Révolution sur l’e-Campus

Cette année, le major de promo d’une grande école d’ingénieurs fait la Une des sites d’information. Pourquoi
ce jeune étudiant, qui répond aux interviews exclusivement en visio, défraie-t-il la chronique ? Parce qu’il n’a jamais mis les pieds dans un amphi et a fait l’essentiel de son cursus sans quitter sa petite ville au cœur du Continent africain !
Il est emblématique mais il n’est pas un cas isolé. C’est le résultat d’une dizaine d’années d’ouverture des universités et des écoles aux nouveaux modèles d’enseignements numériques. Des centaines de milliers de jeunes suivent désormais à distance des cours de haut niveau, auparavant réservés à des effectifs bien plus réduits. En sortant de ses murs, l’université a fait un pas de plus vers la démocratisation multiséculaire du savoir. L’histoire technique du e-learning commence, comme souvent, après une longue période de gestation. L’un de tous premiers test fut le fait, au début des années 60, d’une équipe de professeurs en psychologie de l’université de Stanford qui expérimenta un enseignement des maths et de la lecture assisté par ordinateur pour des enfants
en classe élémentaire de Palo Alto.

« La destruction créatrice du Net s’attaque cette fois
– après la musique, la presse, le cinéma, le livre et la télévision – à une citadelle réputée imprenable : le savoir ».

L’université en ligne n’est en fait devenue réalité qu’avec les premières vidéothèques
de cours magistraux. Des initiatives individuelles ont non seulement été portées par les établissements eux-mêmes ou par des institutions comme le Collège de France mais également par des plateformes qui démarrèrent en France dès 2001 avec Canal-U. L’année suivante, aux Etats-Unis, ce fut au tour de l’OpenCourseWare du MIT, suivi
par des plateformes des géants du Net comme celle d’Apple qui lança iTunes U en 2007. Mais la véritable révolution commença à partir de 2011, lorsque les universités créèrent des sessions de cours dans des formats adaptés au Web et débouchant sur des diplômes. Le projet MITx permit ainsi à deux professeurs de dispenser un cours d’électronique spécialement conçu en ligne pour plus de 120.000 étudiants. Cette plateforme, rebaptisée EdX suite à l’adhésion d’Harvard, fut suivie par une initiative concurrente, Coursera, laquelle rassembla plusieurs universités autour de Stanford et
de Princetown. Il était maintenant possible de valider des études de qualité en suivant
à distance les programmes, moyennant parfois la moitié du prix du cursus traditionnel.
La destruction créatrice du Net était en marche, une fois de plus, en s’attaquant cette fois – après la musique, la presse, le cinéma, le livre et la télévision – à une citadelle réputée imprenable : le savoir. En devenant un véritable média en ligne, avec ses programmes, ses live et ses vidéos, les cours sont également devenus un marché ouvert. Une nouvelle génération de pure players est prête à tout pour inventer de nouveaux modèles économiques. Ainsi, Udacity s’est rapidement imposé comme véritable campus virtuel avec, dès 2012, plus de 23.000 étudiants de 190 nationalités différentes. Ce sont les futurs recruteurs qui payent les frais de scolarités, les diplômés bénéficiant de la gratuité des cours ! Le site Udemy, lui, a choisi de proposer une plateforme aux professeurs
qui souhaitent publier directement leur cours, sans même passer par la fac…
Depuis, des technologies très diverses ont enrichi l’expérience pédagogique, comme
le serious gaming, le sous-titrage participatif, les univers persistants ou la 3D. Certains avatars sont désormais célèbres dans ces amphis digitaux, comme le furent sur Ta toile
le philosophe Michael Sandel ou le professeur de finance Aswath Damodaran.
Mais au-delà de l’évolution technique, il s’agit d’une véritable révolution de la diffusion
du savoir et de la pédagogie. Si les professeurs s’isolent devant une webcam pour enregistrer des cours loin de leurs salles de classe, c’est pour mieux consacrer leur temps à coacher leurs étudiants. De même, une pédagogie inversée propose aux élèves d’apprendre à la maison et de faire leurs devoirs à l’école ! On est donc bien loin de ce cauchemar où les enfants du « Brave new world » d’Aldous Huxley apprenaient sans effort durant de profonds sommeils hypnotiques. Les « Socrate » d’aujourd’hui arpentent les réseaux numériques comme les Péripatéticiens d’hier transmettaient leur savoir aux novices entre le Portique et le Jardin… @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La presse en péril
* Directeur général adjoint de l’IDATE.