La « séparation structurelle » entre le CSA, l’Arcep, l’Hadopi et l’ANFR est remise en question

La question du rapprochement entre le CSA et l’Arcep se pose depuis… 1999.
Mais les offres triple/quadruple play, VOD, catch up TV ou encore TV connectée font voler en éclats la frontière entre Internet et audiovisuel. « Fusionner »
la régulation des contenants avec celle des contenus semble souhaitable.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, et Héloïse Miereanu, stagiaire, Gide Loyrette Nouel

A l’occasion de sa première audition devant la Commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale le 18 juillet dernier, la ministre de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, avait dévoilé un peu vite les ambitions du gouvernement : envisager le rapprochement Arcep/CSA. Accidentelle (1), cette communication politique n’avait pas toutes les apparences d’une coïncidence. Et pour cause ! Depuis le communiqué du Premier ministre du 21 août, le rapprochement entre régulateurs a pris des allures
de « chantier officiel ».

Crise de légitimité des régulateurs
Trois ministres – Arnaud Montebourg (Redressement productif), Fleur Pellerin (PME, Innovation et Economie numérique) et Aurélie Filipetti (Culture et Communication) devront remettre au Premier ministre, fin novembre, leurs propositions de rapprochement entre le CSA et l’Arcep en vue de la rationalisation de la régulation
des communications électroniques et de l’audiovisuel. Si la question du rapprochement des régulateurs n’est pas nouvelle – elle s’est posée dès 1999 à Christian Pierret, alors secrétaire d’Etat à l’Industrie (2) –, ses ajournements successifs pointent la complexité réelle du débat et les positions divergentes des régulateurs concernés. Ainsi, en janvier 2011, le président du CSA, Michel Boyon s’était insurgé contre l’idée d’une fusion, avançant qu’on « ne pouvait jouer aux Lego avec des institutions qui ont affirmé leur indépendance, démontré leur compétence [et] acquis leur légitimité » (3). Il peut paraître souhaitable de conserver des autorités distinctes et autonomes, ayant une histoire, une culture, des valeurs et un mode de fonctionnement propres. Cette fois, pourtant, la temporalité pour l’action politique semble idéale. Sur fond de crise d’identité des régulateurs, fragilisés par la célérité et l’ampleur des mutations technologiques, et à l’approche de la réforme de la loi sur l’audiovisuel, une fenêtre d’opportunité politique s’est ouverte pour le projet Arcep/CSA : le rapprochement pourrait peut-être enfin dépasser le stade « idéel ». Saluée par le président du CSA dans un communiqué daté du 22 août, l’annonce de Matignon suppose une véritable « réflexion sur l’évolution des objectifs de la régulation ».
Le projet de rationalisation des différents régulateurs s’inscrit comme une réponse à la crise de légitimité que traversent déjà les différents régulateurs du secteur multimédia et des télécommunications, et que viennent exacerber les incessantes mutations technologiques. Les réactions de l’Hadopi (4) face aux téléchargements illicites ont été vivement critiquées par les acteurs du secteur, et présentées comme excessivement répressives (5). Le CSA, lui, est parfois qualifié d’« organisme-fantoche » (6) en raison des faibles moyens mis à sa disposition, et ce malgré son expertise avérée. Les avis récemment formulés par le CSA ont, par exemple, considérablement influencé les décisions récentes de l’Autorité de la concurrence sur la fusion entre Canal+ et TPS ou sur le rachat par Canal+ de Direct 8 et Direct Star (7) : aussi ont-ils été repris presque
in extenso par les sages de la rue de L’Echelle. « Cantonné dans une régulation de l’audiovisuel à la définition bientôt archaïque » (8), le CSA gagnerait peut-être à pouvoir utiliser, à la marge, l’expertise économique de l’Arcep (9). Par ailleurs, le champ d’action de la Cnil s’est considérablement élargi. Cette autorité doit faire face à l’ampleur nouvelle des thématiques de protection des données personnelles, de déclarations et sanctions. Quant à l’Arjel, qui n’a vocation qu’à réguler les sites légaux de jeux en ligne, ses activités ne concernent finalement qu’un nombre limité d’acteurs.

Promouvoir les synergies entre autorités
La diversité foisonnante des régulateurs français sur les secteurs numériques et audiovisuels, CSA, Arcep, Hadopi, Arjel et Cnil – rattrapés par la technologie – rend difficilement lisible leur régulation politique et réduit d’autant la portée de leur action. Dans ce contexte, la fusion de plusieurs régulateurs serait porteuse de synergies substantielles. Le rapport Vanneste-Dosière sur les autorités administratives indépendantes préconisait déjà, en 2011, de rapprocher le CSA, l’Arcep et l’ANFR (Agence nationale des fréquences). L’éventualité d’un rapprochement avec d’autres régulateurs doit aussi être considérée (10), l’objectif étant de permettre un meilleur agencement des besoins et expertises des régulateurs et de promouvoir leur capacité
à les mobiliser plus rapidement.

