Remise en cause par le gouvernement et critiquée en interne pour sa communication, l’Hadopi résiste

Selon nos informations, l’Hadopi écarte toute démission de sa présidente malgré les rumeurs et les pressions. Elle a demandé un entretien avec la ministre Aurélie Filippetti. Quant à sa réunion du 23 mai, elle fut « houleuse ». Grief invoqué : l’Hadopi s’est trop exprimée sur ses premiers résultats.

Marie-Françoise Marais, la présidente de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) vat- elle démissionner ? Même s’il n’en a pas été question lors de la réunion « plénière » (1) de l’Hadopi, qui s’est tenue le 23 mai en présence des membres du collège et de ceux de la commission de protection des droits (CPD), cette éventualité est évoquée en interne. « La question de sa démission n’est pas à l’ordre du jour mais elle se pose avec le nouveau gouvernement », explique un de ses membres sous le secret des sources, tout en nous indiquant que « la réunion a été houleuse ». Contactée par Edition Multimédi@, l’Hadopi nous répond : « La question de sa démission ne se pose pas, contrairement à ce que laisseraient entendre des rumeurs ». Pourtant, le gouvernement pousserait vers la sortie Marie-Françoise Marais qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Le 21 mai, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, et le 20 mai, la ministre déléguée (2) en charge de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, annonçaient en effet « la révision de l’Hadopi » après une phase de « concertation de moins de six mois » qui démarrera « avant l’été ». Cette concertation sera pilotée par Pierre Lescure (3), pas par l’Hadopi elle-même. Autrement dit, ses jours sont bien comptés.

“Hadopi : quel bilan pour quel avenir ? » (colloque le 4 juin)
Toujours selon nos informations, Marie-Françoise Marais a – en toute logique – demandé à s’entretenir avec Aurélie Filippetti. Mais à l’heure où mettons sous presse, la date n’est pas encore fixée par la ministre. Pour les membres de l’Hadopi que nous avons pu contacter, la réunion du 23 mai avait un caractère de « séance exceptionnelle » puisque c’était la première à se tenir depuis l’élection le 6 mai de François Hollande comme président de la République et la nomination le 16 mai du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Se sont ainsi retrouvés le « triumvirat » – composé de la présidente Marie-Françoise Marais, de la présidente de la CPD, Mireille Imbert-Quaretta, et du secrétaire général, Eric Walter – avec les membres de l’Hadopi, au nombre de dix-neuf (4). Pas d’ordre du jour ! Au sortir de la réunion, un membre nous a expliqué que « la présidente et le secrétaire général ont été vivement interpellés sur certaines de leurs déclarations dans les médias ». Des membres ont reproché au triumvirat de s’être exprimé « sans mesure » durant la campagne présidentielle « en en faisant trop sur ses premiers résultats », alors qu’ils auraient apprécié « plus de sobriété et de retenue » de la part d’une autorité administrative indépendante. Il a été convenu que l’Hadopi ne communiquerait plus sur ses résultats en dehors de son rapport annuel, dévoilé – comme l’an dernier – en juillet
et publié en septembre. « Eric Walter doit-il intervenir le 4 juin à la Sorbonne au colloque ‘’Hadopi : Quel bilan pour quel avenir ?’’ », s’interroge un membre. Curieusement, toujours selon nos informations, aucun commentaire n’a été fait durant cette réunion sur la remise en cause de l’Hadopi par le gouvernement, ni sur le rendez-vous sollicité auprès d’Aurélie Filippetti par la présidente. Succédant à Frédéric Mitterrand, la ministre de la Culture et de la Communication a pourtant confirmé le lundi sur France Inter le lancement d’une concertation entre internautes, sociétés d’auteurs et artistes en vue de lancer « l’acte II
de l’exception culturelle » voulu par François Hollande. La veille, dimanche, Fleur Pellerin, la ministre déléguée (5) chargée de l’Economie numérique, annonçait sur France 3 le lancement « avant l’été » de cette concertation pour une durée de « moins de six mois » : « Au terme de cette concertation, on avisera sur l’avenir d’Hadopi », avait-elle ajouté. Aurélie Filippetti a, quand à elle, déclaré : « Je crois que le système de sanction, tel qu’il a été mis en place et pensé, s’est révélé à la fois inefficace et en plus négatif d’un point de vue du message. (…) La Haute autorité s’est réunie la semaine dernière et a déjà commencé à réviser un petit peu sa ligne stratégique [ce que réfute l’Hadopi, ndlr]. Donc je pense que personne, y compris les membres de cette Haute autorité, ne semblait réellement satisfait du système tel qu’il fonctionnait ».

