Le Web fête ses 30 ans dans une certaine fébrilité, sur fond de velléités de son inventeur Berners-Lee

Ce sont les 30 ans du Web en mars et les 25 ans du World Wide Web Consortium (W3C) en octobre, tandis que la Web Conference tiendra sa 25e édition du 13 au 17 mai prochains à San Francisco. Mais les bonnes intentions de son créateur,
le Britannique Tim Berners-Lee, semblent vaines.

Le 12 mars 1989, le physicien britannique Tim Berners-Lee (photo) inventait un « système de gestion décentralisé de l’information » avec des liens hypertextes pour cliquer sur des mots-clés afin d’aller d’une page à l’autre (1). Le Web était né au sein du Cern (2) basé à Genève, rejoint par l’informaticien belge Robert Cailliau l’année suivante (3) (*) (**), avant que l’outil documentaire en ligne ne soit rendu accessible en avril 1993 au grand public, lequel, sept mois après, pourra l’utiliser avec le tout premier navigateur, Mosaic.

« Tim » veut rendre le Web plus « Solid »
Le World Wide Web est ainsi né il y a 30 ans en Suisse, ou plus précisément en France puisque le chercheur Tim Berners-Lee avait indiqué que son bureau était en réalité situé dans le « Building 31 » localisé sur le territoire français (4) à quelques mètres
de la frontière suisse ! Le Web compte aujourd’hui, à février 2019 selon Netcraft : près de 1,5 milliard de sites web (1.477.803.927 précisément), environ 230 millions de noms de domaine (229.586.773) et plus de 8 millions d’ordinateurs supportant le Web (8.366.753). Et depuis les années 2000, la Toile est concurrencée ou complétée – c’est selon – par les applications mobiles, qui, selon App Annie, sont plus de 6 millions sur les « App Store » d’Apple (iOS) et de Google (Android). Le Web est devenu universel, avec plus de 4,2 milliards d’internautes dans le monde.
Mais le réseau des réseaux est en péril à en croire Tim Berners-Lee, qui veut « changer radicalement » le Web avec son projet de « web décentralisé » baptisé Solid – pour Social Linked Data. Ce projet est hébergé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et sponsorisé par le Qatar, via son Computing Research Institute, et MasterCard. L’objectif est de garantir « une véritable propriété des données et une meilleure protection de la vie privée » grâce au découplage du contenu de l’application elle-même. De plus, « parce que les applications sont découplées des données qu’elles produisent, les utilisateurs seront en mesure d’éviter le verrouillage des fournisseurs, d’obtenir une commutation harmonieuse entre les applications et les serveurs de stockage de données personnelles, sans perte de données ou de connexions
sociales », est-il expliqué (5). Comme Solid n’est pas une initiative philanthropique,
Tim Berners-Lee a lancé en octobre 2018 sa propre start-up baptisée Inrupt pour rentabiliser son projet, comme il l’explique lui-même : « J’ai donc pris un congé sabbatique du MIT, réduit mon engagement quotidien avec le World Wide Web Consortium (W3C) et fondé une société appelée Inrupt où je vais guider la prochaine étape du Web d’une manière très directe. Inrupt sera l’infrastructure permettant à Solid de prospérer. Sa mission est de fournir une énergie commerciale et un écosystème pour aider à protéger l’intégrité et la qualité du nouveau Web construit sur Solid ». En 2009, l’inventeur du Web avait dit : « Nous n’avons pas encore vu le Web tel que je l’avais envisagé ». Dix ans après, il en est au même point. Mais avec Solid, il espère que le futur Web devient un web de lecture-écriture de données – et non pas seulement de documents – où les utilisateurs pourront « interagir, innover, collaborer et partager ». Sans le dire explicitement, Tim Berners-Lee s’attaque en fait aux GAFA et au « modèle actuel où les utilisateurs doivent transmettre des données personnelles à des géants numériques en échange de la valeur perçue ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas dans notre intérêt ». Le projet de recherche Solid, assorti de sa start-up, entend donc « rétablir l’équilibre – en donnant à chacun de nous le contrôle complet sur les données, personnelles ou non, de manière révolutionnaire » (6). Cela se fera par des « POD » – Personal Online Data store (POD). Mais l’initiative du chercheur fondateur du Web arrive un peu tard, l’Europe ayant été aux avant-postes de la protection des données
et de la vie privée sur Internet – avec l’entrée en vigueur le 25 mai 2018 du RGPD (7).

Un « contrat pour le Web » : utopique ?
Certains doutent du succès de Solid. « Je pense que ça ne va pas marcher. Il faut faire avec le contexte actuel. Ceux qui ont décidé du Web et qui décident de son futur et de comment les choses vont évoluer, ce sont les GAFA », a déclaré le chercheur français Daniel Charnay, ingénieur au CNRS, qui se présente comme le co-créateur des premiers serveurs et pages web en France. Alors, sortir le Web des griffes des GAFA ? L’idée de Tim Berners-Lee, qui avait évoqué l’an dernier un « contrat pour le Web » (8) pour lutter contre les fake news, semble plus relever de l’utopie que d’un projet réaliste. @

Charles de Laubier