Convergence, économies et neutralité
Si le sujet semble récurrent tant il a été commenté, son actualité est ravivée. Tout d’abord, la fusion de plusieurs régulateurs pourrait se justifier par des exigences budgétaires essentielles au regard du contexte de crise économique actuelle. Le rassemblement des régulateurs, idéalement en un même lieu physique, permettrait la mutualisation de nombreux postes (infrastructure, recherche et développement, …), l’optimisation des services supports (juridique, comptable, maintenance, communication, …), ainsi qu’une réduction du personnel et un meilleur ciblage des dépenses et crédits. Cette proposition est soutenue par de nombreuses analyses comme le rapport « Vanneste-Dosière » ou la décision 64 du rapport de la commission « Jacques Attali » de 2007 pour la libération de la croissance française.
Bien qu’en matière d’audiovisuel et de télécommunications, les corpus juridiques
(11) restent distincts, la convergence technologique incite au rapprochement des régulateurs : technologies mixtes, téléphonie sur IP, triple play et quadruple play (IPTV), vidéo à la demande (VOD) ou services non linéaires de type SMAd (catch up TV comprise), partage vidéo (YouTube et Dailymotion), bientôt RNT (« radio à images »), etc. La télévision connectée (12) participe de l’implosion de la distinction, déjà poreuse, entre support Internet et audiovisuel, et confirme la nécessité d’une régulation plus transversale, englobant contenus et contenants et faisant application du principe de neutralité technologique. L’émergence d’acteurs intégrés, opérant aux différentes étapes de la VOD, favorise la constitution d’oligopoles et appelle une régulation plus globale et moins fragmentée des supports. Aussi, l’attachement à la structure duale entre Arcep d’une part, autorité régulant les contenants, l’infrastructure et les télécommunications, et le CSA d’autre part, en charge des contenus, du respect du pluralisme des médias et des libertés publiques, demeure légitime sur le fond, mais
ne nécessite sans doute plus une « séparation structurelle » des deux autorités. Sous un angle plus contentieux, la fusion Arcep/CSA permettrait de contrecarrer une pratique usitée de forum shopping entre les différents régulateurs (13).
La tendance européenne à la centralisation des missions de régulation (14) au sein
de régulateurs uniques et polyvalents semble s’accélérer. Plusieurs pays européens disposent déjà de tels régulateurs, tels l’AGCOM en Italie, la CMT en Espagne ou l’Ofcom en Grande-Bretagne, ces derniers ayant des compétences élargies en matière de télécommunication, radiodiffusion, pluralisme de l’information et spectres de fréquences, voire postes. Aux yeux des investisseurs, le charme de la complexité du paysage français finit par contraster avec une configuration plus lisible de nos voisins européens. Reste à savoir, qui, du régulateur de contenu ou de contenant, doit être absorbé et fusionné. Cette interrogation emporte avec elle une multitude de préoccupations identitaires et pose, de façon corollaire, la question de la régulation
des contenus circulant sur Internet.
Le débat sur le rapprochement n’a cessé d’être éludé, en raison des tensions délétères qu’il diffuse entre régulateurs, chacun souhaitant – à tort ou à raison – étendre son champ de compétences. Si certains soutiennent que le régulateur des contenus doit avoir priorité sur le régulateur de contenants, en tant que garant du pluralisme (15), d’autres défendent au contraire l’intégration du CSA au sein de l’Arcep, cette absorption devant s’effectuer sans dissolution des impératifs culturels du CSA au sein des priorités, plus strictement économiques, de l’Arcep.

Loi « audiovisuelle et télécoms » ?
La nécessité d’un rapprochement de plusieurs régulateurs ne dispense pas d’examiner la diversité des méthodes pour le conduire (autorité multisectorielle, horizontale et verticale, ou bien spécifique au secteur multimédia et télécoms, voire autorité unique, une sorte de Conseil National des Communications appliquant un droit sectoriel transversal).
Quoi qu’il en soit, suite à l’accueil favorable du projet gouvernemental par le CSA, l’Arcep a déjà assuré dans son communiqué du 23 août qu’elle « mobilisera toute son expérience et ses capacités d’expertise afin de faciliter le bon aboutissement de ce travail ». Reste à savoir si la prochaine loi sur l’audiovisuel (lire p. 5) sera étendue aux communications électroniques. @