécessairement plus long qu’un site pirate…
Et en plus, une telle remarque est fausse pour toute la consommation VOD qui s’effectue en IPTV, c’est-à-dire deux tiers du marché.

EM@ : Faut-il la VOD à 3 mois et la SVOD à 18 mois ?
A. R. :
La VOD à 3 mois par rapport à 4 n’a aucun intérêt pour tous les acteurs du marché, et est illisible pour les spectateurs. A preuve : le très petit nombre de films qui ont demandé à profiter de la possibilité actuellement offerte de cette avancée à 3 mois de la sortie VOD. Quant à la VOD à 18 mois, elle ne rajoute pas un film de plus à l’offre légale, et renforce la capacité de pénétration sur le marché français des offres SVOD anglo-saxonnes auxquelles Arnaud Montebourg nous demande de résister… Et cela risque probablement de pousser les chaînes en clair à revendiquer des droits de catch up TV gratuites. Si on veut tuer le marché de la VOD transactionnelle, c’est une bonne idée ! @