L’Hadopi est contestée jusque dans ses rangs
Reste que Marie-Françoise Marais a été élue présidente de l’Hadopi jusqu’en 2016 (voici encadré ci-dessous). La question de sa légitimité aurait pu déjà se poser dès janvier dernier lors du renouvellement d’un tiers des membres de l’autorité. « Puisque la présidente était élue par les membres du collège, il aurait été préférable que Marie-Françoise Marais procède en début d’année à une nouvelle élection pour s’assurer qu’elle a toujours le soutien de son équipe et conforter sa position », nous explique une personne proche de l’Hadopi. Ont ainsi été remplacés par décret du 6 janvier 2012 quatre membres titulaires et trois suppléants. Parmi les nouveaux entrants le député de Saône-et-Loire Didier Mathus, un anti-Hadopi déclaré nommé par le président du Sénat – le socialiste Jean- Pierre Bel. D’autant que Didier Mathus a été clair lors de sa nomination il y a cinq mois (6) : « Ayant été l’un des principaux adversaires au Parlement des lois Internet, DADVSI et Hadopi fondées sur une vision purement répressive, (…) il est évident que ce sont les mêmes positions que je défendrai au sein du collège de l’Hadopi ». Quelle que soit l’issue de la concertation, notamment par le remplacement du volet pénal de la loi Hadopi par une éventuelle amende civile dissuasive pour lutter contre piratage sur Internet, le chef de l’Etat l’a promis lors de son meeting de candidat au Bourget le 22 janvier : « Quant à la
loi Hadopi, inapplicable, elle sera remplacée (…) par une grande loi signant l’acte 2 de l’exception culturelle, qui défendra à la fois les droits des créateurs (…) et un accès
aux œuvres par Internet ». Ce changement de cap est consigné dans le 45e des 60 engagements de son projet présidentiel présenté le 26 janvier. François Hollande veut ainsi « dépénaliser le téléchargement », alors que l’Hadopi a transmis en février les tout premiers dossiers d’internautes pirates récidivistes. « Cette ‘’culture à domicile’’ ne doit pas être considérée comme une menace. (…) La loi Hadopi a voulu pénaliser des pratiques », avait fustigé l’ex-candidat lors d’un autre discours, celui du 19 janvier à Nantes. La lutte contre le piratage sur Internet. @

ZOOM

Marie-Françoise Marais : présidente de l’Hadopi jusqu’en 2016 ?
Marie-Françoise Marais, conseillère à la Cour de cassation à la retraite depuis deux ans mais maintenue en activité « en surnombre » jusqu’au 19 mai 2013, a été élue le 8 janvier 2010 à la présidence de l’Hadopi. Et comme le prévoir le décret du 29 décembre 2009,
la durée de son mandat est de six ans – jusqu’en janvier 2016 dans le cas de Marie-Françoise Marais. Or la plupart des membres du collège et de la CPD ont des durées
de mandat, tirées au sort, inférieures à six ans, à savoir deux ou quatre ans. Seuls Jean Berbinau et Franck Riester ont un mandat de six ans. Avec le renouvellement par tiers des membres, lesquels doivent élire le président de l’Hadopi, qu’advient-il de la légitimité du président au bout de quatre ans ? @